
Les responsables chrétiens sont divisés sur le projet du président kényan, William Ruto, de bâtir une église de 8 000 places sur un terrain appartenant à l’État.
Une modeste chapelle au toit en mabati – ou tôle ondulée – située dans l’enceinte de la State House — la résidence présidentielle à Nairobi, au Kenya — est au centre d’un débat houleux entre le président William Ruto et ses détracteurs. Jusqu’ici, la présence de cette petite chapelle temporaire n’avait jamais suscité de controverse.
Mais plusieurs sources médiatiques rapportent que Ruto défend actuellement un projet visant à démolir l’ancien édifice pour le remplacer par une église de 8 000 places. Le 7 juillet, s’adressant à ses invités à la State House, Ruto a cité Aggée 1.4 :
"Est-ce le moment pour vous d’habiter vos maisons lambrissées, quand cette maison est en ruines ?"
Il avait promis de bâtir une chapelle permanente à la State House pendant sa campagne présidentielle de 2022.
Certains Kényans ont vivement réagi face au coût estimé du projet : 1,2 milliard de shillings (environ 9 millions de dollars américains). Les critiques estiment que le président ne devrait pas donner la priorité à un édifice religieux aussi onéreux alors que le pays est confronté à un coût de la vie élevé et à un système de santé publique en difficulté. Ils attribuent en partie ces difficultés aux taxes imposées par le gouvernement.
Sur les réseaux sociaux, le commentateur Dannish Odongo a déclaré :
"Je suis chrétien, mais cette construction est une erreur. L’État et l’Église doivent être séparés. Imaginez si un non-chrétien accédait au pouvoir. Serait-on d’accord qu’un hindou utilise des ressources de l’État pour construire un temple ? Ou qu’un adepte des religions traditionnelles bâtisse un autel avec de l’argent public ?"
William Ruto affirme financer le projet sur ses fonds personnels, et non avec de l’argent public. Toutefois, certains Kényans doutent de cette affirmation. Selon la Commission des salaires et rémunérations, le président gagne 17,32 millions de shillings kényans par an (environ 133 500 dollars). À ce rythme, il lui faudrait l’équivalent de 69 ans de salaire pour financer lui-même la construction de l’église.
Le président reste discret sur l’étendue de sa fortune. Mais en 2021, il avait déclaré aux médias qu’il gagnait 1,5 million de shillings par jour (environ 11 500 dollars) grâce à son élevage de volailles, niant avoir bâti sa richesse grâce à la corruption.
Fred Matiang’i, ancien secrétaire du cabinet du ministère de l’Intérieur, a quant à lui affirmé devant une commission parlementaire que Ruto posséderait "18 500 acres de terrains, deux hôtels de luxe, cinq hélicoptères" et une ferme avicole. Des articles de presse rapportent aussi qu’il détiendrait 400 000 actions de l’opérateur télécom Safaricom et 8 000 actions de la compagnie Kenya Airways.
En mars dernier, l’ancien vice-président Rigathi Gachagua — destitué en 2024 après s’être brouillé avec Ruto — a affirmé que le président aurait amassé entre 3 et 4 billions de shillings (soit entre 23 et 30 milliards de dollars) depuis son arrivée au pouvoir en 2022. Il n’a toutefois fourni aucune preuve pour appuyer cette affirmation.
Brian Okoko Njeka, avocat et chrétien, affirme que le projet "sent la corruption : un président qui se vante de construire une église d’une telle ampleur avec ses fonds personnels insulte directement les Kényans pauvres. C’est immoral et cela tourne en dérision la fonction présidentielle".
Selon lui, la décision du président serait avant tout politique, destinée à séduire l’électorat chrétien.
Mais pour Idris Duba, pasteur auprès des Assemblées de Dieu à Nairobi, le contexte est important :
"Il y a déjà une église existante. Il en construit simplement une meilleure. Je ne vois pas de problème à cela, car elle était déjà là… et d’après ses dires, ce ne sont pas des fonds publics qui sont utilisés."
David Ndii, conseiller présidentiel, a déclaré que l’église serait destinée aux plus de 1 000 membres du personnel qui vivent et travaillent dans l’enceinte de la State House, ainsi qu’à leurs familles. À ce jour, la présidence n’a pas précisé qui dirigera cette église ni comment les services religieux y seront organisés.
Selon un rapport de 2019 du Bureau national des statistiques du Kenya, 88 % des 4 millions d’habitants de Nairobi se déclarent chrétiens. L’une des plus grandes églises de la ville, Winners Chapel, peut accueillir jusqu’à 12 000 personnes.
D’autres dirigeants africains ont construit des églises coûteuses, mais rarement dans leur résidence officielle. Mobutu Sese Seko, qui a dirigé la République démocratique du Congo à partir de 1965, avait fait construire en 1978 une chapelle "en marbre, ornée d’or et de métaux précieux". Elle a été détruite par les rebelles lors de sa chute en 1997.
Nana Akufo-Addo, président du Ghana de janvier 2017 à janvier 2025, avait lancé la construction d’une cathédrale. Un projet vivement critiqué par les citoyens pour son financement par rapport à d’autres besoins du pays. Le coût prévu de 100 millions de dollars a quadruplé à cause de l’inflation, et la cathédrale reste inachevée.
Le président Teodoro Obiang Nguema, au pouvoir en Guinée équatoriale depuis 1979, aurait quant à lui fait construire une église de 1 000 places dans sa ville natale de Mongomo. Ses détracteurs ont dénoncé une obsession à bâtir des lieux de culte au détriment d’écoles, d’hôpitaux ou de logements.
Au Kenya, l’archevêque anglican Jackson Ole Sapit a rapidement remis en question la construction de l’église au sein de la State House, affirmant que cela irait à l’encontre du principe constitutionnel de séparation de l’Église et de l’État.
L’article 8 de la Constitution kényane stipule que le pays est un État laïque, sans religion officielle. Un avocat a déposé un recours devant la Haute Cour de Nairobi pour bloquer le projet, arguant que l’action du président revient à privilégier le christianisme comme religion d’État, ce qui contrevient à l’esprit de la Constitution. Il a également souligné qu’un tel projet devrait être soumis à l’approbation du Parlement.
La Haute Cour siégeant à Nairobi a donné sept jours au procureur général pour répondre à la requête au nom du président Ruto.
Par Moses Wasamu
Un article de Christianity Today. Traduit avec autorisation. Retrouvez tous les articles en français de Christianity Today.