La récente destruction au bulldozer des maisons de deux familles chrétiennes à Islamabad, la capitale du Pakistan, par une agence gouvernementale, sans que les habitants aient le temps de sauver leurs maigres biens, est l’un des derniers avatars de la persécution et de la discrimination que subissent les chrétiens dans le deuxième plus grand pays musulman.
L’une des victimes dénonçait ainsi cette injustice : « Bien que nous soyons chrétiens, nous sommes aussi des citoyens pakistanais ». Des mots qui résument bien le statut des non-musulmans confrontés à l’hostilité des autorités et de la société.
Les chrétiens de Nawaz Sharif à Islamabad n’avaient pas été prévenus de l’opération de destruction de leurs maisons et église par l’Autorité de développement de la capitale, le 18 octobre dernier, mais ils ont pu s’enfuir à temps pour éviter de périr écrasés. La démolition est d’autant plus dramatique à l’approche de l’hiver et alors que les autorités n’ont proposé aucun plan d’indemnisation et de relogement aux habitants.
Ce n’est pas la première fois que les autorités détruisent des habitats ou lieux de culte de chrétiens. En effet, le 31 mars 2021, le dernier jour du carême, le même organisme islamabadien avait détruit sans préavis l’église de la zone Musharraf où vivent 300-400 personnes.
Les chrétiens, laissés à l’abandon et à aux injustices sociales
La dernière destruction intervient peu après les inondations qui ont frappé le pays causant la mort de plus de 1 700 personnes.
Lors de ces intempéries, les autorités et les ONG islamiques ne distribuent souvent pas l’aide internationale aux communautés chrétiennes. Laissés à l’abandon lors des catastrophes, les chrétiens le sont également dans leur quotidien tout au long de l’année.
« Ils rencontrent une discrimination, une persécution aggravée par leur abjecte pauvreté », souligne Juliet Chowdhry, la directrice de la British Asian Christian Association (BACA), une association de soutien aux chrétiens persécutés, elle-même pakistanaise.
En raison de la discrimination, les chrétiens ne peuvent souvent pas étudier, sont analphabètes et exercent des emplois subalternes. C’est un cercle vicieux qui les oblige à rester à la merci des patrons.
La directrice de la BACA observe que « plus d’un million de chrétiens sont réduits en esclavage dans les fours à briques du Pakistan et 500 000 autres ont des contrats de travail similaires dans l’industrie du tissage de tapis. Ceci parce qu’un patriarche analphabète aura signé (avec l’empreinte de son pouce) un contrat d’esclavage piégeant ses enfants et les générations suivantes dans des contrats de travail brutaux. Normalement, en échange d’un prêt pour payer des frais médicaux ou le mariage d’un enfant. »
Dans le cadre de ces contrats, « les familles asservies sont battues, payées de façon dérisoire et forcées de travailler des heures excessives. Les enfants de plus de 13 ans sont censés rejoindre leurs parents dans le cadre de la main-d’œuvre. »
Souvent, les femmes employées dans ces briqueteries sont violées par les propriétaires ou les autres responsables, tandis que les hommes de leurs familles sont occupés à travailler.
Les chrétiennes cibles de viols et de mariages forcés
Les violences sexuelles sont le lot des minorités religieuses au Pakistan, et les chrétiens n’y échappent pas. Des femmes, des adolescentes, des fillettes, mais aussi des garçons, comme lorsqu’un adolescent de 14 ans, Zeeshan, fut violé et pendu en 2016 sans que la police ne daigne vraiment enquêter.
En 2010, Arshed a été brûlé vif devant un poste de police, suite à des menaces de son employeur parce qu’il refusait de se convertir à l’islam ; quand son épouse Martha est allée porter plainte, les policiers l’ont violé et ont forcé ses trois jeunes enfants à regarder la scène.
Dans le faubourg d’Essa Nagri, près de Karachi, les islamistes mènent des raids pour violer des femmes et des filles. Toutes les minorités sont victimes de ces attaques, même la communauté ahmadie à qui est refusée le qualificatif de « musulmane ».
« Ce qui est encore plus exaspérant, ce sont les quelque 700 filles chrétiennes enlevées, violées et contraintes au mariage islamique », déplore Juliet Chowdhry, qui ajoute que « certaines mosquées sont connues pour prêcher qu’il existe une place spéciale au paradis pour les hommes musulmans qui agrandissent ainsi l’Oumma, la communauté des croyants. »
La police ignore ces rapts, en dépit des lois qui les sanctionnent et de l’âge des filles en deçà du seuil légal. Les tribunaux font prévaloir la charia sur ces lois pour valider les mariages forcés. La BACA a été la première association à libérer une femme mariée de mort, mais la plupart des batailles juridiques sont perdues, « car même lorsqu’une fille est retrouvée, elle est envoyée dans un centre de refuge pour femmes qui n’est souvent impartial que de nom. »
« Les violeurs musulmans ou leurs amis ont accès à ces centres de protection et menacent de tuer la jeune fille et sa famille si elle ne déclare pas avoir épousé l’homme musulman de son plein gré », soupire Juliet Chowdhry.
La loi sur le blasphème : la menace permanente du lynchage ou de la condamnation pénale
À ces agressions et cette précarité s’ajoute une forte insécurité liée à la loi sur le blasphème de 1986.
L’histoire d’Asia Bibi a fait le tour du monde et des pays occidentaux ont exercé des pressions sur le Pakistan après la condamnation à mort en 2010 de cette mère de famille suite à des accusations de blasphème.
Son tort a été de boire dans un gobelet qu’elle a tendu à ses collègues de travail qui ont affirmé qu’il était désormais souillé. La jeune femme avait répondu douter que le prophète Mahomet aurait parlé ainsi, ce qui lui avait valu d’être traduit en justice. Certains juges pakistanais avaient craint qu’elle ne soit lynchée par la foule s’ils la libéraient et d’être eux-mêmes assassinés.
En effet, quand bien même des représentants de l’État ou d’autres dirigeants tentent de faire respecter les droits des minorités, ils s’exposent au risque d’être tués.
En janvier 2011, le gouverneur du Penjab, Salman Taseer, avait été assassiné par son propre garde du corps, un policier, après avoir apporté son soutien à Asia Bibi et demandé la suppression de la loi sur le blasphème. Deux mois plus tard, le ministre fédéral des minorités, le chrétien Shahbaz Bhatti, était à son tour assassiné, après quoi le président Asif Ali Zardari, veuf de l’ancien Premier ministre Benazir Bhutto tuée par un kamikaze, a soutenu un amendement constitutionnel pour réserver quatre sièges au Sénat aux minorités.
Bien que Zardari ait exprimé en 2009 sa volonté d’en finir avec l’utilisation de la loi sur le blasphème pour nuire aux minorités, la justice condamne encore des chrétiens sur ce motif. Les magistrats ont leurs préjugés contre les chrétiens, constate Juliet Chowdhry, mais ils ont aussi peur d’être assassinés comme le juge Arif Iqbal Bhatti, tué en 1997 parce qu’il avait libéré deux chrétiens trois ans plus tôt.
En 2016, la justice pakistanaise a condamné à mort quatre musulmans après qu’une foule eut enfermé un couple chrétien dans le four d’une briqueterie pour l’y brûler vif. Une réaction qui reste l’exception.
Jean Sarpédon