Le nouveau film événement de Mel Gibson, dont le héros est un chrétien évangélique, sort cette semaine
Desmond Doss (joué par Andrew Garfield) est un jeune croyant évangélique, issu d’une Eglise adventiste. Il est humble, romantique, mais surtout profondément courageux malgré son pacifisme affiché. Marqué dans sa jeunesse par un père violent, Tom Doss (joué par Hugo Weaving), et par un épisode où il faillit tuer son propre frère, il refuse désormais de porter les armes, afin de mieux se conformer aux principes bibliques qui ont marqué son éducation, et par souci de fidélité à ses propres convictions religieuses.
Pourtant, la théologie chrétienne bien comprise n’interdit pas de prendre les armes pour défendre sa patrie lorsqu’elle est en danger, et même de se défendre soi-même (en cas de légitime défense) lorsque sa vie est menacée - si du moins l’intention première n’est pas d’abord l’homicide, mais le souci de préserver sa propre vie. Le respect de certaines « clauses » (juste titre, juste cause, intention droite et ultime recours après que tous les moyens diplomatique aient échoués) peut justifier exceptionnellement un « droit à la guerre » (jus ad bellum) qui sera repris dans la charte du droit international codifiée par les conventions de Genève et La Haye.
Mais Doss, qui n’a pas lu les premiers théoriciens chrétiens de la « guerre juste », ne l’entend pas de cette oreille : se souvenant sans doute de la parole de Jésus à Pierre (« celui qui prendra l’épée périra par l’épée »), et soucieux d’appliquer à la lettre le cinquième commandement biblique, qui donne au film son titre, il refuse de transiger avec les exigences de sa conscience, privilégiant clairement une « éthique de la conviction », mais tout en faisant preuve d’un sens aigu de ses responsabilités, pour reprendre des catégories du sociologue allemand Max Weber dans Le savant et le politique.
Doss ne croit pas que la violence, fut-elle légitimée, puisse régler en profondeur le mal qui ronge l’humanité
En d’autres termes, Doss ne croit pas que la violence, fut-elle légitimée, puisse régler en profondeur le mal qui ronge l’humanité, se faisant plutôt un apôtre de la non-violence. Si l’on se gardera d’en tirer des conclusions trop générales sur l’attitude que doit avoir le chrétien en temps de guerre (faut-il prendre le risque, en refusant toute violence, de laisser triompher le mal ? Et si l’on peut, à titre individuel, choisir de « tendre la joue droite » quand on nous « frappe la joue gauche », est-ce encore possible lorsqu’il s’agit d’assurer la survie d’une communauté dont les militaires ont la responsabilité ?), précisons que Doss ne cherche nullement à imposer sa conscience aux autres : simplement, il vit cet appel de sa conscience - qui est manifestement aussi ici un appel de Dieu - comme une vocation singulière et unique, enracinée dans son histoire familiale et personnelle.
Pourtant, bien qu’objecteur de conscience lorsqu’il s’engage dans l’armée, l’idée de désobéissance civique, mise en avant par Thoreau, ne l’effleure guère, car s’il refuse de porter une arme, Doss respecte pleinement les « autorités instituées », même quand elles sont injustes, et il se soumet d’ailleurs volontiers au verdict de ses juges, trouvant dans cette obéissance une occasion de grandir en patience et en humilité : seul lui importe, au fond, de ne pas se mettre en porte-à-faux vis-à-vis de sa conscience, malgré les fortes pressions qu’il subit et qui l’incitent à abdiquer celle-ci. Doss, c’est au fond l’antithèse d’Adolf Eichmann, ce fonctionnaire nazi à qui Hannah Arendt reprochait justement d’obéir servilement aux ordres, en étouffant la voix de sa conscience – et c’est en cela que consiste, pour Arendt, la « banalité du mal ».
Cette conscience ne laisse en revanche aucun répit à Doss, y compris lorsque sa bien aimée, Dorothy Schutte (jouée par Teresa Palmer) tente de le persuader de renoncer à ses convictions, pour ne pas hypothéquer un bonheur futur qui semblait pourtant leur tendre les bras. Mais Doss est un homme pour qui renoncer à sa conscience serait se renier soi-même, et c’est pourquoi la conviction intime qui l’anime n’a ici rien d’un prétexte hypocrite pour se dérober à ses devoirs civiques, au nom d’un antimilitarisme juvénil que l’on retrouve parfois chez certains pacifistes finalement plus soucieux de leur confort personnel que de la sauvegarde de leur patrie. Quand il s’agit de servir son pays, Doss n’hésite pas, en effet, à sacrifier provisoirement son amour naissant (et intense) pour Dorothy - qui deviendra sa femme dans la vie -, et il se porte volontaire pour s’engager dans l’armée, qu’il espère servir « à sa façon » en devenant infirmier.
À l’image du Christ, qui se fait le serviteur de tous avant d’endurer les affres de sa passion
Il ira d’ailleurs aux extrêmes limites de ce « service » : à l’image du Christ, qui se fait le serviteur de tous avant d’endurer les affres de sa passion (un thème qu’affectionne décidément Mel Gibson !), Doss subira lui aussi, de la part de son entourage (lors des camps d’entraînement militaires), les vexations et les persécutions que le Christ a promis à ceux qui veulent être ses disciples. Mais refusant de céder à la délation, il préfère le pardon à la vengeance, et dans l’enfer d’Okinawa, il partira au feu, tel le bon berger, à la recherche de chacune des brebis perdues, dont il pansera les blessures une par une, pour les ramener à l’abri. Mais les risques totalement insensés qu’il prend pour sauver ses compagnons d’armes susciteront finalement le respect et l’admiration de tous, devenant à leurs yeux un véritable « héros national ».
On l’aura compris, Desmond Doss est une figure hautement christique, et le film « Tu ne tueras point » est une parabole du « salut par la foi », car c’est bien cette foi chrétienne qui pousse Doss, au péril de sa vie, à faire preuve d’une incroyable abnégation : ne cherchant pas à sauver sa propre vie, il est prêt à tout pour sauver celle des autres. Mais cette foi, assurément, n’est pas la foi morte des démons, c’est la foi vive, « animée par la charité », dirait St Paul (Galates, 5, 6), une charité qui n’est d’ailleurs pas réservée aux siens, mais s’étend même à l’amour de ses ennemis, comme l’illustre l’épisode de la grotte, où Doss vient en aide à un soldat japonais agonisant.
Il est cependant assez stupéfiant de voir comment Dieu, dans sa divine providence, veille sur chaque cheveux de Doss, car exposé tout seul et sans aucune arme aux assauts de l’ennemi japonais, il parvient miraculeusement à s’en sortir indemne là où plusieurs de ses compagnons se sont faits massacrer dans des scènes d’une violence parfois inouïe.
C’est toute une allégorie du salut que Mel Gibson met ici en scène
Disons-le clairement : à travers cette histoire authentique, où se révèle la bravoure et le courage d’une personnalité attachante et hors du commun, c’est toute une allégorie du salut que Mel Gibson met ici en scène, dans un film puissant, bouleversant d’humanité, et remarquablement interprété. Rares sont les films capables de transformer en profondeur les personnes qui le regardent, en leur ouvrant un horizon qui était jusque-là insoupçonné par eux : celui de Mel Gibson en fait indiscutablement partie, et gageons qu’il interpellera les cœurs les plus endurcis sur ce qu’il peut y avoir d’héroïque dans une foi totalement irradiée par le souci de sauver son prochain.
Nul doute qu’il fortifiera aussi l’espérance des croyants, en les poussant à aller, à la suite de Doss, jusqu’au bout de leurs convictions, comme nous y invite d’ailleurs le véritable Desmond Doss dans l’épilogue final du film.
Charles-Eric de Saint Germain