Les changements globaux aggravent le risque d’expansion du paludisme

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Ce 25 avril, Paris célèbre officiellement la Journée mondiale de lutte contre le paludisme. Cette maladie, transmise par les moustiques appartenant au genre Anopheles, est causée par des microorganismes appelés Plasmodium, dont le plus dangereux est Plasmodium falciparum, seule espèce capable d’entraîner un accès aigu mortel.

C
et événement se tient alors que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) annonce une stagnation des progrès de la lutte contre le paludisme, après plus de 10 années d’avancées.

Une situation préoccupante qui pourrait se prolonger. Des indices laissent en effet supposer que les moustiques vecteurs de la maladie ont trouvé une nouvelle alliée de taille : la mondialisation.

Lutte contre le paludisme : les raisons de la stagnation

Entre 2015 et 2017, le nombre de cas reportés n’a pas significativement diminué. La mortalité due au paludisme, ou mortalité palustre, est restée pratiquement inchangée dans le monde : environ 435 000 décès annuels ont été recensés, essentiellement des enfants vivant en Afrique subsaharienne. Il faut cependant souligner que cette stagnation survient après une remarquable et encourageante réduction de 57 % entre 2000 et 2015, fruit d’un engagement international à saluer. Pourquoi la lutte contre le paludisme marque-t-elle le pas ? Les raisons sont multiples.

Parmi les plus notoires, on peut citer la biologie du parasite, lequel est doté d’une exceptionnelle capacité à se multiplier et à être transmis par les moustiques. Le faible recours aux systèmes de soins ainsi que les inégalités d’accès aux traitements antipaludiques efficaces sont également problématiques, tout comme, plus localement, l’insuffisante mise en place de programmes de prévention, au premier rang desquels figure la distribution de moustiquaires imprégnées d’insecticide à longue durée d’action. Les politiques de lutte peuvent aussi subir le contrecoup des conflits armés, dans certains pays. Enfin, les résistances aux insecticides développées par les moustiques favorisent la progression de la maladie.

À ces problèmes « classiques » sont venus s’en ajouter deux autres, au cours des dernières décennies : le changement climatique et la mondialisation des échanges.

Une maladie sensible au climat

Le climat influence considérablement la géographie et l’épidémiologie du paludisme. En effet, la répartition et l’abondance des moustiques vecteurs dépendent de nombreuses composantes climatiques. Il en va de même pour la modulation du contact être humain-vecteur et le succès du développement du parasite à l’intérieur du vecteur.

L’humidité est un facteur important dans le cycle du moustique vecteur, car elle influence la survie des adultes. Pour cette raison, en insectarium, on s’efforce de maintenir une humidité de 80 %. De faibles écarts, même de l’ordre de plus ou moins 5 %, peuvent avoir un fort impact négatif sur la survie de ces insectes. Ce point est important, car contrairement à ce qu’on pourrait penser, la longévité du vecteur est une variable plus importante que son abondance pour conférer une forte aptitude à transmettre la maladie. En effet, plus un moustique infecté vit longtemps, plus il risque de transmettre la maladie à un nombre croissant de personnes.

Un élevage de moustiques dans les laboratoires de l’IRD, à Montpellier.
IRD

La température joue également un rôle essentiel dans le cycle de la maladie. Elle influence non seulement la durée du développement du parasite dans le moustique mais aussi la durée du développement aquatique initial du moustique (sous forme de larve puis de nymphe), ainsi que la survie de sa forme adulte. Au-delà de 35 °C et en-deçà de 18°, le développement de Plasmodium falciparum dans le moustique est stoppé ; aux températures de 20°, 24° et 30°, il est respectivement de 20, 11 et 9 jours.

En pratique, on ignore à quelle température vit précisément un anophèle. Toutefois, en situation d’inconfort, il va se déplacer activement en quête d’un micro-habitat lui convenant mieux.

Prémunition et risques de décès

Toutes les populations ne sont pas égales face à la maladie. L’épidémiologie du paludisme à Plasmodium falciparum est en effet radicalement différente en fonction du niveau de transmission.

Dans les zones endémiques, c’est-à-dire là où la maladie est présente de façon habituelle, une seule piqûre infectée n’entraîne le plus souvent pas d’accès palustre. Ceci est dû à l’acquisition progressive par les habitants d’une prémunition, un état immunitaire qui se manifeste par une protection relativement efficace sur le plan de la maladie, mais pas assez efficace pour éliminer tous les parasites.

Cette prémunition ne peut se construire et s’entretenir qu’à la faveur de réinfections multiples, presque permanentes, de l’être humain par son parasite. Dans les zones de forte transmission, elle s’établit dès le plus jeune âge, en quelques années. Si bien qu’au-delà de 5 ans, on estime que le risque de décéder du paludisme devient très faible.

La situation est différente dans les zones indemnes de transmission. La population humaine y est « immunologiquement naïve » : elle n’est pas protégée contre le parasite, et une seule piqûre d’un moustique infecté entraîne fréquemment un accès palustre. Dans ces régions, toutes les classes d’âge peuvent tomber malades et risquer le décès. C’est par exemple le contexte des zones d’altitude en Afrique.

Une flaque de pluie : un gîte naturel de larves d’anophèles, vecteur du paludisme.
IRD/Vincent Robert, Author provided

Le changement climatique peut donc aggraver la situation dans ces régions : un évènement climatique exceptionnel, une modification de la température ou du régime des pluies peuvent faire émerger des conditions favorables aux anophèles et à la transmission. Des épidémies de paludisme, ordinairement limitées dans le temps et dans l’espace, peuvent voir leur dynamique se modifier, avec des conséquences dramatiques en termes de morbidité et de mortalité.

Par ailleurs, l’augmentation des températures (qui raccourcit la durée du développement du parasite dans le moustique) et l’augmentation de l’humidité (qui augmente la longévité du vecteur) vont dans le sens de l’accroissement de la transmission du paludisme. Toutefois, ces facteurs aggravants sont intriqués dans des réseaux complexes de relations, et jouent probablement un rôle très secondaire sur le terrain.

Ce n’est pas le cas de l’intensification des déplacements des êtres humains et des marchandises à la surface de la Terre, qui favorise les mouvements exceptionnels de moustiques vecteurs et leur implantation dans de nouvelles régions. Là, le danger est bien réel.

Circulation mondiale : quand les moustiques voyagent

L’accroissement de la circulation des êtres humains et des échanges commerciaux à la surface de la Terre entraîne le déplacement involontaire de très nombreux passagers clandestins indésirables, qu’il s’agisse d’espèces invasives ou de vecteurs de maladies, comme les anophèles porteurs du paludisme.

Un exemple classique est celui du paludisme dit « d’aéroport », qui touche des personnes qui n’ont jamais voyagé en zone de transmission, mais qui ont une proximité avec un aéroport international. Dans ces cas, qui restent rares, un anophèle infecté en zone d’endémie a voyagé par avion, puis a transmis le parasite après être sorti de l’appareil. Au total, 30 cas ont été déclarés en France entre 1969 et 2008.

Ces exemples de déplacement d’un moustique par l’être humain n’ont pas été suivis d’une implantation dans le pays d’arrivée. Mais cela arrive parfois. Ainsi,

Anopheles arabiensis, une espèce de moustique africain, a été observée dans l’état du Natal (Brésil) en 1930, peu après l’intensification du trafic des bateaux à vapeur entre les continents africain et sud-américain. Cette invasion a été responsable d’une épidémie de paludisme sans précédent : les anophèles locaux étaient de « mauvais vecteurs » de Plasmodium, contrairement aux nouveaux venus, bien plus efficaces pour transmettre le parasite. Heureusement, au Brésil ce vecteur a pu être éliminé au début des années 1940.

Moustique Anopheles gambiae femelle en plein repas de sang.
IRD/Nil Rahola

Plus récemment, en 2013, la présence d’un anophèle asiatique Anopheles stephensi a été détectée en zone urbaine à Djibouti, puis les années suivantes en Éthiopie, avec une considérable recrudescence des cas de paludisme associés. Cet anophèle est connu comme un redoutable vecteur en zone urbaine en Inde, et sa répartition à l’Est semblait jusqu’ici limitée au golfe Persique. Ces observations sont inquiétantes car elles surviennent à un moment où l’élimination du paludisme était envisageable à Djibouti. Ce n’est plus le cas actuellement, à moins que l’espèce vectrice en soit éliminée. De plus, on ignore si cette expansion de l’aire de répartition en cours va se poursuivre ou non, en particulier dans le contexte urbain africain, ce qui constituerait un défi majeur pour le futur.

Enfin, le moustique Anopheles bancroftii a été détecté pour la première fois en Nouvelle-Calédonie en 2017, dans une zone proche de l’aéroport de Nouméa, laissant penser que cette introduction a été réalisée par avion. Rappelons que la Nouvelle-Calédonie était une des très rares terres tropicales émergées sans anophèle et donc indemne de paludisme.

Ces différents exemples récents sont alarmants. En effet, jusqu’ici les anophèles ne se comportaient pas comme des espèces invasives (à l’exception notable de l’implantation d’Anopheles arabiensis au Brésil), contrairement à de nombreux autres moustiques dont le fameux Aedes albopictus (le tristement célèbre moustique tigre asiatique, vecteur de la dengue, du chikungunya ou du virus Zika).

Dans les années à venir, il s’avérera donc indispensable de suivre attentivement l’évolution des déplacements d’anophèles, et de mettre en place une surveillance appropriée.The Conversation

Vincent Robert, Directeur de recherche, Institut de recherche pour le développement (IRD)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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