C’est un décret pris le 10 septembre par le Guide suprême de la Révolution qui provoque la colère des femmes d’Iran désireuses d’autonomie.
A
li Khameini a édicté une fatwa interdisant aux femmes de faire de la bicyclette, ce afin de préserver leur chasteté. Le bassidj, la milice islamique du régime, est appelée à faire régner l’ordre en la matière.
« Faire du vélo attire l’attention des hommes et expose la société à la corruption, et surtout cela contrevient à la chasteté des femmes, il faut l’abandonner. »
Une fatwa et des motifs raillés sur sa page Facebook par une association de femmes iraniennes militant pour le droit de s’habiller à leur guise, My Stealthy Freedom (ma liberté furtive). Le mouvement a été fondé en 2014 par une journaliste iranienne vivant à Londres, Masih Alinejad. Des femmes se filment ou se font photographier sur leurs vélos et diffusent les images en signe de défi à cette règle religieuse. Sur le réseau social où s’agrègent les critiques contre la fatwa, on peut par exemple lire « Je suis un être humain et je suis capable de prendre mes propres décisions. Personne ne peux me dicter ce que je dois faire. » Et c’est même en public, dans la ville, que des femmes s’affichent maniant la petite reine.
Cette dernière interdiction s’ajoute à celle concernant les « manteaux inappropriés » auxquels les autorités font la chasse depuis un mois et demi. Environ 3 000 magasins vendant des vêtements avec des inscriptions en anglais, par exemple « Keep calm. I am the Queen » (Reste tranquille. Je suis la Reine) ont reçu un avertissement, et 800 d’entre eux ont été fermés. Et des affiches publicitaires avertissent les Iraniennes :
« Ma sœur, ces vêtements ne sont pas appropriés pour les femmes musulmanes. »
Ces manteaux interdits pour cause de langue anglaise (tout comme les « Nutella Bar » qui agacent l’Académie de la langue persane) ne sont pas les seuls derniers vêtements dans le collimateur des autorités, les manteaux aux manches courtes ou sans boutons agacent également le régime. Fin 2014, les parlementaires avaient voté une proposition de loi pour renforcer les contrôles policiers concernant la tenue vestimentaire des femmes qui s’était relâchée : au lieu de porter des vêtements amples et un hijab recouvrant les cheveux et le cou, de plus en plus de femmes s’étaient mises à arborer un voile léger, même des vêtements moulants ou encore des tuniques arrivant à mi-cuisse. Le texte nommé « Soutien à ceux qui font la promotion de la vertu et combattent le vice » avait été rejeté par le Conseil des gardiens, les défenseurs de la charia, qui tenaient à l’amender plutôt que de le laisser tel quel. Le Président Hassan Rohani avait critiqué la proposition :
« Nous ne devrions pas nous focaliser sur un seul sujet (comme la façon de porter du voile), pour prévenir le vice. »
Depuis la Révolution, en 1979, les femmes sont tenues de se revêtir d’un long manteau ou du tchador. La contestation gagne du terrain, aussi bien chez les militantes laïques que chez les féministes musulmanes.
Le vélo, un nouvel interdit dans un va-et-vient du droit des femmes
Les femmes qui ont soutenu la Révolution et l’avènement du régime des mollahs en 1979 se sentent trahies. Sous le Shah, les femmes bénéficiaient de certains droits, particulièrement obtenus sous le règne de Mohammad Reza Pahlavi, le dernier empereur d’Iran. C’est au nom de l’islam que le monarque reconnaît aux femmes le droit d’entreprendre des études universitaires, d’être éligibles et électrices, d’accéder à des emplois qui leur étaient jusque là interdits, par exemple celui de juriste.
Les droits du mari en matière de mariage sont réduits, il ne peut plus répudier sa femme et a besoin de son consentement s’il veut prendre une épouse en plus. En 1978, 30% des étudiants sont des femmes, il y a 22 femmes députés et deux sénatrices, contre 13 au total aujourd’hui alors que jusqu’en 1978 la présence des femmes dans l’espace politique s’accroissait. En 1968, Farokhrou Parsa, une femme fut même nommée ministre de l’Éducation, exécutée par un tribunal islamique en 1979.
Cependant, en dépit de ces avancées, la société iranienne restait encore sous la prédominance masculine. Et surtout, le pouvoir du Shah était jugé corrompu en plus d’être lié aux États-Unis. Lorsque l’Ayatollah Rouhollah Khomeyni appelle les femmes à rejoindre les hommes dans la rue et à défier le pouvoir malgré le couvre-feu, celles-ci voient en lui un espoir d’amélioration pour elles. Le Shah renversé, Khomeyni devenu Guide de la Révolution de la République islamique d’Iran, les femmes réalisèrent combien on les avait instrumentalisées. Les vêtements féminins furent strictement codifiés au bénéfice du hidjab, et Khomeiny déclara même :
« Chaque fois que dans un autobus un corps féminin frôle un corps masculin, une secousse fait vaciller l’édifice de notre révolution. »
Les hommes retrouvent leurs privilèges concernant les affaires du mariage, avec des droits supplémentaires. Ainsi, depuis une loi du 2 octobre 2013,un père peut épouser sa fille adoptive d’au moins 13 ans, si le tribunal compétent le lui accorde. Cette loi susceptible de favoriser des adoptions douteuses est officiellement contestée par le Président Rohani qui a demandé, pour l’instant en vain, à son gouvernement de trouver une solution pour annuler l’article litigieux.
Depuis la Révolution, les femmes s’estiment trahies, et les féministes, aussi bien laïques que musulmanes, s’opposent à la restriction de leurs droits et s’associent pour cela. Au grand dam non seulement des islamistes, mais également de certains modernistes. Elles avaient porté les religieux au pouvoir afin d’obtenir la justice sociale, et la classe moyenne conservatrice désormais au pouvoir imposait son idéologie.
Victimes de ségrégations dans les bus où elles devaient s’asseoir à l’arrière tandis que les hommes se tenaient devant, interdites d’accès aux hautes fonctions publiques, et voyant l’âge nubile passer de 18 ans à 9 ans pour les filles, les femmes défièrent les oulémas. Puisque, comme les hommes, les femmes musulmanes soutenaient la Révolution, pourquoi étaient-elles négativement discriminées ?
Les femmes laïques, elles, publièrent des hebdomadaires et des mensuels très acerbes envers l’islam qu’elles accusaient de ne pas rendre justice aux femmes ; les musulmanes y répondirent en citant des textes bienveillants envers leur gent. Le pouvoir céda quelque peu pour éviter le discrédit sur la religion, et, sous les présidences modérées, les femmes retrouvèrent certains de leurs droits acquis sous le règne du Shah : les femmes juges furent par exemple réintégrées dans les tribunaux de la famille.
Ce mouvement de flux et reflux des libertés des femmes est constant, et l’alliance entre féministes laïques et musulmanes croît en vigueur, ce qui explique que des femmes osent à ce point défier la fatwa leur interdisant de faire du vélo. Elles se sentent de plus en plus reconnues de l’extérieur, que ce soit par l’octroi du prix Nobel de la paix à l’avocate féministe des droits de l’homme, Shirin Ebadi, en 2003, à qui le régime a confisqué sa récompense, selon la Norvège – ce que nie l’Iran ; ou par l’attribution, l’an passé, du « Women’s Rights Award », une récompense pour les droits des femmes, au mouvement My Stealthy Freedom qui aujourd’hui dénonce le décret sur l’interdiction du vélo au femmes. Une interdiction qui échouera peut-être comme n’avait pas eu de succès le projet iranien de vélo islamique pour les femmes, qui devait dissimuler leurs formes au moyen d’une cabine recouvrant la moitié de leur corps.
Hans-Søren Dag
Photo : « Femme iranienne défiant la fatwa », reproduction avec l’aimable autorisation de My Stealthy Freedom