Le voyage que le pape François 1er, chef spirituel de quelque 1,3 milliard de catholiques à travers le monde, a effectué au Maroc les 30 et 31 mars, est historique à plus d’un titre.
C’était le premier au Maghreb d’un pape venu d’un pays du Sud, d’Argentine en l’occurrence, et le second que le Maroc accueille en 34 ans, depuis la visite de Jean‑Paul II en 1985, mettant ainsi ce pays (musulman à plus de 99 % de sa population) en première ligne du dialogue inter-religions au sein du monde arabo-musulman.
Le Maroc, François et la question migratoire
La rencontre entre François 1er et Mohamed VI, roi du Maroc, auréolé du titre de « Commandeur des croyants », se veut être, de part et d’autre, un signe autant de dialogue apaisé que de refus du terrorisme sous toutes ses formes – surtout après les attaques contre deux mosquées en Nouvelle-Zélande perpétrées deux semaines plus tôt (le 15 du même mois) – que de rapprochement des points de vue au sujet de la question des migrations.
Un sujet sur lequel le Maroc s’est mis sur le devant de la scène sur le continent en prenant en charge la Commission « Migration » de l’Union africaine, et sur le plan intérieur, en adoptant depuis la fin de l’année 2013 une « nouvelle politique migratoire » a priori plus respectueuse des droits de l’homme.
Or, sur ce même thème, le pape prône en toute occasion plus d’humanité et de générosité de la part tant des pays d’accueil que de transit.
Il était d’ailleurs attendu avec de grands espoirs par les quelques 60 000 à 80 000 migrants vivant au Maroc ou cherchant à joindre l’Europe à partir de ses côtes.
Oui à la liberté religieuse, non au prosélytisme
Cette visite avait également suscité l’espoir des minorités chrétiennes au Maroc – près de 30 000 personnes – dont les Marocains convertis, qui demandent à pouvoir bénéficier pleinement de la liberté de culte telle qu’inscrite dans la Constitution marocaine. En effet, son article 3 – adoptée en 2011 – stipule :
« L’islam est la religion de l’État, qui garantit à tous le libre exercice des cultes ».
Mais, si le code pénal marocain ne prévoit pas la peine de mort pour les apostats de l’islam, contrairement par exemple aux Émirats arabes unis (que le Pape a visités en janvier 2019), il n’en reste pas moins que cette liberté est admise uniquement pour les « Marocains non musulmans ». Ce qui vide l’article correspondant d’une grande partie de son sens.
Ce sujet reste, de fait, extrêmement sensible et fait peser une forte menace sur nombre de Marocains : si la conversion volontaire n’est pas considérée comme un crime, le prosélytisme peut valoir une peine de six mois à trois ans de prison.
Selon la loi marocaine est puni de cette peine :
« quiconque emploie des moyens de séduction dans le but d’ébranler la foi d’un musulman ou de le convertir à une autre religion, soit en exploitant sa faiblesse ou ses besoins, soit en utilisant à ces fins des établissements d’enseignement, de santé, des asiles ou des orphelinats ».
Face à cette menace, une coordination de chrétiens marocains a exprimé de nouveau son souhait, à l’occasion de la venue du Pape au Maroc, que ce pays « assume sa diversité religieuse ».
Cette même coordination avait fait sa première sortie officielle, en 2017, en déposant un cahier de doléances auprès du CNDH (Conseil national des droits de l’homme, dont le président est désigné par le roi). Parmi ces doléances, la possibilité pour les Marocains convertis au christianisme d’opter pour le mariage civil, à défaut d’un mariage à l’église ; la liberté d’exercer leur culte dans les temples et églises, celle d’appeler leurs enfants par des noms chrétiens, ou encore d’inhumer les morts selon leur tradition.
La prudence du pape François
Si l’entente entre Mohamed VI et le pape peut être totale s’agissant de la nécessité du dialogue inter-religions ou de l’accueil des migrants, il est délicat pour François 1er de s’immiscer dans les affaires intérieures du Maroc. Et la question de la liberté réelle du culte en fait partie pour nombre de responsables marocains, comme c’est le cas pour l’ensemble des libertés d’ordre politique pour lesquelles le Maroc fait l’objet de critiques tant à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur.
De fait, à l’occasion d’une visite de la grande cathédrale de Rabat, lors de la seconde journée de sa visite au Maroc, le pape s’est exprimé sur la question du prosélytisme. Il a mis en garde contre toute tentation visant à renforcer les rangs de la communauté chrétienne. En cherchant de toute évidence à ne pas contredire l’interprétation officielle de l’article 3 de la Constitution, mais en refroidissant les espoirs des Marocains convertis, il a ainsi expliqué que « l’important n’était pas d’être nombreux mais d’illustrer très concrètement les enseignements de l’Église ». Puis il a ajouté :
« Les chemins de la mission ne passent pas par le prosélytisme, qui conduit toujours à une impasse ».
Toutefois, lors de sa première intervention en terre marocaine, le samedi 30 mars, François 1ᵉʳ avait déclaré devant le roi :
« La liberté de conscience et la liberté religieuse – qui ne se limitent pas à la seule liberté de culte mais qui doivent permettre à chacun de vivre selon sa propre conviction religieuse – sont inséparablement liées à la dignité humaine ».
L’enjeu commun de Jérusalem
Sur un registre moins attendu, le roi Mohammed VI, président du Comité Al Qods (Jérusalem), et le pape François ont signé, le même jour au Palais Royal à Rabat, un communiqué commun qu’ils ont qualifié, « l’Appel d’Al Qods » visant à conserver et à promouvoir le caractère spécifique multi-religieux, la dimension spirituelle et l’identité particulière de la ville sainte.
Ce texte, qui semble constituer une critique directe de la décision prise par les États-Unis d’Amérique de transférer leur ambassade de Tel-Aviv à Jérusalem au printemps 2018 – insiste sur « l’unicité et la sacralité de Jérusalem–Al Qods Acharif ».
Dans ce sens, les deux signataires avancent :
« Nous pensons important de préserver la Ville sainte de Jérusalem–Al Qods Acharif comme patrimoine commun de l’humanité et, par-dessus tout pour les fidèles des trois religions monothéistes, comme lieu de rencontre et symbole de coexistence pacifique, où se cultivent le respect réciproque et le dialogue ».
Puis ils expriment le souhait que « dans la ville sainte soient garantis la pleine liberté d’accès aux fidèles des trois religions monothéistes et le droit de chacune d’y exercer son propre culte ».
Un tel appel est, de toute évidence, destiné à réduire les tensions autour de la ville de Jérusalem et, partant, des territoires palestiniens occupés par l’armée israélienne. Or ces tensions sont considérées au Maroc, comme dans le reste du monde arabo-musulman, comme le carburant qui alimente depuis de nombreuses années la radicalisation et la violence au Moyen-Orient, au Maghreb mais aussi au-delà, en Europe entre autres.
Mehdi Lahlou, Chercheur associé à l’INSEA Rabat, Université Mohammed V de Rabat
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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