Le Gouvernement veut créer un délit d’entrave numérique pour sanctionner les sites anti-IVG

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Le ministre de la Famille, de l’Enfance et des Droits des femmes, Laurence Rossignol, a annoncé ce mardi 27 septembre qu’elle présentera aux parlementaires un amendement sur le « délit d’entrave à l’IVG » dans le projet de loi Égalité et citoyenneté. Dans son collimateur, les opposants à la pratique, particulièrement les sites Internet alternatifs à celui du Gouvernement comme ivg.net. La rapporteuse dudit texte au Sénat, Françoise Gatel, assure cependant qu’elle donnera un avis défavorable à cet amendement.

Le Gouvernement a lancé son site officiel sur l’IVG le 27 septembre 2013. En janvier de la même année, le ministre des Droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem avait appelé les associations pro-IVG à « lancer une contre-offensive sur Internet » pour l’emporter face aux sites anti-IVG avant d’entrer dans une guerre du référencement sur Google. Plutôt qu’un débat, un combat difficile que Laurence Rossignol veut désormais achever avec le concours du législateur.

Dépénalisé par la loi Veil en janvier 1975, c’est-à-dire soustrait à la punition dans certains cas, en l’occurrence la situation de détresse, l’avortement - improprement dit « IVG » puisqu’une grossesse ne peut réellement être interrompue, mais arrêtée - a implicitement été légalisé ; c’est devenu un droit. En effet, la condition de détresse, qui depuis longtemps n’était en réalité plus exigée pour avorter, a disparu de la législation avec la loi du 4 août 2014 qui dispose que dans « l’article L. 2212-1 [du Code de la santé publique], les mots : que son état place dans une situation de détresse sont remplacés par les mots : qui ne veut pas poursuivre une grossesse « .

Et déjà l’exposé des motifs du projet de loi de 2001 relatif à l’IVG déclarait que « la régulation des naissances est aujourd’hui un droit fondamental des femmes ». Ce qui était officiellement interdit en creux, le recours à l’avortement hors d’une situation de détresse, ne l’étant plus dans les faits, la pratique est légalisée. Le Gouvernement veut cependant aller plus loin en passant indirectement de la pénalisation de l’avortement à celle de l’information anti-avortement.

La dépénalisation mal entendue était comprise comme une validation morale de l’IVG qui relèverait du bien.  Par un étrange tour de langage, ce qui n’était que dépénalisé est devenu un droit. Dès lors, la légalisation n’était plus qu’une affaire de temps, et la conception du bien est telle que sa critique est considérée comme illégitime mais aussi à pénaliser.

Dépénalisation et légalisation de l’IVG, pénalisation de sa critique ?

Laurence Rossignol souhaite donc faire de l’information sur l’IVG alternative à celle du Gouvernement un délit, ce qui emporterait des sanctions pénales, en l’occurrence deux ans de prison et 30 000 euros d’amende. Les sites comme ivg.net ou afterbaiz.com, accusés de proposer des données « trompant délibérément les internautes en se faisant passer pour des sites officiels ou neutres, et cherchant à dissuader les femmes de recourir à l’IVG », seraient ainsi traités identiquement aux justiciables recourant à l’entrave physique à l’avortement. Ce délit créé en 1993 concerne depuis une loi du 4 août 2014 toute personne qui tenterait d’empêcher de s’informer sur une IVG ou de la pratiquer, soit en exerçant par exemple des pressions morales et psychologiques sur les personnels des établissements habilités à effectuer ces opérations, soit en perturbant la circulation vers ou dans ces établissements pour dissuader de recourir à un avortement. Il s’agissait déjà d’un amendement de Laurence Rossignol, alors sénatrice de l’Oise.

De fait, le ministre semble considérer que toute opposition à son texte, quelles qu’en soient les raisons, est motivée par un lien avec le refus de l’IVG

Le Gouvernement prévoit donc de déposer un amendement le 4 octobre prochain à l’occasion de l’examen par le Sénat de l’article de l’article 17 consacré à l’accès aux données de santé pour les jeunes, dans le projet de loi Égalité et citoyenneté. La rapporteuse du projet de loi dénonce l’amendement comme étant un cavalier législatif, c’est-à-dire hors sujet, auquel elle donnera un avis défavorable pour cette raison. Une opposition à laquelle le ministre répond en dénonçant de supposées pressions des anti-avortements. De fait, le ministre semble considérer que toute opposition à son texte, quelles qu’en soient les raisons, est motivée par un lien avec le refus de l’IVG. Bien que Laurence Rossignol dise accepter que ceux qui critiquent l’avortement bénéficient de la liberté de le faire, elle estime qu’ils présentent des informations erronées et que la justice doit disposer d’un arsenal pour les sanctionner.

Dans une tribune publiée dans Le Figaro, Dominique Reynié, professeur à Sciences Po, qui se dit favorable à l’avortement, dénonce comme extrêmement grave la volonté du ministre de transformer l’appel à la réflexion en délit. Pour l’universitaire, quiconque se rend sur l’un des sites visés par le ministre et le journaliste qui l’avait interrogé au sujet de ses intentions pénales peut constater que ces pages « ne dissimulent pas que l’IVG est un droit ».

Dominique Reynié explique que ces sites « alertent, parce qu’ils pensent devoir le faire, à tort ou à raison, contre les décisions précipitées, contre les pressions qu’exerceraient dans certains cas les hommes sur les femmes (sosgrossesse.org) ; ils abordent aussi la souffrance et la détresse que peuvent éprouver les femmes après un avortement (sosbebe.org) ». La tribune va jusqu’à critiquer l’incohérence morale du Gouvernement qui tout en dénonçant lesdits sites comme manquant de neutralité, « s’en exonère lui-même totalement ».

Autres critiques exposées dans l’article, les efforts du site gouvernemental pour « décourager la recherche d’informations alternatives » ou encore la « légèreté choquante » avec laquelle un gynécologue informe sur les « conséquences négatives de l’IVG ». Ce choix du ministre de pénaliser l’information alternative fait dire à Reynié que « fournir des raisons de ne pas avorter est donc en train de devenir un délit ».

Le débat technique en lieu et place du débat éthique

L’avortement semble considéré comme acquis au point que tout débat serait impossible, par exemple sur les conditions (thérapeutiques ou non, délai pour avorter, délai de réflexion, etc.). Tout se passe comme si les critiques d’une part relatives à la nature de l’avortement, d’autre part quant à l’interdiction de proposer des solutions alternatives, comme le fait Dominique Reynié, devaient être bannies du débat public. Certes, le ministre en charge des Droits des femmes assure qu’il ne s’agit pas de censurer la liberté de penser, mais il est question de sérieusement brider la liberté d’expression.

Chacun serait libre de penser ce qu’il veut, mais pas d’exprimer sa pensée si elle concurrence celle du Gouvernement sur la question de l’avortement, l’expression devenant alors un « mensonge » selon le ministre. Dès lors, non seulement l’information alternative est jugée comme devant être pénalisée, mais encore le débat est impossible puisque les contradicteurs ne sont pas jugés dignes d’être des interlocuteurs, leur parole étant d’emblée dénoncée comme mensongère.

Cette qualification empêche depuis des décennies tout débat sur la nature et les conditions de l’avortement. Selon le Professeur Reynié, spécialiste des transformations politiques,«en ce qui concerne l’IVG, l’appel à la réflexion constitue désormais une opinion que ce gouvernement juge urgent de réduire au silence. Loin des précieux enjeux de santé, loin du légitime droit des femmes, le projet de créer un délit d’entrave numérique n’est que l’expression d’une radicalisation idéologique. C’est une nouvelle menace pour la liberté de penser. »

Les grandes évolutions relatives à l’avortement après 1975 ont été abordées sous un angle technique, administratif en évacuant le débat éthique
De fait, les grandes évolutions relatives à l’avortement après 1975 ont été abordées sous un angle technique, administratif en évacuant le débat éthique, au mieux en prétendant fixer des limites pour éviter les dérives. Ainsi, le délai de 10 semaines de grossesse est passé à 12 par la loi du 4 juillet 2001 et les opposants ont été négligés au motif qu’il fallait respecter le droit de la femme à disposer de son corps. Un argument systématiquement employé et qui clôt tout débat. Ainsi la lettre d’information quant à l’accompagnement par les personnels scolaires des mineurs désirant avorter à l’insu de leurs parent, explicitant la loi.

Ou alors, tandis qu’en Suisse, un débat a eu lieu sur le remboursement de l’IVG, en France les actes d’avortement sont désormais intégralement remboursés par l’Assurance maladie depuis le 1er avril 2016 quand nombre de médicaments sont déremboursés, une discrimination qui mériterait au moins un débat non pas forcément sur l’IVG mais sur la différence de traitement. La loi de Santé du 26 janvier 2016 supprime le délai de réflexion minimal de 7 jours avant de recourir à un avortement, les centres de santé peuvent pratiquer des IVG par aspiration, et les sages-femmes sont autorisées à pratiquer des IVG médicamenteuses. Tout seulement en considérant que le débat n’est pas pertinent ou, s’il y a débat, en ne faisant intervenir que des partisans de l’IVG, ce qui ajoute une étrangeté à la polysémie du terme « débat ».

La suppression du délai minimal de réflexion suppose un tel rejet du débat éthique qu’il est loisible de se demander s’il ne faudrait pas également parler « délai de réflexion minimale », considérant l’absence d’information exhaustive, ce alors que le ministre des Droits des femmes assure que les sites visés par son amendement trompent les femmes. Faciliter l’absence de réflexion, qui plus est en ne présentant qu’une possibilité, c’est priver d’un consentement éclairé. Cependant, les fois où le Gouvernement soulève un problème d’information, c’est pour dénoncer les sites qui proposent des renseignements alternatifs tout en mentionnant les droits offerts par la loi aux femmes songeant à avorter.

Le débat autorisé est donc essentiellement technique

Le débat autorisé est donc essentiellement technique, de façon accessoire prétendument éthique quand le Gouvernement affirme se placer sur le plan moral pour contredire les opposants à l’avortement ; et c’est lui qui détermine quand le débat est éthique, et ce qui est éthiquement acceptable, privant ainsi d’une légitimité officielle tout débat qu’il évacue. Même un simple débat technique, comme l’opposition à l’amendement de la rapporteuse du projet de loi au Sénat, est dès lors disqualifié, et défini comme éthiquement inacceptable, sans que les motifs officiels de la rapporteuse ne soient pris en considération.

Les débats portent alors sur l’aménagement social de l’avortement, par exemple les déserts médicaux en la matière, ou sur les modalités de la pratique, avec une froide technicité opposant à toute interpellation éthique l’argument du droit qu’est l’avortement, démonétisant la dimension morale du droit qui, comme toute morale, est un lieu de débat. Opposants à l’IVG ou ses partisans réticents aux évolutions sans débat, à la pénalisation des expressions dissidentes, tous sont alors considérés comme hors du champ du débat.

Face à la forte visibilité des sites anti-IVG, le Gouvernement est entré en janvier dernier dans une concurrence pour non pas débattre et convaincre de sa raison, mais faire acquérir à son site officiel un meilleur référencement sur Google. Najat Vallaud-Belkacem avait même encouragé à cliquer sur le site du Gouvernement dans le seul but de le faire monter à la première place, une méthode qui laisse dubitatif sur le plan éthique. A double titre, d’une part celui de la malhonnêteté sous prétexte de citoyenneté, d’autre part la limitation du débat éthique à la course à la place au soleil sur un moteur de recherche. Ce refus du débat a trouvé son dernier avatar, la tentation de pénaliser le contradicteur.

Quand bien même, en dépit de l’opposition de la rapporteuse du Sénat à l’introduction de l’amendement de Laurence Rossignol dans le projet loi, l’idée pourrait être reprise autre projet de loi où elle ne serait pas considérée comme un cavalier législatif. Cependant, comme l’observe Bertrand Mathieu, professeur de droit public à Paris 1, « une telle mesure aurait toutes les chances d’être jugée anticonstitutionnelle », car, précise le juriste, « elle me semblerait clairement dépasser le contrôle que l’État peut exercer sur la liberté d’expression. On ne peut pas réserver un traitement spécifique à l’IVG sans que cela ait des conséquences beaucoup plus larges. À mon sens, pour qu’un site Internet tombe sous le coup de la loi pénale, sur la question précise de l’IVG, il faudrait par exemple qu’il exprime une incitation à faire obstruction à l’IVG, en appelant à une occupation de centres qui le pratique. »

Pénalisation de l’information exhaustive, la primauté de l’IVG sur le droit des femmes

En fait de droit des femmes à l’avortement, il s’agit d’avantage pour les partisans de l’interdiction du débat d’un droit à l’avortement supplantant le droit des femmes à l’information. La possibilité de s’informer de manière exhaustive supprimée, tout comme le délai minimal de réflexion, la femme n’est pas mise en situation de connaître les tenants et aboutissants de son droit. Le refus de l’information alternative n’est que l’un des avatars de la prévalence du droit à l’avortement sur le droit des femmes à l’avortement.

Ainsi, lorsque les députés votèrent en novembre 2003 un amendement déposé par le député Garraud dans le projet de loi sur la Grande criminalité, un amendement qui créait un délit d’interruption de grossesse par « une maladresse » ou « un manquement à une obligation de sécurité », le Gouvernement d’alors le retira du projet de loi. Pourtant, le ministre de la Justice, Dominique Perben, s’était jusque là montré favorable à cet amendement reconnaissant le droit des femmes victimes d’un avortement accidentel à obtenir la reconnaissance de la justice pénale : si cet amendement avait été retenu, un conducteur ivre par la faute duquel une femme enceinte avait perdu l’enfant à naître aurait encouru un an de prison et 15 000 d’amende.

La pression médiatique exercée par l’opposition de gauche d’alors, une partie de la droite, les associations pro-IVG fit plier Dominique Perben. Reconnaître la perte subie par la femme enceinte, c’était pour les opposants à l’amendement reconnaître un statut à l’embryon et ouvrir une porte sur la possibilité d’interdire l’avortement. Un raisonnement capillotracté en l’état des choses et incohérent puisque l’interruption volontaire de grossesse sans l’accord de la mère était lui pénalisé, sans choquer.

Il s’agissait pourtant de combler un vide juridique, un argument dont les parlementaires et le Gouvernement sont si friands quand ils veulent légaliser, pénaliser, criminaliser, surtout en matière en de bioéthique, là dans le sens de la légalisation. Si l’interruption de grossesse est volontairement causé par un tiers sans le consentement de la femme enceinte, l’article 223-10 du Code pénal prévoit 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. Mais rien n’était prévu pour les cas soulevés par l’amendement Garraud. La levée de boucliers contre cette reconnaissance par l’Etat du drame vécu par les femmes victimes de ces accidents fit parler le député Garraud de « terrorisme intellectuel de la gauche et de l’extrême gauche ».

On vit la distinction faite par le philosophe et sociologue Raymond Aron entre le pouvoir réel et le pouvoir institutionnel
On vit la distinction faite par le philosophe et sociologue Raymond Aron entre le pouvoir réel et le pouvoir institutionnel, le premier pouvant recouper le second, en disposer officiellement, mais étant constitué par les relations entre différents acteurs aussi bien politiques, que médiatiques, sociaux. Ce pouvoir réel peut l’emporter sur le pouvoir institutionnel, et sa pression amena obligea le ministre de la Justice d’alors à céder. Lorsque cinquante professeurs de droit adressèrent une pétition au Président Chirac pour soutenir l’amendement Garraud, le quotidien Libération titra ironiquement « Des profs de droit en croisés pro-vie« , réduisant implicitement toute critique, même d’experts juridiques, à une affaire de croyance religieuse.

Si l’histoire de l’amendement Rossignol devait se conclure comme le souhaite la rapporteuse du projet de loi Égalité et citoyenneté, il resterait toujours au Gouvernement la possibilité d’entrer dans l’arène du débat. Ce à quoi il s’est toujours refusé, se cachant derrière le masque de la vertu trop noble pour se confronter avec ceux qui, par définition d’en haut, seraient malhonnêtes.

Dans le débat sur la vaccination, le ministre de la Santé, Marisol Touraine, n’avait-il pas choisi de discréditer le Professeur Henri Joyeux en le décrivant comme « un médecin qui s’est déclaré contre l’avortement », laissant entendre par une reductio ad hominem, que dès lors il n’y avait pas à discuter avec lui même sur des sujets sans rapport avec l’IVG ? Dès lors que ce raccourci intellectuel sur la question du vaccin sujet était fait pour empêcher tout débat quant à savoir qui était dans le vrai ou dans le faux, il ne faut pas s’étonner que, délit moral parmi les délits moraux, l’expression dissidente quant à l’avortement soit menacée d’être requalifiée en délit pénal.

Hans-Søren Dag

Crédit photo : Par ALRPMN — Travail personnel, CC BY-SA 3.0


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