L’enseignement musulman sous contrat dans le viseur des pouvoirs publics français

L’enseignement musulman sous contrat dans le viseur des pouvoirs publics français

Les affaires récentes concernant l'établissement catholique Stanislas à Paris et le lycée musulman Averroès de Lille prouvent que l’enseignement confessionnel sous contrat reste un sujet de controverses politiques et médiatiques.

En août 2021, les parlementaires français votent la loi confortant les principes de la République, créant un nouveau délit de séparatisme et instaurant un contrôle renforcé sur les établissements scolaires confessionnels hors contrat et sous contrat, notamment "musulmans".

Le cas emblématique du lycée Averroès

C’est dans ce contexte que le préfet du Nord Georges-François Leclerc a annoncé le 8 décembre dernier la résiliation du contrat d’association qui lie le lycée Averroès à l’État, invoquant entre autres des dysfonctionnements administratifs majeurs, des financements illicites et des contenus pédagogiques non conformes aux principes républicains, points qui ne figurent pourtant pas dans les différents rapports d'inspection.

Ouvert à Lille en 2003, il s’agit du plus ancien des trois lycées musulmans contractualisés par l’État en France métropolitaine. La mobilisation de moyens financiers, humains et administratifs consistants lui a permis de s’imposer rapidement comme un établissement scolaire d’excellence. Classé meilleur lycée de France, puis de la région, la décision préfectorale prend donc une valeur fortement symbolique et politique.

Depuis sa création, ce lycée a déjà connu plusieurs épisodes intenses de controverses. Au niveau local, l’extrême droite puis la droite se sont régulièrement opposées à son financement public, mettant en avant ses liens financiers (avérés et bien légaux) avec le Qatar.

Mais le cas Averroès ne pose pas tant la question anciennement portée par le camp laïque de la fin du financement de l’enseignement privé. Il interroge fondamentalement la possibilité pour des établissements musulmans — derniers arrivés dans le paysage de l’enseignement confessionnel —, de bénéficier des mêmes "accommodements" que les autres cultes. Au-delà de cela, il questionne la tolérance par les pouvoirs publics d’organisations islamiques (c’est-à-dire se référant à l’islam) autonomes dans le champ social français.

Un système d'aides publiques qui n'a cessé de se renforcer

Le financement public du secteur d’enseignement privé est le point crucial de l’approche de la laïcité qui s’est déployée sous la Vème République. Il scelle le contrat d’association instauré par la loi Debré (1959) entre l’État et les établissements d’enseignement privé qui le demandent.

Ce contrat permet le versement de fonds publics aux écoles privées moyennant le respect des règles et des programmes de l’enseignement public et l’accueil de tous les élèves sans discrimination. Ce régime d’accommodement  a longtemps suscité l’ire des militants pour le service public unifié et laïque de l’Éducation nationale qui y voient une grave atteinte à l’interdiction du financement public des religions posée par la loi de 1905, dont le point culminant de la mobilisation a été les manifestations de 1984 pour la défense de la version initiale de loi Savary.

Cependant, ce système d’aide n’a cessé de se renforcer. Les financements publics versés par l’État et les collectivités territoriales représentent aujourd’hui 73 % des dépenses de fonctionnement des établissements sous contrat. Ces subventions atteignent annuellement environ 8 milliards d’euros, soit 14 % du budget total de l’Éducation nationale. Elles bénéficient d’abord aux établissements catholiques, très majoritaires parmi les établissements privés.

La légitimation du dispositif de la loi Debré s’est complexifiée avec le temps. Argumentée au départ par les besoins scolaires et la liberté d’éducation, l’existence d’un secteur d’enseignement privé financé par l’État est devenue dans les années 2000 un appui à la mise en œuvre d’une "nouvelle laïcité" exigeant des élèves en établissement public qu’ils et elles n’arborent aucun signe ostensible de leur affiliation religieuse.

Lors du vote de la loi du 15 mars 2004 interdisant aux élèves, "en application du principe de laïcité", le port de signes et tenues manifestant ostensiblement une religion, la possibilité pour les élèves voilées exclues de rejoindre des établissements privés a été présentée comme un gage de leur liberté de conscience.

Des contrôles inégaux

La question du contrôle des établissements sous contrat a été soulevée périodiquement. Dans un rapport paru en 2023, la Cour des comptes estime que celui prévu par la législation, est au mieux minimaliste (du côté pédagogique), au pire inappliqué (concernant le financier).

Nos recherches nous amènent à nuancer ce constat : les modalités de contrôle varient considérablement d’un réseau à l’autre. Du côté de l’enseignement catholique, les inspections suivent en gros le rythme de celles qui sont réalisées dans le public (dans le cadre des trois "rendez-vous de carrière" des enseignants). En outre, ces établissements peuvent choisir sur des critères scolaires les élèves qu’ils accueillent. Cette sélection sur le niveau correspond peu ou prou à un tri social, ce qui aggrave la structure ségrégative du système scolaire français.

Les collèges sous contrat scolarisent moins de 17 % d’élèves d’origine sociale défavorisés et concentrent 40 % d’élèves très favorisés, proportions qui sont strictement inverses dans le public. En 2022, le ministre de l'Education nationale Pap Ndiaye a renoncé à imposer des obligations de mixité sociale à l’enseignement catholique qui y était très hostile.

En raison des réticences des responsables administratifs et communautaires, l’enseignement juif a quant à lui historiquement été peu inspecté, malgré des entorses au contrat bien documentées. Il n’est pas rare que les établissements juifs sélectionnent leurs élèves sur des critères religieux ou communautaires.

L’enseignement musulman est à l’inverse très contrôlé, qu’il s’agisse des établissements hors contrat (on compte environ 70 groupes scolaires musulmans ayant moins de dix ans d’existence), ou des rares établissements contractualisés partiellement (en métropole, aucun ne l’est pour l’ensemble de ses classes). À ce titre, l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche notait en 2020 que treize inspections d’enseignants avaient été menées au sein du lycée Averroès depuis 2015, "ce qui doit en faire l’établissement le plus contrôlé de l’académie, sans que jamais aucune remarque défavorable n’ait été formulée à l’encontre des pratiques enseignantes observées".

De la surveillance à la sujétion de l’islam : une tendance lourde

Si les écoles musulmanes ont initialement été conçues par leurs promoteurs ainsi que par les pouvoirs publics, comme une solution au "problème du voile à l’école", force est de constater qu’elles sont devenues aujourd’hui un nouveau problème public. Les attentats de 2015 ont porté le soupçon sur ce secteur.

Bien qu’il n’existe aucun lien connu entre ces établissements et le terrorisme islamiste, les gouvernements successifs ont depuis lors cherché à restreindre l’ouverture d’établissements privés musulmans. Trois lois - la loi Gatel du 13 avril 2018, la loi pour une école de la confiance du 26 juillet 2019 et la loi "séparatisme" du 24 août 2021 - ont accru leurs contrôles.

La suppression du contrat d’association du lycée Averroès, dénoncée par certains observateurs comme inéquitable et disproportionnée est à resituer dans l’ensemble plus vaste des dispositions qui tendent aujourd’hui à disperser les collectifs islamiques et à dévitaliser les institutions qu’ils tentent d’édifier.

La dissolution en janvier 2022 du Collectif contre l’islamophobie en France, structure associative dédiée à la défense juridique des victimes, partenaire de plusieurs organisations internationales de défense des droits humanitaire en est un exemple. Le remplacement du Conseil français du culte musulman établi en 2003 avec une certaine autonomie par des Assises départementales de l’islam dont les membres sont choisis par les préfets en est un autre. Autant de décisions qui témoignent d’une politique résolue d’affaiblissement des capacités d’organisation autonome de l’islam en France.

De manière générale, les établissements musulmans qui demandent à s’inscrire dans la continuité du service public par le biais du contrat obtiennent rarement une réponse positive. Au nom de la lutte contre le séparatisme islamiste, on en vient à entraver le développement d’un secteur d’enseignement privé musulman sous contrat qui, outre ses performances scolaires et sa conformité à la rhétorique méritocratique républicaine, est très étroitement contrôlé par les autorités de tutelle tout en envoyant aux musulmans un message de reconnaissance de leur légitimité à exister en France en tant que tels.

Françoise Lorcerie, Professeure, Aix-Marseille Université (AMU); Carol Ferrara, Anthropologist & Assistant Professor, Department of Marketing Communication, Emerson College et Vincent Geisser, Sociologue, Aix-Marseille Université (AMU)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Les opinions exprimées dans cet article ne reflètent pas nécessairement celles d'InfoChrétienne.

Crédit image : Creative Commons/ Wikimedia

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