Les dernières estimations publiées par l’Insee en janvier et les données du CEPII montrent qu’en dehors des deux guerres mondiales, la France a connu en 2020 la pire récession de son histoire depuis 1890, avec une récession à hauteur de 8,3 % de son PIB.
Pour y faire face, un plan de relance a été conçu à l’image de celui de 2008 mais avec une ampleur plus importante, proportionnelle à la récession anticipée. Les annonces effectuées en septembre 2020 envisagent le déploiement de 100 milliards d’euros qui visent notamment à soutenir l’investissement local.
On peut qualifier ce plan d’inspiration keynésienne : les pouvoirs publics misent sur les retombées de ce plan sur le territoire.
Une concentration des sources de financement
Or, le risque d’effondrement de l’ensemble du tissu économique local, le risque systémique, en cas de non-rentabilité de l’investissement menace les collectivités territoriales.
Comme nous le montrons dans un article de recherche récent paru dans la Revue d’économie politique, ce risque systémique serait lié aux interactions spatiales avec les départements voisins au niveau des comportements d’emprunt des collectivités, c’est-à-dire du financement des dépenses d’investissement (principalement destinées à des dépenses de voirie, pour les collèges ou encore l’ingénierie territoriale).
Il existerait un « effet multiplicateur » de l’emprunt des départements voisins sur le niveau d’endettement d’un département donné. En effet, l’analyse montre que, lorsque la valeur des emprunts des départements voisins d’un département donné s’accroît d’un euro, ceci va engendrer une hausse de l’emprunt du département considéré de 22 centimes en moyenne. Comment expliquer cet effet qui peut conduire à un endettement pas forcément justifié et qui accroît ainsi le risque de défaillance ?
Une piste d’explication passe par les canaux de financement des collectivités dont les cartes ont été profondément rebattues à la suite de la crise de 2008. En effet, après la quasi-faillite de la banque Dexia, l’équilibre entre les institutions privées et publiques finançant les collectivités locales s’est déplacé en faveur des dernières.
On a assisté à un phénomène de concentration des sources de financement vers les établissements bancaires publics, qui financent désormais les départements à plus de 53 % contre 32,5 % pour les établissements privés et 14,5 % pour le marché obligataire.
Cette concentration des financeurs pourrait ainsi conduire à une concentration des offres de crédit et à une harmonisation de leurs conditions car elle octroie une plus grande capacité de négociation aux établissements bancaires qui ont acquis un pouvoir de marché plus important. Cette transformation du marché du crédit reporte donc finalement le coût du risque sur les collectivités et moins sur le système financier. En d’autres termes, le risque serait reporté sur les financés et non sur les financeurs.
Les départements face à l’effet ciseaux
Il ressort en outre de cette étude que c’est au niveau des départements que la situation financière apparaît comme la plus préoccupante, plus qu’aux échelons de la commune, de l’intercommunalité ou de la région qui conserve de bonnes capacités d’investissement dans un contexte de taux bas.
En effet, l’aide sociale, au travers des allocations individuelles de solidarité ou en appui aux établissements de services sociaux et médico-sociaux, constitue l’une des principales compétences des départements. Or, ces compétences ont été largement sollicitées pour faire face aux conséquences de la crise de la Covid-19 en 2020.
En 2021, les départements pourraient ainsi se trouver confrontés à un effet ciseaux. En effet, les recettes liées à l’activité des entreprises, notamment la cotisation sur la valeur ajoutée, devraient largement diminuer contrairement à leurs dépenses. Si les dépenses sociales continuent d’être élevées, les départements devront puiser dans leur épargne. Si cette dernière reste élevée, certains départements pourraient toutefois se trouver rapidement en difficulté.
En tenant compte de l’effet multiplicateur du risque lié aux interactions spatiales, on comprend donc que la réussite du plan de relance dans son volet consacré à la cohésion territoriale repose sur un mécanisme de coordination particulier entre les différents départements, mais aussi entre les différents niveaux de collectivité. C’est ce qui permettra d’optimiser les dépenses pour assurer au mieux les retombées visées.
Philippe Frouté, Maître de conférences en sciences économiques, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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