Lundi 6 et mardi 7 février l’Association Française de Sciences Religieuses (AFSR) tenait son colloque annuelle. Actualité oblige, le thème de cette année était “Partis politiques et la religion (20e-21e siècles)”.
Plus d’une quinzaine d’interventions étaient prévues couvrant divers pays (France, Turquie, Etats-Unis, Sri Lanka, etc.) et différentes religions (bouddhisme, catholicisme, islam, protestantisme, etc.). Parmi ces interventions deux concernaient, en partie ou en totalité, les évangéliques et leur rapport à la politique. La première, celle de Blandine Chelini-Pont (Université Aix-Marseille – GSRL) et Marie Gayte-Lebrun (Université de Toulon – BABEL) s’intitulait : « God’s Own Party ? Républicains, démocrates et vote religieux à l’aube du XXIe siècle ». Tandis que la seconde, de Franck La Barbe (Université de Montpellier – CRISES), s’intitulait :
“Une équation impossible ? Les protestants évangéliques et l’engagement en politique. Analyses de quelques données anthropologiques.”
Outre l’intérêt individuel de chacune de ces interventions, la mise en perspective des deux permettait une comparaison intéressante. En effet, ces interventions concernaient des situations très différentes. D’un côté, un pays où les évangéliques sont nombreux et influents, de l’autre un pays où le courant évangélique est au contraire (très) minoritaire.
Depuis les années 1980, le Parti Républicain était devenu le parti qui ralliait le vote des chrétiens conservateurs. Toutefois, certains observateurs pensaient que les choses évoluaient, notamment au vu des résultats de Barack Obama.
L’élection de Donald Trump a fait mentir tous les pronostics
Cependant l’élection de Donald Trump a fait mentir tous les pronostics. Le soutien des chrétiens conservateurs, et particulièrement des évangéliques blancs, a été plus fort que jamais. Pour cette catégorie d’électeurs, Donald Trump a fait même mieux que George Bush, qui se revendiquait pourtant lui-même évangélique, puisqu’il a obtenu plus de 80 % des voix des protestants évangéliques blancs. Comment expliquer cela ?
Tout d’abord, notons que sur les questions sociétales, Trump a envoyé plusieurs signaux forts envers les chrétiens conservateurs, tandis qu’Hillary Clinton a fait exactement l’inverse. Par ailleurs, une question qui a beaucoup joué et dont les médias français ont peu parlé, car cela est très étranger à notre système, est celle de la nomination du juge à la cour suprême. Aux Etats-Unis, la cour suprême joue un rôle très important et chaque juge est nommé à vie, même s’il peut bien sûr se retirer. Un juge reste donc en place beaucoup plus longtemps qu’un président. Or, les démocrates voulaient nommer un juge pro-avortement, tandis que Donald Trump s’était engagé à nommer un juge opposé à l’avortement. Enfin, d’autres promesses ont été faites, concernant par exemple le droit pour les Eglises de s’engager en politique.
Cela ne veut pas dire que les évangéliques français diffèrent des évangéliques américains sur les questions morales, mais l’échelle de valeur n’est pas la même
En France, la situation est bien différente. On a pu le constater avec les réactions des évangéliques suite à la victoire de Donald Trump. Celui-ci était loin de rallier 80% des évangéliques blancs. De ce que j’ai pu constater, le pourcentage de pour et de contre était à peu près équilibré. Si certains évangéliques français l’ont soutenu pour les mêmes raisons que les évangéliques américains, d’autres se sont montrés beaucoup plus critiques vis-à-vis de sa politique, notamment en matière d’immigration. Ainsi, on peut constater que le monde évangélique français est beaucoup plus marqué à gauche, économiquement, que le monde américain et accorde aussi plus d’importance à ces questions. Cela ne veut pas dire que les évangéliques français diffèrent des évangéliques américains sur les questions morales, mais l’échelle de valeur n’est pas la même.
Beaucoup d’évangéliques français sont réticents à s’engager directement en politique
Par ailleurs, beaucoup d’évangéliques français sont réticents à s’engager directement en politique. Un micro parti politique chrétien avait été lancé, le Parti Républicain Chrétien, mais celui-ci n’a jamais pu réellement se pérenniser, à cause notamment des critiques venant de son « propre camp ». Cette attitude évangélique est liée à une certaine théologie qui perçoit le monde, et particulièrement le monde politique, comme mauvais et considère donc qu’il faut à tout prix se tenir à l’écart de cela. Cependant, il existe aussi d’autres courants qui considèrent au contraire que les chrétiens étant le sel de la Terre, ils se doivent d’être présents dans toutes les sphères de la société, y compris la sphère politique.
Ainsi, à l’approche des échéances électorales, il peut être utile de ne pas seulement se poser la question « pour qui vais-je voter ? », qui n’est qu’une solution de court terme, mais de réfléchir plus en profondeur sur le lien entre foi et politique, entre cité terrestre et cité céleste. Quelle place pour le chrétien au sein de nos sociétés ? Quel rôle peut-il jouer dans la gestion de la cité ?