L’Écosse, un désir d’indépendance depuis 10 siècles

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Un nouveau referendum « consultatif » sur l’indépendance de l’Écosse devrait être organisé pour octobre 2023, comme l’a annoncé fin juin la première ministre écossaise, Nicola Sturgeon. Un « coup de poker » pour les journaux britanniques mais aussi le deuxième depuis 2014. Le sujet revient tout particulièrement dans le débat public avec l’accession au trône de Charles III et depuis le décès de la reine Eliszabeth II.

Cette question rappelle à quel point les enjeux d’indépendance demeurent cruciaux, notamment dans le contexte de Brexit qui impose à l’Écosse le retrait de l’UE contre son gré. Ils remontent aussi à une aspiration très ancienne, bien avant l’union officielle de la nation écossaise à l’Angleterre en 1707.

Naissance du royaume d’Écosse

C’est à la fin du IXe siècle que naît véritablement le royaume d’Écosse. Les terres de ce royaume, dit d’Alba, s’étendent du nord de l’Ile (les Highlands) jusqu’à la rivière Tweed. Ses fondateurs sont des Pictes et des Scots. L’Écosse témoigne déjà d’un fort particularisme avec des usages et une langue qui lui sont propres. Elle est dominée par différents clans, qui s’identifient par le port de tartans distincts. Ce jeune royaume d’Écosse réussi à imposer son indépendance vis-à-vis de son voisin saxon unifié par Alfred le Grand, qui doit lui-même composer avec la présence danoise (Danelaw).

Carte représentant l’Écosse médiévale
Carte présentant l’aire d’influence des royaumes de Dál Riata (vers 600), de Fortriú (vers 800) et d’Alba (vers 900).
Angus McLellan,/Wikimedia

Au XIe siècle, la conquête de l’Angleterre par Guillaume le Conquérant après la victoire d’Hastings (1066) va quelque peu redistribuer les cartes du jeu politique. Il institue une puissante monarchie qui sait tirer profit des héritages saxons et des innovations normandes, mais la vielle aristocratie anglo-saxonne se rebelle contre ce nouveau roi normand et cherche des appuis en Écosse.

C’est ainsi qu’ Edgard, l’un des prétendants à la couronne d’Angleterre se réfugie en Écosse et donne sa sœur Marguerite en mariage au puissant roi d’Écosse, Malcolm, celui-là même qui avait tué le fameux Macbeth, pour reconquérir le trône d’Écosse.

Guillaume Le Conquérant et la conquête de l’Angleterre.

Guillaume le Conquérant envahit alors l’Écosse et prend le fils de Malcom en otage. Le rapport de force fait basculer l’Écosse qui entre dans la vassalité du roi d’Angleterre. Mais Guillaume réussit à négocier avec l’Écosse pour neutraliser la rébellion. C’est à ce moment que la culture anglo-normande commence à se diffuser dans le royaume écossais.

L’Écosse, qui dispose d’institutions propres avec un Parlement installé à Scone, vit dans une situation de relative indépendance vis-à-vis de l’Angleterre. Le XIIIe siècle est marqué par le développement des villes et de l’économie en général. Mais la mort accidentelle du roi d’Écosse en 1286, à la suite d’une malheureuse chute de cheval, brise ce fragile équilibre. Cette disparition brutale va ouvrir l’une des crises de successions les plus graves, l’une des plus sanglantes, qu’ait connu l’Écosse.

Une sanglante guerre de succession

Le roi défunt, sans héritier direct depuis la mort de ses fils, laisse comme unique prétendante au trône sa petite-fille Marguerite. C’est une enfant de 4 ans, née de l’union de la fille de l’ancien roi d’Écosse et du roi de Norvège. Mais alors qu’elle embarque en plein hiver pour rejoindre l’Écosse, Marguerite meurt au cours de la traversée.

Jean Balliol dans l’armorial de Forman (1562). Son sceptre et sa couronne sont brisés, et son blason vierge reflète son surnom de « tabard vide »
Jean Balliol dans l’armorial de Forman (1562). Son sceptre et sa couronne sont brisés, et son blason vierge reflète son surnom de « tabard vide ».
Librairie nationale d’Écosse/Wikimedia

Nombre de prétendants se bousculent pour accéder au trône, et sollicitent le roi anglais pour les départager. Mais ce soutien a un prix : la soumission du futur roi d’Écosse à l’Angleterre ! L’intéressé, John Balliol, accepte le marché ainsi que l’obligation d’envoyer des contingents écossais servir dans les rangs de l’armée anglaise.

Mais nombre d’Écossais s’y opposent avec force. John Balliol rompt son serment et envoie un défi à Édouard d’Angleterre. C’est à ce moment que les nobles écossais choississent de se rapprocher du roi français pour mieux combattre les Anglais. C’est ainsi qu’est signé avec Philippe le Bel un traité d’alliance militaire : « the Auld alliance » en 1295, chacun devant apporter hommes et armes pour lutter contres les armées anglaises sur les terres d’Écosse comme sur le continent.

Vidéo sur la « Auld Alliance » (chaine Gallia).

Toutefois, la rébellion écossaise est rapidement écrasée par les Anglais. L’infanterie est massacrée et les nobles écossais sont presque tous capturés. Balliol est enfermé dans la tour de Londres.

Les hostilités reprennent en 1296 par un raid écossais sur la frontière nord de l’Angleterre. Le roi anglais réplique en massacrant la population civile de Berwick, la ville la plus peuplée d’Écosse. C’est à cette occasion que le roi anglais Édouard Ier s’empare de la « Pierre du destin », sorte de pierre magique indispensable au rituel de couronnement des rois écossais.

Réplique de la « Pierre du destin », au palais de Scone en Écosse
Réplique de la « Pierre du destin », au palais de Scone en Écosse.
Wikimedia, CC BY-ND

Le vrai « Braveheart »

Cette redoutable répression ne brise cependant pas le désir d’indépendance de l’Écosse. En 1297, C’est un simple écuyer qui prend la relève de la révolte : William Wallace. Le film Braveheart avec Mel Gibbons (1995) retrace sur le mode épique cet épisode emblématique de l’histoire écossaise. William Wallace devient bientôt le héros de résistance écossaise face à l’Anglais. Il assassine un sheriff anglais, et rassemble tous les révoltés derrière lui.

Bande annonce de Braveheart, 1995.

Wallace s’empare de plusieurs forteresses contrôlées par les Anglais. Édouard Ier rassemble une imposante armée en Écosse (3000 hommes d’armes, 25000 fantassins anglais et gallois dit-on). Mais à Falkirk, les archers anglais et gallois déciment les « schiltroms » écossais (bataillons de piquiers).

En décembre 1305, William Wallace est capturé et supplicié : traîné, pendu et écartelé, ses restes envoyés pour partie en Écosse à titre d’exemple. Mais la terreur attendue ne porte pas ses fruits. Un autre Écossais va se dresser face aux Anglais : Robert Bruce. Celui-ci parvient à être couronné le 25 mars 1306, mais c’est pour vivre dans la clandestinité.

Le roi Robert I d’Écosse et Isabella of Mar son épouse
Le roi Robert I d’Écosse et Isabella of Mar son épouse.
Enluminures créées pour Marie Scott/Wikimédia

Alors qu’il prend la fuite en Irlande, ses partisans sont impitoyablement pourchassés et exécutés. Ses trois frères sont suppliciés et sa sœur enfermée dans un cage dans le château de Roxburgh. Mais la mort d’Édouard Ier lui permet de réunir des ambassadeurs français au parlement d’Écosse pour reconnaitre officiellement son pouvoir. L’héritier d’Angleterre, Édouard II réagit très vite pour briser cet élan en envoyant son armée prendre position dans le sud de l’Écosse.

Bruce prend soin d’éviter toute bataille rangée, il mène une guerre de harcèlement contre les Anglais. En 1314, il met le siège devant Stirling, une place stratégique sur la frontière. Le roi anglais Edouard II en personne vole au secours de la place. S’engage alors un affrontement entre l’armée d’Édouard et celle de Robert Bruce : c’est la célèbre bataille de Bannockburn.

L’affrontement dure deux jours au terme desquels Edouard d’Angleterre est extrait in-extremis de la mêlée. Bannockburn s’est ainsi inscrite comme la grande victoire du peuple écossais et le symbole de sa lutte pour son indépendance.

Drapeau écossais flottant sur le site de la bataille de Bannockburn qui se visite aujourd’hui en Écosse
Drapeau écossais flottant sur le site de la bataille de Bannockburn qui se visite aujourd’hui en Écosse.
Wikimedia, CC BY-NC-ND

Tournant français

En 1320, des nobles écossais envoient une missive au pape – alors reconnu comme une sorte d’arbitre international – pour l’informer de l’indépendance officielle de l’Écosse face à l’Angleterre, c’est la déclaration d’Abroath.

Robert Bruce renouvelle aussi son alliance avec les Français (1326). En 1328, le nouveau roi anglais Édouard III reconnaît l’indépendance de l’Écosse (traité de Northampton), tout en divisant la noblesse écossaise. En 1332, à la bataille de Duplin Moor, une partie des nobles écossais dissidents s’associent aux Anglais contre leurs compatriotes. C’est la revanche de l’armée anglaise qui expérimente une nouvelle tactique : les chevaliers combattent cette fois-ci à pied.

L’héritier de Robert Bruce, David trouve refuge en France, auprès de Philippe VI. En 1346, aidés des Français, les Écossais mobilisent leurs troupes contre le roi d’Angleterre, mais ils sont à nouveau vaincus à la bataille de Neville’s cross. David est emprisonné à la tour de Londres. Il est libéré après 11 ans de captivité. Il meurt en 1371 dans le discrédit, après s’être marié avec la veuve d’un petit noble anglais.

À cette date, les Anglais mobilisent l’essentiel de leurs forces dans leur guerre contre la France, dans laquelle les Écossais vont cette fois aider les Français contre leur ennemi commun. Jusqu’au milieu du XVe siècle, on trouve des combattants écossais aux côtés des Français. Le roi de France choisira même un Écossais comme connétable, c’est-à-dire pour conduire son armée !

La pierre du Destin, emblème d’une défiance

Les relations entre l’Angleterre et l’Écosse vont se pacifier au fil des siècles et l’Écosse deviendra nation constitutive du Royaume-Uni (son statut actuel), une union politique avec le Royaume d’Angleterre, le 1er mai 1707.

Néanmoins, une forme de méfiance réciproque et historique demeure, alimentée par les relations politiques entre partis (unionistes, indépendanistes, etc.) et nourrie par les crises comme l’a montré plus récemment le Brexit.

Sans oublier un profond ressentiment lié au vol de la Pierre du destin, emblème de la monarchie écossaise, pendant la guerre de Cent Ans. En effet, malgré la promesse du roi d’Angleterre en 1328, de restituer la pierre, cette dernière est restée de longues années à Westminster.

Mais les Écossais ont réparé l’oubli par la force. En 1950, plusieurs étudiants indépendantistes de l’université de Glasgow l’ont dérobée pour la replacer dans l’abbaye de Scone avant qu’elle soit de nouveau rendue à la Couronne anglaise. Depuis 1996, cette pierre, vraie ou fausse, repose désormais au château d’Edinbourg et devrait prochainement être au cœur d’une exposition à Perth, en Écosse.

Valérie Toureille, Professeur d’Histoire du Moyen Âge, CY Cergy Paris Université

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Crédit image : Shutterstock / makasana photo

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