Les limites entre la justice des hommes et celle de l'Eglise au crible de la Cour de cassation

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Où situer la frontière entre la justice de la République et celle de l'Eglise ? Saisis par un diacre défroqué par un tribunal ecclésiastique, les juges suprêmes de la Cour de cassation se sont penchés vendredi sur cette délicate question.

Tout commence en 2007, quand ce diacre du diocèse de Toulouse est suspendu par son évêque après avoir été accusé de viols par une paroissienne. Des accusations fermement démenties par l'intéressé qui conteste toute relation sexuelle et qui, selon son avocate, n'ont jamais fait l'objet d'une plainte devant la justice pénale.

Joint au téléphone par l'AFP, Sosthène Niongui, originaire du Congo-Brazzaville, fait part de son "sentiment d'injustice". Un temps intérimaire, aujourd'hui sans emploi, il déplore avoir perdu toutes ses années de séminaire. "Je suis sorti de là, même pas un centime, et il faut parler de la miséricorde dans l'Eglise !? C'est injuste", dénonce cet homme de 55 ans désormais sans emploi.

Dans une sentence confirmée par le tribunal de la Rote romaine (juridiction d'appel au sein de l'Eglise catholique) en 2015, le diacre a été démis de ses fonctions religieuses, se trouvant ainsi "renvoyé de l'état clérical", sanction la plus sévère que peut prononcer l'Eglise contre un de ses ministres du culte. Perdant de ce fait logement de fonction, revenus et Sécurité sociale, l'ex-diacre saisit la justice et demande 675.000 euros de dommages et intérêts.

Il est d'abord débouté, puis la cour d'appel de Toulouse se déclare incompétente, en février 2021.

C'est ainsi que cette affaire est arrivée devant l'assemblée plénière de la Cour de cassation, sa formation la plus solennelle, convoquée pour trancher les plus importantes questions de droit.

"Les sentences" des tribunaux religieux "n'ont de valeur que pour la conscience des fidèles et la vie interne de l'Eglise", plaide sous les dorures et angelots potelés de la Grand'Chambre de la juridiction suprême, l'avocat de l'ex-diacre, Me Gilles Thouvenin.

"Affaires internes"

S'il a à présent "accepté son éviction de l'Eglise", l'ex-diacre s'oppose au fait que la justice civile refuse de statuer sur ses demandes, a-t-il poursuivi.

En face, l'avocat de l'association diocésaine Blaise Capron, se dresse contre ce qui serait une immixtion de l'Etat "dans les affaires internes à une communauté religieuse" et fait valoir que la rémunération versée à un diacre n'est pas celle d'un travail, mais a simplement vocation à subvenir à ses besoins.

"Aucun contrat ne liait le demandeur à l'association diocésaine de Toulouse", a-t-il argumenté, soulignant que les "obligations" d'un ministère du culte "ont un fondement uniquement spirituel".

"Vous ferez primer la liberté" en rejetant le pourvoi, a-t-il conclu, "vous ferez une œuvre de paix".

Citant Victor Hugo, "l'Eglise chez elle, l'Etat chez lui", le procureur général Rémy Heitz a estimé que l'incompétence de la justice civile devait être confirmée.

Les obligations d'un ministre du culte sont "très éloignées d'une relation contractuelle", a fait valoir le haut magistrat, estimant qu'un tel contrat viendrait d'ailleurs se heurter au principe de laïcité.

Quant à la question de la discrimination invoquée par l'ex-diacre dans cette affaire, elle n'a pas été à proprement parler soulevée dans la procédure et "rien dans ce dossier ne permet d'étayer un renvoi pour motif discriminatoire". Et si discrimination il y avait, "elle ne saurait être reprochée à l'association diocésaine", le renvoi du diacre relevant du tribunal de la Rote.

Mais sur le principe, le parquet général considère qu'un tel contrôle doit avoir lieu et que l'Etat ne saurait avoir "un rôle de spectateur impuissant" et doit opérer un contrôle "fondé sur le respect des droits fondamentaux".    

La décision sera rendue le 4 avril.

La Rédaction (avec AFP)

Crédit image : Shutterstock / Busra Ispir

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