Le Président philippin annonce la rupture unilatérale d’avec son allié américain

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« J’annonce ma séparation d’avec les États-Unis. » Une phrase laconique, mais spectaculaire prononcée devant un parterre enthousiaste lors d’un forum économique à Pékin, jeudi, le 20 septembre. Par la voix du Président Rodrigo Duterte, les Philippines tournent le dos aux États-Unis au bénéfice de la Chine après avoir demandé aux Américains de les protéger de cette dernière, il y a quelques mois à peine. Le nouveau chef de l’État est un habitué des provocations envers les Américains alors que la population est très largement favorable au maintien des relations établies avec Washington.

C‘est le dernier épisode d’une relation qui se tend rapidement entre les États-Unis et leur ancien commonwealth devenu indépendant en 1946, et auparavant colonie américaine achetée à l’Espagne en 1898. A l’occasion de son investiture, le 30 juin dernier, le vibrionnant Rodrigo Duterte avait promis que son mandat serait un « voyage mouvementé ». De fait, sa politique sécuritaire méconnaissant totalement les droits de l’homme lui attire des critiques internationales, dont celles de Washington. Alors que Manille était, il y a encore peu, l’un des plus proches alliés des Américains en Asie du Sud-Est, Duterte répond aux inquiétudes de Washington en cherchant l’appui de la Chine avec laquelle les Philippines étaient en conflit territorial ouvert il y a quelques poignées de jours encore.

Une rupture stratégique prétextée par l’islamisme et les droits de l’homme ?

Le nouveau chef de l’État, ancien avocat, avait promis, au cours de sa campagne électorale, de faire assassiner des milliers de criminels, sans passer par la voie judiciaire, comme il avait ordonné des exécutions sommaires lorsqu’il était maire de Davao City dans l’île de Mindanao, ce dont il ne se cache pas. Dans sa lunette de visée, ce sont les trafiquants de drogue que l’on voit.

« Hitler massacra 3 millions (sic) de Juifs, nous avons maintenant 3 millions de drogués. Je serais heureux de les tuer »,

a-t-il même dit d’une voix calme et plutôt douce, le 30 septembre. Au jour de cette déclaration, plus de 3 000 personnes avaient déjà été abattues, soit par la police soit par des civils, depuis la prestation de serment de Duterte. Alors que Barack Obama devait le rencontrer en marge du sommet de l’ASEAN (Association des Nations d’Asie du Sud-Est) à Vientiane, au Laos, le chef de l’État philippin avait prononcé des mots peu amènes à l’endroit de son homologue américain, le 5 septembre, le qualifiant de « fils de pute », avant d’affirmer qu’il ne parlait pas de lui, mais des gens du Département d’État américain qui s’inquiétaient de la chasse aux trafiquants de drogue et à leurs clients.

Avant de traiter le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, d’imbécile pour les mêmes raisons. Un mois auparavant, Duterte avait déjà gratifié à la télévision l’ambassadeur des États-Unis aux Philippines du même nom et de l’épithète « homosexuel ». Après avoir annulé l’entretien, la Maison-Blanche l’avait reprogrammée pour le 8 septembre en en réduisant la durée. Selon la délégation américaine, les deux hommes avaient échangé des plaisanteries. Toutefois, si Duterte s’en prend aux États-Unis par crainte qu’ils ne critiquent sa politique de lutte contre la drogue, il n’hésite pas, juste avant sa visite en Chine, à se féliciter du don gratuit de 75 conteneurs de matériels fait par un milliardaire chinois pour soigner les drogués.

Pour le Président Duterte, l’alliance avec l’Occident est la cause des attentats islamistes aux Philippines

Pourtant, quatre jours après cette rencontre avec Barack Obama présentée comme détendue, le Gouvernement philippin a accusé les États-Unis d’être la cause de la menace terroriste à Mindanao, une île de l’archipel, avec une communauté musulmane représentant 20% de la population, contrairement à la majorité du pays, catholique, et il a demandé le départ des militaires américains. Pour se justifier, Duterte convoque l’Histoire en établissant une relation entre les violences islamistes et la période coloniale. Depuis les années 1970, les islamistes dans le sud des Philippines, et notamment à Mindanao, expriment des revendications séparatistes, notamment en commettant des attentats et prenant des otages, même étrangers, qu’ils peuvent décapiter.

Par exemple, le groupe Abu Sayyaf (littéralement « le père sabreur ») qui a fait allégeance à l’État islamique en août 2014, mais également le Front Moro islamique de libération avec lequel Manille a signé un accord de paix le 27 mars 2014. Un autre mouvement islamiste, le Front moro de libération nationale, qui avait refusé cette entente, a depuis rejoint la table des discussions qui ont repris le 13 août 2016 à Kuala Lumpur, en Malaisie. Ces négociations se déroulent tandis qu’Abu Sayyaf persiste dans ses attaques djihadistes contre les Philippines. Le 2 septembre, l’organisation terroriste a commis un attentat sur un marché de l’ancienne ville administrée par Duterte, Davao, faisant ce jour-là 14 morts et une soixantaine de blessés. Le Président avait alors déclaré « L’État de non-droit » sur tout l’archipel afin de donner une couverture juridique à l’armée pour briser par tous les moyens le mouvement djihadiste.

Duterte assure que si les islamistes attaquent les Philippines, la cause se trouve dans la bataille de Bud Dajo qui eut lieu en 1906, pendant la période de rébellion des Moros, au cours de laquelle les forces américaines massacrèrent une partie de ces derniers. Les estimations varient quant au nombre de morts, on estime qu’entre 700 et 1 000 Moros perdirent la vie dont les deux tiers étaient des femmes et des enfants. Pour le chef de l’État philippin, il est important que les islamistes ne considèrent plus les Philippines comme alliées de l’Occident en général, des États-Unis en particulier.

Le Président Duterte ne reconnaît pas les accords militaires avec les États-Unis

Rodrigo Duterte avait abordé cette question à l’entame de ce sommet de l’ASEAN, à huis clos avec les autres dirigeants. En janvier 2002, les États-Unis avaient dépêché des militaires dans l’archipel pour conseiller l’armée philippine, des commandos des forces spéciales avaient également été projetés sur le territoire de cet allié, dans le cadre de l’opération « Aigle de la liberté 2002 » visant à combattre les islamistes d’Abu Sayyaf. Ils étaient 2 000 l’année de leur arrivée et actuellement une centaine.

Tous sont invités à quitter la région de Mindanao. L’Enhanced Defense Cooperation Agreement (Accord de coopération militaire augmentée) de 1951 avait été renforcé en 1998 par le Visiting Forces agreement, facilitant les visites des militaires mutuelles entre les deux pays, notamment pour les conseillers des armées. Ces accords ont pu fonder juridiquement l’intervention américaine pour aider à combattre les islamistes, mais aussi soutenir les Philippines face à la Chine. Duterte, lui, ne reconnaît aucun accord.

L’ennemi chinois soudainement nouvel ami

Par ailleurs, d’autres militaires américains assistent Manille, cette fois-ci dans le conflit territorial qui l’oppose à la Chine. Pékin considère la mer de Chine méridionale comme lui appartenant, ce que conteste Manille. Les Chinois développent même des îlots artificiels afin d’élargir leur zone maritime et d’en exclure leurs voisins. En mars de cette année, le Président philippin Benigno Aquino III avait demandé l’aide militaire des États-Unis pour se protéger face à son puissant voisin asiatique. Les deux pays mènent donc des patrouilles main dans la main. La Cour permanente d’arbitrage de La Haye a tranché le 12 juillet dernier refusant à la Chine des « droits historiques », laquelle a répliqué en menaçant de créer une zone d’identification de défense aérienne dans cet espace et a mis en garde les Américains contre le risque que la mer de Chine méridionale devienne « le berceau de la guerre ». Les relations entre les États-Unis, le Japon et la Chine sont également tendues concernant la mer de Chine orientale que Pékin revendique comme sienne.

Les tensions sont vives dans la région entre la Chine et ses voisins au sujet du passage des navires et aéronefs. Duterte voudrait-il se protéger d’un conflit, de plusieurs conflits, avec la Chine d’une part et les islamistes d’autre part ? Toujours est-il qu’il estime plus prudent de négocier avec la Chine la victoire qu’il a acquise devant la justice internationale. Une semaine avant le rendu de la décision, le très agité Président s’était annoncé conciliant :

« Si ça nous est favorable, parlons ! »

Offrir à la Chine la fin de la relation avec l’Amérique pour accéder à une mer dans laquelle les Philippines ont le droit d’entrer, selon le droit international

C’est un Rodrigo Duterte en mesure de proposer une contrepartie à l’accès à la mer de Chine méridionale qui est arrivé à Pékin pour une visite D’État de quatre jours ce 18 septembre. Puisque le droit qu’il a pour lui n’est pas reconnu par le Président Xi Jinping, il a dans son sac de quoi marchander, l’abandon de l’amitié américano-philippine au profit d’un partenariat avec la Chine. Il s’est d’ailleurs rendu à Pékin accompagné d’une délégation d’affaires de 400 membres et n’est pas revenu les mains vides, La rencontre a été fructueuse sur le plan économique, Xi s’est engagé à développer les infrastructures routières, ferrées et portuaires dans l’archipel, ainsi qu’à encourager les entreprises chinoises à y investir et ses compatriotes à s’y rendre en touristes. Au total, les accords représenteraient douze milliards d’euros, et la Chine devrait prêter environ huit milliards d’euros à son voisin.

Le ministre des Affaires étrangères philippin, Perfecto Yasay Jr, avait tenté de minimiser les propos du chef de l’État et assuré que les manœuvres militaires conjointes se poursuivraient, mais que Duterte voulait simplement dire qu’elles ne se dérouleraient pas en mer de Chine méridionale, car il ne fallait pas provoquer Pékin. Washington avait affirmé que l’alliance entre les deux pays était en « béton armé ». Face à la volonté désormais affichée de rompre avec eux, les Américains demandent à Duterte d’expliquer ses intentions. Grand absent des discussions, le peuple philippin est,lui, en faveur du maintien des relations avec les États-Unis selon un sondage publié le 18 octobre. 76% des Philippins feraient très confiance aux Américains, 22% aux Chinois.

De retour de Chine, des contrats plein les poches, le Président Duterte est revenu sur ses déclarations en disant qu’il n’envisageait pas de rompre les liens diplomatiques avec les États-Unis.

Hans-Søren Dag


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