En obtenant leur propre État il y a cinq ans, les habitants majoritairement chrétiens du sud de l’impitoyable Soudan étaient soulagés d’être totalement affranchis de Khartoum dirigé par l’autocrate et persécuteur des minorités, Omar el-Béchir, après six années d’autonomie. Deux ans plus tard, en décembre 2013, la jeune République du Soudan du Sud commençait à sombrer dans la violence interne après avoir subi celle frappant depuis le nord. Le secrétaire général des Nations unies vient de communiquer une note confidentielle au Conseil de sécurité qui dit craindre « des atrocités de masse », rendue publique le 16 novembre.
L’histoire du Soudan du Sud ressemble à celle de nombreuses contrées colonisées dont le sort a été oublié lors de l’accession à l’indépendance des pays où elles se situent. Lorsque le condominium anglo-égyptien sur le Soudan laissa place à un État indépendant le 1er janvier 1956, était divisé par les Britanniques en deux territoires, l’un septentrional majoritairement musulman et arabophone, et l’autre méridional largement chrétien et animiste.
La conversion à l’islam de ce sud où les Britanniques avaient développé l’usage de l’anglais, était, selon L’Égypte, freinée par les ces derniers. Telle était l’idée exposée par le Président du Conseil égyptien, en 1947, Nuqrâshî Pasha, devant le Conseil de sécurité des Nations unies, et Khartoum instrumentalisa plus tard la question religieuse. Le désengagement des deux puissances tutélaires ne profita pas aux provinces du Sud qui ne furent pas rattachées à l’Ouganda chrétien, ni n’obtinrent la tenue par le gouvernement soudanais de sa promesse de créer un État fédéral.
La guerre, une marque congénitale du jeune État sud-soudanais
Dès l’indépendance, des troubles surgissent dans les provinces méridionales
Dès l’indépendance, des troubles surgissent dans les provinces méridionales, aggravés par le coup d’État du général Ibrahim Abboud, et le Front de libération combat les nordistes, avec le soutien d’Israël et de l’Éthiopie, jusqu’en 1972. La guerre civile reprend en 1983 quand le Président Gaafar Mohammed Nimeiry décide d’annuler les accords de paix après la découverte de pétrole dans le sud. Les méridionaux reprennent alors les armes sous la direction du colonel chrétien, John Garang, futur vice-président de la région autonome du Soudan du Sud durant quelques jours en juin 2005, appuyés par Éthiopie. Khartoum tente d’en faire une affaire religieuse en imposant la charia.
La seconde guerre civile aboutit à des accords de paix en 2005 qui prévoient un référendum sur l’autodétermination en 2011 après une période de six ans sous un statut d’autonomie, et Garang devient vice-président dans un gouvernement d’union nationale des deux Soudan sous l’autorité du Président Omar el-Béchir, peu avant de mourir dans un accident d’hélicoptère. En 2010, Salva Kiir, successeur de Garang à la vice-présidence à Khartoum, est élu Président du Soudan du Sud, avant même l’indépendance qui est obtenue par référendum, à 98% de voix favorables à cette scission, en janvier 2011 avec effet à compter du 9 juillet de la même année. A l’indépendance, Riek Machar reste le vice-président du Soudan du Sud jusqu’en 2013 où il est démis de ses fonctions et se soulève contre le Président Kiir.
Un pays né d’une séparation et rapidement entré dans la division
Né dans la guerre, le Soudan du Sud se déchire presque aussitôt dans la guerre civile après un court affrontement avec les troupes de Béchir. Suite à l’indépendance, le Soudan du Nord, pourtant premier État avec l’Allemagne à reconnaître la jeune République méridionale l’attaque. Khartoum a perdu 75 % de ses ressources pétrolières en acceptant la partition, et prétend imposer une redevance jugée exorbitante par Juba s’il veut bénéficier des oléoducs du nord transportant l’or noir que raffine le voisin. La paix relativement installée entre les deux États, la jeune nation est rapidement ébranlée par un séisme politique intérieur.
Le Président Kiir commence à concentrer les pouvoirs entre ses mains
Alors que le Président Kiir, auteur du maintien de l’unité du Sud durant la période de cheminement vers l’indépendance entre 2005 et 2011, avait annoncé que son seul but était d’amener le Soudan du Sud à cette fin, il commence à concentrer les pouvoirs entre ses mains. Le vice-président Machar, pensant peut-être que Kiir ne briguera pas un nouveau mandat annonce se préparer à concourir à l’élection présidentielle initialement prévue pour 2015 (reportée à 2017), suscitant l’ire du chef de l’État qui le limoge alors avec le Gouvernement le 23 juillet 2013.
Déjà, la Constitution a augmenté, sans rien pour les contrebalancer, les pouvoirs du Président qui se contente de diriger le pays au moyen de décrets. Cherchant à étouffer les critiques, Kiir suspend le secrétaire général du parti présidentiel, le SPLM (Armée populaire de libération du Soudan) qui lui a attribué les malheurs du pays que connaissait le pays depuis l’indépendance. Dès l’année de l’indépendance, un conflit tribal dans la province du Jonglei menaçait la fourniture de l’aide humanitaire des Nations unies auprès des populations démunies, et l’armée est entrée en conflit avec les combattants locaux.
Une succession de cessez-le-feu dans une guerre d’ego
Face à la dictature dans une jeune nation à peine sortie d’un conflit et née d’un conflit, la rébellion armée est quasiment inévitable
Face à la dictature dans une jeune nation à peine sortie d’un conflit et née d’un conflit, la rébellion armée est quasiment inévitable. Le 15 décembre, des militaires partisans du vice-président démis se rebellent et le SPLM se scinde en deux, la partie opposée au chef de l’État prenant le nom d’Armée populaire de libération du Soudan dans l’opposition. Au bout de quatre jours, on dénombre 500 morts et 20 000 réfugiés. Après un cessez-le-feu signé le 23 janvier 2014 en Éthiopie entre les représentants de Kiir et de Machar, les combats reprennent en avril 2014, quand des rebelles attaquent une enceinte de l’ONU à Bor, dans le centre du pays, tuant cinquante-huit personnes. Et l’ancien vice-président veut désormais s’emparer des puits de pétrole dans le nord.
La ville septentrionale de Bentiu est alors martyrisée, et 200 civils sont massacrés en raison de leur ethnie, dans une église, une mosquée ou des bâtiments d’évacuation de l’ONU. Les victimes auraient refusé de célébrer l’entrée des rebelles dans la ville. Les combat reprennent entre l’armée et les rebelles le 15 août, et sont achevés par le septième cessez-le-feu le 1er février 2015, avant que les combats ne déchirent l’État pétrolier d’Unité où plus de 100 000 personnes sont déplacées en une semaine.
La paix semble revenir des mois plus tard lorsque le Président Kiir nomme à nouveau Machar vice-président le 16 février 2016 afin de sceller les efforts de paix. Cependant, après des heurts entre ses partisans et ceux de Kiir, Machar fuit le pays pour finalement gagner le Khartoum, l’ancien ennemi, tandis que le chef de L’état divise son mouvement de celui qui a fait défection en lui substituant un nouveau vice-président issu des rebelles, Taban Deng, qui entend bien conserver sa place.
Fin juin, le bilan humain est déjà effroyable, il y a plus de 160 000 civils dans les camps des Nations unies, 2,3 millions de déplacés et des chiffres sans précision parlant de dizaines de milliers de morts. Les combats atteignent à la fin juillet la capitale même, entre l’armée régulière et les milices de Machar. Les heurts entre les partisans de Machar et l’armée régulière continuent, et au moins une quinzaine de soldats sont encore été tués le 16 novembre dernier. La situation étant très tendue, le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, prévient que les forces de paix de la mission onusienne, soit 13 000 soldats et 2 000 policiers, ne seront pas en mesure de prévenir les massacres s’ils doivent se produire.
Une guerre interne où la prise du pétrole s’enchevêtre avec certaines tensions ethniques
Cette guerre est la victoire de Khartoum sur Juba dont les promesses de l’indépendance ont vite été flétries. Dans cette mosaïque de soixante peuples, Béchir joue habilement aux quilles. Prenant Kiir par son point faible, l’envie de conserver le pouvoir, le Soudan du Nord l’a poussé à combattre ses anciens alliés du SPLM-Nord, des musulmans qui, n’ayant pas pu prendre part aux accords de paix de 2005 sont toujours en guerre avec le régime islamiste du nord et se sentent désormais abandonnés par leurs frères d’armes chrétiens, lesquels soldats chrétiens ne comprennent pas l’oubli de ces soldats musulmans qui combattaient à leurs côtés ; et Kiir a obtenu de Béchir le redémarrage du transport du pétrole dont il a besoin pour financer sa campagne.
Cette guerre interne où la prise du pétrole, essentielle pour obtenir le pouvoir en privant le Gouvernement des recettes de l’or noir, s’enchevêtre avec certaines tensions ethniques, particulièrement entre les Nuer, auxquels appartient l’ancien vice-président, et les Dinka dont est issu le Président, sur fond de revanche historique après le massacre de 2 000 Dinka par les Nuer fidèles à Machar en 1991.
Les États-Unis souhaitent instaurer un embargo sur la vente d’armes au Soudan du Sud, ce qui n’enchante ni la Russie ni la Chine. Les deux pays estiment que cela créerait davantage de risques dans un pays aussi tendu. Moscou considère par ailleurs qu’il serait extrêmement irresponsable, actuellement, d’imposer des sanctions ciblées aux dirigeants du Soudan du Sud, et Juba estime être dans son droit en utilisant des armes face aux rebelles.
Gérard Prunier, chercheur et spécialiste de la région met en garde contre le risque d’embrasement ou les violences communautaires l’emporteraient sur le question politique, alors que, même si cette composante est d’importance, elle n’est pas la cause déterminante du conflit : « Une fois de plus, le glissement du politique à l’ethnique s’amorce. S’il n’est pas arrêté, nous pouvons avoir dans les semaines qui viennent un Rwanda de 650 000 km2. »
Hans-Søren Dag