À la télé, c’est toujours Noël avant l’heure. Demain soir, Miss France fêtera ses 100 ans sur TF1. Mardi dernier, l’événement était sur M6 avec la finale de La France a un incroyable talent. L’émission de Karine Le Marchand connut un record d’audience : 4,8 millions de téléspectateurs, soit le programme le plus regardé de la soirée et la finale la plus suivie depuis 12 ans !
Aujourd’hui, une famille aux visages d’ange vit sur son nuage : ce sont les Lefèvre, lauréat de cette saison 2020 : deux parents, six enfants, tous unis par la passion du chant lyrique. Le répertoire de cette famille-nombreuse-non recomposée-catho-versaillaise ? De la musique sacrée… Avec toutes ces tares, il fallait vraiment du talent pour ne pas se faire éliminer. À l’arrivée, 30,1% des votes se portèrent sur ce chœur polyphonique, soit beaucoup plus que pour les autres artistes du podium, les Wonsembe (13,8%) et les Sancho (10%).
Comment expliquer ce phénomène qui, sans être un tsunami, est une belle vague télévisuelle ?
Ashley Bensimhon, productrice de l’émission pour la société Fremantle, analyse dans Le Figaro : « Quand on les a vus pour la première fois, on a tous pensé à “La Mélodie du bonheur”, le jury était un peu moqueur. Mais vous savez, je suis juive, religion ou pas, j’ai adoré : ce que cette famille a donné est bien au-dessus de tout cela. Depuis le début, les Lefèvre dégagent une harmonie, une conviction et une joie de chanter ensemble que le public a immédiatement appréciées. Qui plus est, à la fin de cette année si dure ! Ce travail en famille, leur bienveillance ont exercé comme une magie… Ils nous ont apporté du bonheur. » Qu’Ashley Bensimhon confesse son identité juive n’est pas neutre tant celle-ci imbrique traditions familiales et religieuses. De l’harmonie quand la désunion est partout ; de la joie quand la tristesse est partout ; de la conviction (et si c’était de la foi ?) quand le néant est partout… voilà ce qui fit gagner les Lefèvre, sans doute dès le premier coup d’œil et surtout de tympan.
En cette année noire, le jury vit un rai de lumière inonder la scène. C’est toute la différence entre impressionner, ce que font les acrobaties, et émouvoir, ce que réalisent la musique et le chant quand ils sont beaux. Ces arts ne se limitent pas à une prouesse : ils portent une idée qui, en se diffusant par la sensibilité, pénètre l’âme. C’est une leçon pour la militance catho : la démarche émotionnelle de séduction est toujours plus efficace que la démarche rationnelle de conviction. C’est ainsi que l’industrie de l’Entertainment formatent les mœurs. Le Divertissement est aux sociétés de marché ce que l’idéologie est aux dictatures. Ces spectacles de haute qualité, hyperdosés en pubs, sont à la fois un canal et une matrice. Avoir gagné dans cet univers-là est un exploit.
Quand les partis politiques ne savent plus où ils habitent, les bulletins affluent dans l’urne de la télé. Faut-il y voir une revanche d’une sociologie méprisée ? Depuis 2012, les manifs contre le « mariage gay » et la PMA déplorent les systèmes de comptage. Mardi soir, la viralité joua à fond et après avoir maugréé contre le verrouillage des cultes, cette mouvance se rattrapa en faisant déborder la jauge catho.
Outre leur voix, les Lefèvre livrèrent un témoignage de simplicité et d’enthousiasme. Rien à voir avec le cliché des riches bourgeois du 78 prenant la grosse tête. D’ailleurs, après les avoir gentiment chambrés sur Versailles, le jury passa à autre chose. C’est la plus grande leçon de cet événement : faire tomber le masque, celui de la caricature. Aucun aspect clivant n’affleura jamais chez eux. Pourtant, l’image qu’ils renvoyèrent, beaucoup ne la supportent pas, comme si le bonheur des uns faisait le malheur des autres. Sans même parler de la jalousie suscitée par le chèque de 100 000€… Depuis trois jours, des internautes « enragent » contre cette « famille parfaite » et tentent de l’affubler d’un gros nez rouge, comme la Dépêche du Midi écrivant Lefèvre comme… Mgr Lefebvre.
Les téléspectateurs virent autre chose : une sorte de moment de grâce, de temps suspendu à l’expression d’on ne sait plus quelle bonne nouvelle. L’interprétation de Douce nuit exalta l’enfance et l’innocence. Comme un répit entre l’attaque de la basilique de Nice et la peur d’un attentat contre une église à Noël.
Louis Daufresne
Source : Le Figaro
Cet article est republié à partir de La Sélection du Jour.