Depuis la mort de Masah Amini le 16 septembre dernier, la rue iranienne est en colère et proteste contre l’imposition du voile aux femmes. Un mois et demi après le début de la révolte, les autorités annonçaient plus de 300 morts. La justice condamne à tour de bras des manifestants à la peine capitale, contribuant à rappeler au monde l’horreur d’un système politique et judiciaire sous l’autorité du clergé à laquelle étaient déjà confrontés nombre de protestataires, dissidents ou apostats de l’islam.
« Je suis condamné à mort, ne le dis pas à Maman », sont les mots prononcés par Mohammad Mehdi Karami à son père après avoir entendu la sentence. Arrêté fin novembre, condamné le 4 décembre par une justice expéditive, le jeune homme de 22 ans était un ancien champion national de karaté, mais il n’y a pas de régime de faveur pour les célébrités qui défient le pouvoir iranien.
Mohammad a été exécuté le 7 janvier avec Seyed Mohammad Hosseini, ils étaient accusés d’avoir tué un paramilitaire chargé de la sécurité. Les efforts des parents de Mohammad pour mobiliser les réseaux sociaux ont été vains, l’ONG Human Rights in Iran, basée à Oslo, tient une liste d’athlètes torturés ou condamnés à mort qui ne cesse de s’allonger.
Plus de 2 000 personnes avaient déjà été arrêtées, selon un bilan donné fin novembre par les autorités. Les manifestants dénoncent la mort de Mahsa Amini, décédée trois jours après avoir été arrêtée pour non-respect du code vestimentaire, à savoir le non-port du hidjab, alors qu’elle se trouvait avec son frère en séjour à Téhéran. L’étudiante de 22 ans a été rouée de coups par la police des mœurs selon des témoins.
Les manifestations avaient d’abord éclaté au Kurdistan iranien, sa province d’origine, mais se sont très vite étendues grâce aux réseaux sociaux, Masha Amini devenant un symbole de liberté et de défiance.
La révolution qui devait apporter davantage de droits aux femmes
Depuis la révolution de 1979 qui a vu la chute du chah d’Iran, le pouvoir est contrôlé par les religieux. Pourtant, les islamistes n’étaient pas les seuls à manifester pour faire tomber le pouvoir impérial, les féministes et les communistes s’étaient naïvement alliés à eux.
Bien que la situation des femmes se fût améliorée sous le règne de Mohammad Reza Pahlavi, dernier chah avec l’obtention du droit de vote et celui de concourir à une élection, l’accès à des emplois qui leur étaient jusque-là interdits, notamment des métiers juridiques, ou encore le passage de l’âge nubile de 15 à 18 ans. En 1968, pour la première fois, une femme, Farrokh-Rou Parsa, était devenue ministre, accédant à la tête de l’Éducation.
La corruption du pouvoir, la répression de la dissidence politique, mais aussi la domination masculine traditionnelle expliquent la jonction des religieux, des communistes et des féministes. Mais dans la foulée du renversement du chah, les islamistes ont arrêté les communistes, les femmes ont été bâillonnées, et Farrokh-Rou Parsa a été exécutée en 1980. La prise du pouvoir par les ayatollahs a notamment abouti à l’obligation pour les femmes de porter le hidjab.
Un rejet du voile de plus en plus présent depuis une décennie
Le voile s’impose aujourd’hui à plus de 40 millions d’Iraniennes, dès l’âge de sept ans. Elles doivent bien se préparer avant de sortir de chez elles, vérifier qu’aucune mèche ne dépasse, car elles peuvent rencontrer des agents de la police des mœurs à n’importe quel moment dans la rue.
Leurs vêtements ne doivent pas coller au corps ni être trop colorés. En 2019, Nasrin Soutoudeh, une femme avocat, a été condamnée à 38 ans et demi de prison et 148 coups de fouet ; elle avait représenté en justice des femmes qui avaient contesté le port obligatoire du hijab et avait, elle-même, retiré le sien durant son séjour en prison. Ces prises de position lui avaient notamment valu d’être condamnée pour « incitation à la corruption et à la prostitution », dénonce Amnesty International.
Les manifestations de rejet du voile se sont multipliées ces dernières années. Sur Facebook, alors que le réseau social est interdit dans le pays, notamment avec une campagne en 2014 sur la page « Libertés furtives des femmes en Iran » au cours de laquelle des femmes ont montré des photos d’elles sans hidjab. La page avait attiré 150 000 « J’aime » en moins de 10 jours.
Violences sexuelles sur les manifestantes pour les effrayer
Le choix de Masah Amini de ne pas couvrir sa tête était l’un des nombreux témoignages de femmes défiant la police des mœurs et a permis de donner un visage auquel s’identifient les femmes.
Si la représentation est féroce afin de dissuader les aspirants à la liberté de manifester, le régime recourt également aux violences sexuelles afin que les femmes se taisent, à l’occasion des différentes manifestations, comme le rapporte Mary (« Fatemeh » de son prénom de naissance) Mohammadi qui a dû se déshabiller devant des agents qui lui reprochaient d’avoir des cheveux dépassant du hidjab.
« Durant les mouvements de protestation, les agents de sécurité touchent les manifestantes de façon inappropriée. Ils veulent effrayer les femmes et qu’elles s’en aillent », déclare Mary Mohammadi.
La jeune chrétienne avait été officiellement arrêtée le 12 janvier 2020 à l’occasion de manifestations de sympathie à la suite de la destruction en vol d’un avion civil ukrainien par l’Iran quatre jours auparavant. Lors de l’audience, le juge l’avait questionnée sur sa foi qui n’était pourtant pas l’objet du procès. Mary Mohammadi avait déjà été condamnée à six mois de prison pour participation à des cultes d’une église de maison.
Entre persécution et petits gestes pour calmer les chrétiens
Parmi les manifestants, des chrétiens, minorité ciblée par le pouvoir. Bianka Zaia, 38 ans, a passé plus d’un mois à la prison d’Evin, réservée aux prisonniers politiques, après avoir été arrêtée chez elle le 26 novembre pour avoir affiché son soutien aux manifestants sur Instagram. Les autorités profiteraient de l’occasion pour arrêter des chrétiens. La jeune femme, par ailleurs accusée de « propagande contre l’État par le biais du prosélytisme chrétien », encourt cinq ans de prison.
Cependant, la grâce accordée en deux jours à deux chrétiens détenus à la prison d’Evin par Ali Khamenei le guide suprême de la Révolution islamique peut se lire comme une volonté d’atténuer les tensions en envoyant des gestes aux chrétiens, déclarait en novembre dernier un pasteur iranien à InfoChrétienne.
100 jours après la mort de Masah Amini, le 26 décembre, les protestations continuaient et elles ne cessent pas. À cette date, plus de 14 000 personnes avaient déjà été arrêtées, et Human Rights Iran parlait de plus de 500 morts, dont des mineurs.
Néanmoins, elles se sont réorganisées : « Le calme s’est installé dans les grandes villes », selon la politologue Mahnaz Shirali. Cette spécialiste de l’Iran précise que les manifestants optent désormais pour des actions de sabotage dans les grandes villes, tandis que « la contestation s’intensifie lorsqu’on s’éloigne de la capitale Téhéran notamment dans les régions démunies de tout ».
Jean Sarpédon