Tandis que la plus vieille tablette connue du Décalogue sera mise aux enchères le 16 novembre à Los Angeles, des États fédérés américains sont occupés par la question de la présence des Dix Commandements dans les lieux publics. L’Oklahoma a décidé de ne pas autoriser une révision constitutionnelle permettant d’afficher le texte mosaïque.
Le 8 novembre dernier, les électeurs oklahomans ont rejeté par référendum la proposition d’afficher les Dix commandements sur le terrain du bâtiment du Capitole, le siège de la législature de leur État. Ce vote achève légalement une tension grandissante dans l’Oklahoma concernant la présence du Décalogue à cet emplacement, une tension qui se développe dans le reste du pays.
En juillet 2015, après une bataille judiciaire de deux ans, la Cour suprême de l’Oklahoma avait jugé que le monument sur lequel étaient écrits les Dix Commandements devait être retiré. La stèle, d’un coût supérieur à 1 000 dollars, avait été financée sur les deniers personnels du représentant républicain au sein de la législature de l’État, Mike Ritze, approuvé par ses collègues majoritairement républicains. En guise de provocation, un groupe sataniste basé à New York chercha à obtenir le droit d’ériger une statue d’une divinité à tête de bouc, Baphomet, en « hommage à Satan », près de ce monument et d’autres groupes demandèrent à pouvoir bâtir leurs stèles au même endroit.
L’Union américaine pour les libertés civiles et Bruce Prescott, le directeur de l’association Mainstream Oklahoma Baptists, une congrégation baptiste qui milite pour la séparation de L’Église et de L’État, avaient porté l’affaire devant les tribunaux. En septembre 2014, un juge de district avait statué que le monument avait une visée historique et ne présentait pas seulement un message religieux, que de plus il se situait sur un terrain où étaient sis cinquante-et-un autres monuments portant une déclaration. Le ministre de la Justice, Scott Pruitt, avait alors déclaré :
« Le jugement d’aujourd’hui est un message clair que les Dix Commandements peuvent être exposés sur des terrains publics comme celui du Capitole de l’Oklahoma à cause du rôle historique que le texte a joué dans la fondation de notre pays. »
Les plaignants déboutés avaient finalement obtenu gain de cause devant la Cour suprême fédérée, au terme d’un jugement selon lequel la présence de la stèle violait l’article 2, section 5 de la Constitution de l’Oklahoma qui dispose que la propriété publique ne saurait être utilisée pour promouvoir une dénomination ou un système religieux. Pour les magistrats, dans une décision à cinq contre deux, il était faux de prétendre que la stèle avait une finalité historique non religieuse puisque les Dix Commandements sont évidemment religieux par nature et font partie de la foi des juifs et des chrétiens. Désireux de passer outre l’arrêt, en avril dernier, les représentants de l’Oklahoma avaient décidé, en avril dernier et par soixante-sept contre cinq, de soumettre aux citoyens une proposition de révision constitutionnelle pour permettre indirectement le retour du Décalogue au Capitole. Au terme du référendum, 57,1 % des votants ont dit non à cette possibilité.
Un autre débat agite le paysage politique de l’État, la Freedom From Religion Foundation, association de libre-pensée militant pour la séparation de l’Église et de l’État, écrit aux écoles publiques pour dénoncer la distribution d’exemplaires de la Bible par l’organisation des Gédéons. Pour le ministre de la Justice, il s’agit là d’attaques contre les libertés religieuses. Scott Pruitt a déclaré que « peu de choses sont aussi sacrées pour les Oklahomans que leurs droits constitutionnels de liberté de parole et de libre exercice de la religion ». Le chef du Département de la justice estime que la Fondation ment en prétendant que la loi interdit ces distributions. La Cour suprême pourrait être amenée à se prononcer.
La première fois que la Cour suprême de l’État avait eu à trancher sur une question à celle du Décalogue sur la propriété publique, c’était en en 1972, et elle avait jugé constitutionnelle l’érection d’une croix latine haute de quinze mètres dans un parc d’exposition de l’État, estimant que l’installation ne portait pas atteinte à la norme fondamentale en ce qu’elle ne concernait pas un groupe chrétien en particulier (du fait de l’absence de représentation du Christ) et parce que l’exposition était un montage quasiment commercial. En 1946, la Cour avait estimé que les subventions de l’État à un orphelinat indien dirigé par des baptistes à Atoka ne violaient pas la Constitution dès lors que l’État bénéficiait d’un service de valeur en retour.
Un vote dans un environnement de conflit aux États-Unis autour du Décalogue
La question de l’emplacement des Dix Commandements sur le domaine public n’est pas circonscrite à l’Oklahoma. Le 10 novembre dernier, la Cour suprême du Nouveau-Mexique a confirmé un jugement qui ordonnait de retirer une stèle les supportant de la pelouse de Bloomfield City Hall. Le monument avait été approuvé par le conseil municipal dont un membre avait proposé l’idée, mais financé avec de l’argent privé. L’organisation chrétienne à but non lucratif Alliance Defending Freedom, n’exclut pas d’en appeler à la Cour suprême des États-Unis, laquelle pourrait se prononcer en sa faveur si elle tranche après la nomination d’un juge conservateur par le futur Président Trump pour remplacer le magistrat Antonin Scalia décédé en février de cette année.
La Freedom From Religion Foundation est active dans d’autres États, ainsi dans le Kentucky, où elle exige qu’un employé de bureau du comté de Trigg retire du mur de sa pièce une affiche comportant les Dix Commandements, introduits par « Dieu a dit ces mots ». L’aspect historique ou culturel de l’affiche est ici difficilement visible, alors que les stèles peuvent se comprendre sous l’angle de la tradition et non seulement sous celle du prosélytisme. Elle pose davantage la question de l’impartialité de l’employé qui pourrait avoir à connaître de dossiers de personnes ne partageant pas ses convictions. C’est le principe anglo-saxon du droit posé par le Lord juge en chef Hewart en 1924 et largement repris dans les pays liés à la Couronne britannique, mais aussi aux États-Unis : « Il n’est pas simplement d’une importance quelconque, mais d’une importance fondamentale que la justice non seulement soit rendue, mais qu’elle le soit de façon manifeste et sans laisser de doute. » Cet aphorisme vaut même pour un poste d’employé de bureau, afin que personne ne puisse prétendre que son administration favorise ou défavorise selon les convictions des administrés. Certes, la Freedom From Religion Foundation mène un combat légaliste qui se situe aux antipodes de l’esprit philoclérical de la Constitution américaine qui n’entendait pas restreindre l’affichage de la religion, mais empêcher l’État d’intervenir dans la religion, et sa lutte ressemble à une volonté d’imposer elle-même ses conviction, une indifférence militante à la religion qui ne peut logiquement exister, cependant l’affiche de cet employé pouvait discréditer son administration.
En Géorgie, la législature de l’État avait voté en mars 2012 un texte de loi autorisant les écoles à afficher le Décalogue, le gouverneur y avait apposé sa signature. Suite à une plainte de l’Union américaine pour les libertés civiles, les autorités académiques du comté de Glynn ont envoyé une lettre aux directeurs d’école, à la fin du mois de septembre dernier, pour leur demander de retirer les Dix Commandements sauf quand ils sont affichés sur le Mur de la Liberté.
Le Premier amendement, premier repère pour trancher les litiges liés au Décalogue
Si la justice devait se prononcer, dans cette dernière affaire, elle pourrait, contrairement à celle de l’Oklahoma, donner raison à l’État en s’appuyant sur la jurisprudence fédérale Van Orden v. Perry. En effet, la Cour suprême des États-Unis avait considéré par cet arrêt que la présence d’une plaque supportant le Décalogue dans le parc du Capitole à Austin n’était pas anticonstitutionnelle puisque le but de l’installation relevait de la pédagogie, précisément de la lutte contre la délinquance juvénile. Le juge fédéral avait considéré que l’autorisation de la stèle ne contrevenait pas au Premier amendement de la Constitution des États-Unis qui dispose : « Le Congrès ne fera aucune loi qui touche l’établissement ou interdise le libre exercice d’une religion, ni qui restreigne la liberté de la parole ou de la presse, ou le droit qu’a le peuple de s’assembler paisiblement et d’adresser des pétitions au gouvernement pour la réparation des torts dont il a à se plaindre. »
Dans l’arrêt de la Cour suprême de l’Oklahoma, en revanche, l’État ne pouvait se prévaloir de cette jurisprudence fédérale interprétant de manière restrictive le Premier amendement et l’interdiction pour l’État de s’immiscer dans la religion, car même s’il s’agissait toujours de la question des Dix Commandements dans l’espace public, l’affaire en jeu était ici l’impossibilité prévue par la Constitution de l’État de l’Oklahoma d’accorder un espace au fait religieux et non l’interdiction posée par le Premier amendement. La solution qu’avait retenue le juge suprême de l’État doit donc être considérée dans cet environnement juridique particulier à l’Oklahoma, comme une juste application de la norme fondamentale. En revanche, le choix des électeurs de l’État de maintenir dans la Constitution l’interdiction d’accorder un espace à l’expression religieuse, fût-elle à titre historique, représente une volonté grandissante, dans une société de plus en plus diverse, de favoriser la sécularisation.
De plus en plus d’affaires étant appelées à être portées devant la Cour suprême des États-Unis dont la jurisprudence s’impose aux juridictions inférieures, la nomination proche d’un nouveau juge en remplacement à Antonin Scalia au tribunal fédéral de dernier ressort devrait permettre de dégager une ligne directrice, tout en n’empêchant pas les cours des États fédérés ou les électeurs de choisir l’interdiction d’installer le Décalogue sur la propriété publique si l’argument choisi est, comme en Oklahoma, autre que celui du Premier amendement.
Hans-Søren Dag