L’espérance de vie a-t-elle atteint ses limites en France ?

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L’espérance de vie à la naissance a progressé de 3 mois par an en moyenne en France depuis le milieu du XXe siècle, passant de 66 ans sexes confondus en 1950 à 82 ans en 2018. Les progrès ont cependant ralenti ces dernières années : l’espérance de vie n’a gagné qu’un mois et demi par an en moyenne chez les hommes depuis 2014 et un mois par an chez les femmes.

D’
où vient ce ralentissement ? Est-il conjoncturel ou représente-t-il une nouvelle tendance de fond ? Faut-il s’attendre à une diminution de l’espérance de vie dans quelques années, comme aux États-Unis ?

L’effet des épidémies de grippe

Les épidémies de grippe saisonnière ont été particulièrement meurtrières ces derniers hivers : depuis 2014, trois d’entre eux ont été marqués par une surmortalité d’environ 15 000 décès attribuables à la grippe à chaque fois, principalement chez les personnes âgées.

Gilles Pison, d’après les données de l’Insee, Author provided

Les épidémies de grippe saisonnière ne sont cependant pas une nouveauté. Quand elles sont meurtrières comme celles des dernières années, elles réduisent l’espérance de vie à la naissance de l’année de 0,1 à 0,3 an, mais l’effet est conjoncturel, sans affecter la tendance de fond. À l’effet propre des épidémies de grippe semble s’ajouter un ralentissement tenant à d’autres causes. Pour comprendre la situation, il est utile de replacer l’évolution récente de l’espérance de vie dans le contexte des changements de plus long terme.

Le formidable essor qu’a connu l’espérance de vie depuis le milieu du XXe siècle – elle a augmenté de 16 ans depuis 1950 – est dû principalement aux succès remportés dans la lutte contre la mortalité adulte, en particulier aux âges élevés où se concentrent de plus en plus les décès. La mortalité infantile a en effet atteint des niveaux si bas depuis quelques décennies que son évolution n’a plus guère d’influence sur l’espérance de vie à la naissance.




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Les cancers, première cause de décès devant les maladies cardiovasculaires

Au milieu du XXe siècle, les maladies infectieuses étaient encore la cause d’une partie importante des décès d’adultes et de personnes âgées, et leur recul a entraîné une augmentation sensible de l’espérance de vie des adultes. Mais la part de ces maladies dans la mortalité totale a beaucoup régressé et les gains à attendre de la poursuite de leur recul sont faibles.

Gilles Pison (d’après les données de Inserm-CepiDc et de Breton et coll. 2018), Author provided

Les maladies cardiovasculaires et les cancers sont désormais les principales causes de décès. Et ce sont les succès rencontrés dans la lutte contre ces maladies qui ont permis à l’espérance de vie de continuer à augmenter ces dernières décennies.

La mortalité due aux maladies du cœur et des vaisseaux a beaucoup diminué depuis un demi-siècle grâce à la « révolution cardiovasculaire » qu’ont constitué les progrès de la prévention et des traitements dans ce domaine. Quant à la mortalité par cancer, qui avait augmenté, elle régresse maintenant grâce aux diagnostics plus précoces, à l’amélioration des traitements, et à la réduction des comportements à risques comme le tabagisme.

Les effets retardés du tabagisme sur la mortalité

Le ralentissement des progrès de l’espérance de vie depuis une dizaine d’années est peut-être le signe que les retombées de la révolution cardiovasculaire sont en voie d’épuisement. Et les progrès futurs pourraient dépendre de plus en plus de la lutte contre les cancers qui sont devenus la première cause de décès. Si celle-ci engrange les succès, les retombées en termes d’espérance de vie ont été moins spectaculaires jusqu’ici que celles liées à la révolution cardiovasculaire.

La mortalité par cancer a beaucoup diminué chez les hommes et elle continue de baisser. Chez les femmes, où elle est moindre que chez les hommes, elle a diminué plus lentement, et a même cessé de baisser ces dernières années. L’une des raisons est la montée du tabagisme dans les années 1950 à 1980 dans les générations de femmes ayant 50 ans ou plus aujourd’hui. Elles en subissent les conséquences quelques décennies plus tard, sous forme d’augmentation des cancers liés au tabac.

Les Françaises encore bien placées en Europe

Un même ralentissement des progrès de l’espérance de vie s’observe dans les pays d’Europe du Nord et de l’Ouest. Comme en France, il est plus marqué chez les femmes que chez les hommes. Le ralentissement est ancien chez les Suédoises. Alors que ces dernières bénéficiaient de l’une des espérances de vie les plus élevées d’Europe en 1980, elles ont été rattrapées puis distancées par les Françaises, les Espagnoles et les Italiennes, qui ont pris la tête.

Si les femmes des pays nordiques ont connu plus tôt que les autres le ralentissement, c’est en partie parce qu’elles s’étaient mises à fumer plus tôt, et en ont donc subi plus précocement les conséquences en termes d’accroissement de la mortalité par cancers liés au tabac.

Gilles Pison (d’après les données de l’Insee, du CDC et de la Human Mortality Database), Author provided

Avec plus de 87 ans d’espérance de vie, les Japonaises détiennent le record aujourd’hui. Elles montrent que des marges de progrès existent encore avant d’atteindre d’éventuelles limites. De leur côté, les Français restent toujours mal situés, malgré leur forte progression.

Les États-Unis de plus en plus distancés

Aux États-Unis les progrès de l’espérance de vie ont non seulement ralenti, mais aussi fait place ces dernières années à un recul, à la fois chez les hommes et les femmes. Il est attribué, là aussi, à une montée de la mortalité liée au tabac. À celle-ci s’ajoutent plusieurs problèmes sanitaires, comme la fréquence de l’obésité et une épidémie de décès dus à des overdoses d’opioïdes chez les adultes. Autre facteur aggravant : le système de santé aux États-Unis est inégalitaire, rendant difficile l’accès aux soins pour les plus pauvres.




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Alors qu’aux États-Unis l’espérance de vie atteignait l’une des plus élevées au monde dans les années 1960, ce pays a été rattrapé puis doublé par beaucoup d’autres pays développés. Il est désormais de plus en plus distancé, notamment par les pays européens. En 1980, l’espérance de vie des hommes était identique aux États-Unis et en France. L’avantage des Françaises ne dépassait alors pas 1 an par rapport aux Américaines ; en 2017, l’espérance de vie de ces dernières accuse plus de 4 ans de retard sur celle des Françaises, et l’écart est de plus de 3 ans du côté des hommes.

Il n’est pas du tout certain que l’Europe, et notamment la France, soient touchées à leur tour par un recul de l’espérance de vie, car leurs systèmes sanitaires sont plus protecteurs et plus égalitaires que celui des États-Unis. Cependant, pour que l’espérance de vie continue de progresser en France dans les années à venir, la mortalité liée aux cancers doit continuer à diminuer chez les hommes et reculer à nouveau chez les femmes.

À plus long terme, les gains relatifs aux avancées liées à la lutte contre les maladies cardiovasculaires et les cancers finiront par s’épuiser un jour, comme ce fut le cas pour les avancées liées à la lutte contre les infections. De nouveaux terrains de lutte, comme la lutte contre les maladies neurodégénératives (maladie d’Alzheimer, maladie de Parkinson, etc.) et des innovations médicales et sociales pourraient alors prendre le relais et ouvrir une nouvelle phase de progrès sanitaire. Ce qui pourrait non pas conduire à l’immortalité, vieux rêve inaccessible, mais remettre de nouveau à plus tard le calcul d’une limite à la progression de l’espérance de vie.


Ce texte s’appuie sur l’article « Pourquoi l’espérance de vie augmente-t-elle moins vite en France ? » paru dans le n° 564 de Population et Sociétés.The Conversation

Gilles Pison, Anthropologue et démographe, professeur au Muséum national d’histoire naturelle et chercheur associé à l’INED, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) – Sorbonne Universités

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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