
Tandis que des responsables de louange disparaissent et que des fidèles restent chez eux, certains pasteurs latinos se sentent trahis par la sévérité des politiques gouvernementales.
Agustín Quiles observe de près l’anxiété des pasteurs de Floride, un appel après l’autre.
Quiles dirige une organisation de défense des évangéliques latinos dans l’État. Il perçoit l’inquiétude dans la voix des pasteurs qui l’appellent, inquiets pour les jeunes de leurs églises, dont certains refusent d’aller à l’école, par peur d’être interceptés par les agents de l’immigration. Il l’entend aussi lorsque des pasteurs lui disent qu’une famille de plus a cessé de venir à l’église, jugeant la situation trop risquée.
Un pasteur lui a récemment confié son inquiétude au sujet d’un responsable de son église, un Colombien en situation irrégulière qu’il considère comme son bras droit. "Si quelque chose lui arrive, je ne pourrai jamais le remplacer", lui a-t-il dit.
Mais ce qui revient le plus souvent dans ces appels, ce sont les confidences de pasteurs qui disent se sentir trahis. Beaucoup avaient soutenu Donald Trump pour ses positions conservatrices sur des sujets de société, comme les droits des personnes transgenres. Mais soixante jours après le début de son second mandat, nombre d’entre eux confient à Quiles regretter leur choix face à ce que subissent leurs proches et leurs communautés.
Les mesures rapides prises par le président américain pour fermer la frontière et expulser des milliers d’immigrés suscitent des réactions très contrastées : des applaudissements parmi ses partisans, dont de nombreux évangéliques, mais aussi des manifestations et au moins 29 recours en justice liés à l’immigration.
En Floride, qui s’impose comme le laboratoire des États conservateurs dans la mise en œuvre locale des politiques de Trump, les responsables d’églises hispaniques décrivent une population sidérée, confrontée à une double peine.
Une répression accrue en Floride
Les législateurs floridiens s’efforcent en effet de surpasser le reste du pays dans la lutte contre l’immigration illégale. En février, le gouverneur républicain Ron DeSantis a signé une série de lois élaborées en collaboration avec l’administration Trump.
Ces lois criminalisent l’entrée en Floride des immigrés sans papiers, obligent les forces de l’ordre locales à collaborer avec les autorités fédérales pour les arrêter, et alourdissent les peines infligées aux personnes en situation irrégulière. La peine de mort devient obligatoire pour les sans-papiers reconnus coupables de meurtre.
“En Floride, il y a une peur terrible”, dit Blas Ramírez, évêque de l’International Pentecostal Holiness Church, basé à West Palm Beach, qui supervise plusieurs communautés dans l’État. Selon lui, environ un tiers de ses fidèles sont sans papiers. Il constate une baisse de la fréquentation dans ses églises. Dimanche dernier, par exemple, des Vénézuéliens habitués à participer au culte ont préféré rester chez eux.
Ils faisaient face à des rumeurs incessantes de descentes de police et venaient d’apprendre que les autorités fédérales avaient invoqué une ancienne loi datant de la guerre civile pour expulser des immigrés vénézuéliens vers une mégaprison au Salvador, sous des accusations de terrorisme, bien que leurs proches affirment que les seuls "crimes" de certaines de ces personnes soient d’avoir des tatouages.
“Le président applique une loi des années 1800 aux sans-papiers, une loi qui s'applique aux ennemis des États-Unis”, souligne Ramírez.
“Qu'est-ce que cela veut dire ?”
Soutien électoral et désillusions
Lors de l’élection présidentielle de 2024, la majorité des évangéliques latinos ont voté pour Donald Trump. Ils avaient été sensibles à son discours sur l’économie et à ses positions traditionnelles sur l’avortement et la sexualité. Près des deux tiers des protestants hispaniques ont voté pour lui, contre 46 % des Latinos en général. En Floride, le soutien des Hispaniques à Trump est encore plus fort que dans d’autres États à forte population latino.
Aujourd’hui, certains évangéliques hispaniques de Floride se disent déçus. Gabriel Salguero, pasteur de The Gathering Place, une église des Assemblées de Dieu à Orlando, affirme :
"Nous sommes favorables à l’expulsion des criminels violents et à la sécurisation de la frontière. Ce qui nous inquiète, c’est que le discours officiel ne reflète pas la réalité."
Depuis le retour de Trump à la Maison-Blanche, l’agence de l’immigration (Immigration and Customs Enforcement - ICE) a effectivement arrêté plus de criminels. Selon les données du gouvernement compilées par l’université de Syracuse, durant les premières semaines de février, plus de 20 000 immigrés ayant un casier judiciaire ou faisant l’objet de poursuites ont été interpellés, un chiffre plus élevé que pendant n’importe quel mois de l’administration Biden.
Mais ces chiffres sont à nuancer. L’ICE considère comme infractions pénales des faits aussi mineurs que conduire avec un feu arrière défectueux. Les données ne permettent pas de savoir combien de ces personnes ont réellement commis des crimes violents.
Ce qui est certain, en revanche, c’est que les arrestations de personnes sans casier judiciaire ont explosé. En deux semaines de février, plus de 3 700 immigrés sans antécédents criminels ont été arrêtés, soit une hausse de 334 % par rapport aux deux premières semaines de janvier.
Gabriel Salguero s’inquiète du langage utilisé par l’administration, qui tend à amalgamer tous les immigrés et à les criminaliser. Il cite l’exemple des bénéficiaires du Statut de Protection Temporaire (TPS), qualifiés aujourd’hui "d’illégaux" alors qu’ils bénéficient d’une protection créée par le président George H. W. Bush pour éviter un renvoi vers des pays trop peu sûrs.
“Ne jouons pas à ces jeux en disant que les personnes bénéficiant du TPS sont des criminels illégaux”, dit Salguero, qui est également président de la National Latino Evangelical Coalition.
“C'est subtil : ils ont commencé par dire 'Nous nous attaquons aux criminels'. Maintenant, ils disent : 'Tous des criminels'. Contravention pour excès de vitesse ? Traversée hors des clous ? Cela fait de vous un criminel ?”
Des églises sous surveillance permanente
Ces derniers jours, Salguero a reçu plusieurs messages d’alerte. Un pasteur de Tampa lui a appris que le guitariste de son église avait été arrêté, laissant sa femme et leur enfant citoyen américain seuls. Une dénomination pentecôtiste a décidé de déplacer en ligne un événement auquel Salguero devait participer, par peur des déplacements.
De nombreux responsables de ministères latinos témoignent d’un climat de peur inédit dans les églises. Beaucoup expliquent cette situation par la décision du gouvernement fédéral, en janvier, d’autoriser les interventions de la police de l’immigration dans les lieux de culte. Une décision contestée en justice.
Luis Ávila, directeur des ministères hispaniques pour l’International Pentecostal Holiness Church, constate que si certaines églises poursuivent leurs activités normalement, d’autres surveillent de près toutes les entrées et sorties. Beaucoup de fidèles préfèrent rester chez eux et suivre les cultes en ligne.
"Nous avons déjà connu des périodes difficiles, mais jamais à ce point-là", explique Ávila.
En Floride, les évangéliques hispaniques se sont déjà élevés contre le soutien du gouverneur DeSantis à des mesures anti-immigration sévères. En 2023 ils avaient réussi à faire modifier une loi qui aurait criminalisé le transport de personnes en situation irrégulière. Mais ces succès sont rares. Et les responsables religieux ont du mal à comprendre pourquoi tant de dirigeants politiques, souvent proches de la foi évangélique, soutiennent de telles lois. En novembre dernier, plus de 80 % des électeurs évangéliques blancs aux États-Unis ont voté pour Trump.
"Pour les évangéliques latinos, cela ressemble à une forme de persécution. Cela paraît étrange, mais c’est un peu comme si, peu importe que vous soyez chrétien ou non, si vous êtes sans papiers, vous n’avez pas votre place ici", résume Quiles.
Salguero rappelle que les sondages Lifeway Research montrent que les évangéliques souhaitent agir en conformité avec les principes bibliques : respecter l’autorité (Romains 13), mais aussi refuser de se conformer à ce monde (Romains 12). Et sur l’accueil des immigrés, la Bible est claire à ses yeux : "De l’époque d’Abraham à celle de Jésus, nous sommes appelés à intégrer les immigrés avec humanité."
Des familles disloquées
Pour Ramírez, c’est le contraire qui se produit. L’évêque cite le cas d’un couple pastoral vénézuélien dont la petite église d’Orlando s’est disloquée après l’arrestation de plusieurs membres. Un jour, alors que le groupe de louange répétait dans une salle commune, les musiciens ont été arrêtés à leur sortie. Quelques jours plus tard, une nouvelle descente a eu lieu.
Ramírez estime que les évangéliques qui tolèrent ces pratiques sont complices d’actes injustes. "L’Église est censée défendre les opprimés, pas leurs oppresseurs."
Ancien avocat en République dominicaine, Ramírez a été arrêté deux fois à Cuba dans les années 1990 pour avoir prêché l’Évangile. Il considère que ce climat de peur est le signe que les libertés individuelles sont en danger.
"Je pensais ne jamais revoir ce genre de peur et de terreur. Mais aujourd’hui, les gens le vivent ici."
Se préparer au pire
Quiles est particulièrement troublé par la nouvelle peine de mort obligatoire en Floride pour les immigrés sans papiers qui commettent des crimes violents. Il est le président de Mission Talk, un groupe politique qui travaille avec un ensemble varié d'églises latinos en Floride - de pentecôtistes conservateurs à des baptistes plus progressistes sur le plan théologique - afin de les impliquer dans l'élaboration de la politique de l'État. Outre le lobbying en faveur d'une politique d'immigration plus compatissante, son organisation s'oppose à la peine capitale.
Depuis plusieurs années, il organise des voyages pour les responsables religieux à Montgomery, en Alabama, pour étudier l’histoire des droits civiques et du suprémacisme blanc aux États-Unis.
"Je n'ai jamais vécu cela", dit Quiles.
"Mais j'ai l'impression qu'ils essaient de revenir à cette époque où on lynchait n'importe qui pour n'importe quelle raison. Est-ce le même esprit ? Est-ce le même péché que nous n'avons jamais traité, avec cette obsession d'appliquer automatiquement la peine de mort à une personne sans papiers ?"
Les responsables hispaniques disent avoir passé les deux derniers mois dans d'innombrables réunions à discuter des droits légaux et de la sécurité de l'église, à discuter de ce que les membres doivent faire pour se préparer au cas où ils seraient détenus. Avez-vous préparé une procuration pour un avocat ? Savez-vous qui s'occupera de vos enfants si vous disparaissez ? Qui gérera votre maison et vos biens ? Des conversations identiques se sont répétées des milliers de fois, en Floride et dans tout le pays.
"Aujourd’hui, si vous êtes pasteur d’une église hispanique, vous ne pouvez pas éviter de parler d’immigration", affirme Ávila.
"C’est devenu une part de notre quotidien."
Mais il insiste aussi sur l’importance de prier. Il ne veut pas que des criminels entrent dans le pays, mais il espère une solution pour les familles de ses fidèles.
"Je connais des centaines de familles qui ne font que contribuer positivement à ce pays. Je vois comment elles vivent, travaillent, agissent."
Et lorsqu’il prie pour elles, Ávila commence toujours ainsi : "Seigneur, je te demande de toucher le cœur et l’esprit de nos législateurs."
Andy Olsen
Un article de Christianity Today. Traduit avec autorisation. Sous-titres ajoutés par Infochrétienne. Retrouvez tous les articles en français de Christianity Today.