L’Action Chrétienne en Orient est installée à Alep en Syrie, depuis 1922. Tous les ans, cette association édite un journal témoignant de leurs actions et du vécu des chrétiens en Orient, principalement en Syrie et au Liban. Cette année, dans le numéro 105 du journal « Le Levant », l’histoire des chrétiens de Syrie nous est expliquée, documentée et renseignée par ceux vivant sur place. Nous vous proposons un survol de ce dossier afin de comprendre la difficile situation des chrétiens en Syrie et, par extension, au Moyen Orient
L’Action Chrétienne en Orient (ACO) a été créée le 6 décembre 1922 par le pasteur alsacien Paul BERRON. Suite aux persécutions des chrétiens et le génocide arménien dans l’empire Ottoman, les réfugiés affluent en grand nombre à Alep. C’est pour venir en aide à ces réfugiés que des missionnaires d’ACO interviennent depuis 1922 à Alep, en Syrie puis au Liban. Fort de cette histoire de la présence d’ACO depuis 94 ans au Moyen Orient, le dossier de cette année, paru en décembre 2016 : « Les Chrétiens dans le chaos de la Syrie » nous partage le vécu de chrétiens syriens et la tragédie actuelle que traverse la Syrie.
Le conflit syrien est très certainement complexe mais il est aussi multiple comme nous l’explique Thomas Wild, secrétaire général de l’ACO, dans une chronologie synthétisée :
« En fait, il y a superposition de trois conflits :
Un conflit interne entre un gouvernement très autoritaire et des opposants qui voudraient le renverser.
Un conflit plus général entre un axe sunnite (Turquie, Arabie Saoudite, Qatar) et l’axe chiite (Hezbollah libanais, Iran, qui soutiennent militairement le régime syrien).
Un conflit international, avec la présence de personnes de 83 nationalités, l’intervention de la Russie, des USA, de la France, de l’Angleterre… »
On pourrait dire que les chrétiens d’Orient sont les victimes collatérales de ce conflit sans qu’ils soient impliqués dans celui-ci. Nous verrons cela un peu plus en avant dans cet article.
« Très tôt dans la situation syrienne, des facteurs extérieurs apparurent aux côtés des acteurs »
Avec le printemps arabe de la Tunisie à la Syrie, en 2011, les revendications partagées (besoin de réformes, de liberté et de justice sociale) par toutes les personnes de ces pays semblaient libres et démocratiques ; mais très vite les questions religieuses, la place de l’islam, son concept dans la vie publique sont devenus « très tôt le sujet principal, qui allait influencer tous les événements d’une manière ou d’une autre ». En Syrie, pays considéré comme laïc, « la religion de chacun est respectée mais n’est pas un sujet qui divise la société », contrairement aux autres pays arabes. « Très tôt dans la situation syrienne, des facteurs extérieurs apparurent aux côtés des acteurs » de cette révolution, qui se voulaient d’abord pacifique. Les événements en Irak, le désordre, ont facilité l’émergence de Daech qui est venu aussi s’implanter en Syrie, en proclamant son califat. A partir de là, la communauté chrétienne a pris conscience de « la menace qui pesait sur son présent et son avenir ». Le choix proposé aux chrétiens dans certaines régions est devenu : « se convertir à l’islam, quitter le pays ou être tué. »
« De nombreux chrétiens ont été tués ou enlevés, leurs maisons ont été détruites, ils ont perdu leur gagne-pain, des prêtres ont été tués ou kidnappés…des églises chrétiennes ont été détruites, et des institutions chrétiennes ont été attaquées, même de vieux monastères chrétiens et des sites historiques ont été pris pour cibles. » écrit Mary Mikhael ex-présidente de la NEST, Ecole de théologie du Proche-Orient à Beyrouth « Mais il faut rester dans la vérité et dire que de nombreux musulmans ont également été tués ».
A partir de ce moment-là, le nombre de déplacés et de réfugiés à l’intérieur de la Syrie ou à l’extérieur, explose. Plus de la moitié de la population syrienne a dû quitter son domicile. Les déplacés internes seraient entre 7 et 10 millions, selon l’UNHCR, et il y a 4,6 millions de personnes ayant fui la Syrie, dont 1,06 millions dans le seul Liban (population, 4,2 millions d’habitants). L’ACO Fellowship est présente au Liban, elle vient en aide à ces réfugiés avec ses partenaires. Elle aide les réfugiés dans les endroits « plus sûrs » de Syrie comme à Homs où elle s’appuie sur les structures qu’elle soutenait déjà avant cette guerre. Elle est présente encore à Alep où elle continue le travail avec l’Église du Christ, le pasteur Bchara Moussa Oghli, poursuivant son travail pastoral et médical envers la population souvent désespérée. Elle a aussi commencé à soutenir la paroisse arménienne évangélique de Bagdad en Irak. Dans ce numéro du journal « Le Levant » sont décrits les actions d’ACO qui sont difficiles sur le terrain tant la situation est précaire et qui essayent aussi d’éduquer les enfants au milieu de ce chaos.
« La terrible guerre nous a rendu plus forts ! »
Au-delà de cette aide, l’ACO soutient l’École de Théologie du Moyen Orient (NEST) Cette école située à Beyrouth, dirigée dans la tradition de la Réforme, par le Synode National Evangélique de Syrie et du Liban et l’Union des Eglises Arméniennes Evangéliques au Proche Orient dessert tout le Moyen Orient. Et la question de savoir « qu’est-ce qui a changé dans notre vie de foi suite à l’expérience du conflit en Syrie » est posée. Comme Mgr Boutros Marayati, archevêque d’Alep des Arméniens Catholiques le témoignait lors d’une conférence, le 5 mars 2016 à Valence (Drôme), les pasteurs syriens notent que « La terrible guerre nous a rendu plus forts ! »
« Pour finir, j’ai appris à ne plus paniquer, j’ai appris à ne pas quitter car j’ai des responsabilités de dirigeant, j’ai appris à ne pas blâmer, car ce n’est pas le moment pour chercher à savoir qui a commis une faute, c’est le moment de se demander quelle est la prochaine chose à faire. J’ai appris à accepter de l’aide, car je ne suis pas parfait. J’ai appris ce que cela signifie de dépendre entièrement de Dieu... »
Pasteur Ibrahim Nseir en charge de la paroisse du Synode Arabe à Alep. (Son église a été dynamitée à deux reprises)
Si ces chrétiens semblent soutenir Bachar El Assad, c’est surtout en raison de la stabilité qui permettait à chacun de vivre sa foi paisiblement
Pourtant on peut se demander pourquoi tant de souffrances et pourquoi les chrétiens syriens étrangers à ce conflit interne sont ainsi poursuivis, pillés, tués par les terroristes islamistes. Si ces chrétiens semblent soutenir Bachar El Assad, c’est surtout en raison de la stabilité qui permettait à chacun de vivre sa foi paisiblement, qu’elle soit issue de l’islam ou de la chrétienté. En fait, une des raisons avancées dans ce dossier, remonte aux croisades de “l’Occident chrétien”. Dès les interventions occidentales en Afghanistan et au Pakistan, la tension est montée envers les chrétiens du Moyen Orient. Et au moment de l’invasion de l’Irak par les Etats Unis, les chrétiens ont été ressentis comme faisant partie de cet « occident chrétien ». L’intervention étrangère en Syrie (et en Irak comme en Lybie) n’a fait que renforcer cette « opinion » islamiste fatale pour les chrétiens alors qu’ils vivaient en paix avec leurs voisins. Doit-on voir là la raison pour laquelle les gouvernements occidentaux peinent à soutenir les chrétiens d’Orient ?
Toutes ces questions sont abordées dans ce dossier de l’ACO, mais il reste à trouver une solution qui puisse amener la paix, la réconciliation et le pardon pour que la Syrie, c’est le souhait de la majorité du peuple syrien, qu’il soit chrétien ou non, puisse retrouver son vivre ensemble anéanti par cette guerre.
Nathanaël Bechdolff
En savoir plus en visitant le site de l’Association Chrétienne en Orient
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Crédit photo : Homs, avril 2016, ©Thomas Wild avec son aimable autorisation