En juin 2024, deux prêtres ukrainiens ont été libérés après un an et demi dans les geôles russes. L’un deux, le père Geleta témoigne de l’importance de sa foi dans cette épreuve, entre conditions inhumaines et tortures.
Quatre mois après leur libération fin juin 2024, les pères Ivan Levytsky et Bohdan Geleta profitent d’un temps de rééducation physique et psychologique. Ils ont passé plus d’un an et demi dans les mains des Russes, accusés d’espionnage et de possession illégale d’armes.
En 2019, les deux prêtres se sont installés dans la paroisse de la Nativité-de-la-Sainte-Mère-de-Dieu à Berdiansk, près de Marioupol, au sud-est de l’Ukraine.
Dès le début de l’agression russe en février 2022, l’ambiance a changé dans la ville qui voit passer les cortèges d’exilés fuyant les villes de Marioupol et Melitopol.
"Les gens étaient terrifiés, c'était la panique. Les gens mouraient. Ils ne savaient pas quoi faire ni comment vivre, et l'avenir était totalement incertain. Nous avons décidé de rester jusqu'à la fin", se souvient le père Geleta pour le média The Pillar. Il continue à dire la messe et à prier avec les gens dans la rue. De nombreuses personnes, avant indifférentes à la religion, trouvaient du réconfort dans les paroles d’encouragement et les prières des deux prêtres.
En novembre 2022, la police russe a pris des mesures pour restreindre les activités de la paroisse de l’Église gréco-catholique, et met la pression sur les églises des alentours. "Les personnes qui sont restées sont venues à [notre paroisse], partageant diverses craintes. Quelqu'un avait été battu, quelqu'un d'autre tué, un appartement cambriolé - il y avait toujours quelque chose", raconte le père Geleta, se souvenant vivre dans la peur mais avec "un sentiment intérieur, un sentiment de foi".
Le 16 novembre 2022, le père Geleta se prépare à célébrer sa messe, quand deux hommes masqués et armés entrent dans l’église et lui demandent de les suivre.
"Au début, ils ne savaient pas comment nous traiter - en tant que personnes religieuses ou non. Ils ont essayé de nous convaincre de coopérer, et lorsque nous avons refusé, ils nous ont accusés d'activités terroristes."
Le prêtre rédemptoriste se souvient d’avoir été soulagé : "J'ai éprouvé un sentiment de soulagement en pensant que c'était enfin arrivé et que, quoi qu'il arrive, je le laisserais se produire selon la volonté de Dieu". Une suite qui se révélera un calvaire.
Les prêtres emprisonnés sont détenus séparément, d’abord à Berdiansk. "Les premiers jours, les expériences étaient très intenses parce qu'il y avait une chambre de torture en face de la cellule, et nous pouvions entendre des voix et des gémissements. J'imagine que le père Ivan pensait à moi, comme je pensais à lui, en se demandant si je n'allais pas entendre sa voix, s'il était torturé. Je pense que c'est ce qui a été le plus difficile. La pression psychologique était immense", témoigne le père Geleta, incarcéré avec huit autres prisonniers dans une cellule conçue pour deux personnes.
La pression psychologique passait notamment par "la salle de musique", l’expérience la plus traumatisante pour le prêtre : une cellule d'isolement où de la musique soviétique était diffusée toute la journée. Le prêtre y a passé quatre mois :
"C'était une cellule en béton dont la porte ressemblait à un coffre-fort en fer. Tout l'endroit résonnait et c'était incroyablement dur. Ils n'éteignaient la musique que la nuit, d'une heure à six heures du matin. Je pouvais sentir, même physiquement, que les vibrations m'affectaient négativement. Mais lorsqu'une personne prie, il y a un autre type de vibration qui devient une barrière contre cela. Leur but était de nous briser. La lutte était constante. J'ai même eu l'impression que j'allais devenir fou."
Avec les autres prisonniers, tous soupçonnés d’activités pro-ukrainiennes, le prêtre et son confrère Ivan Levytsky ont été transférés à Horlivka. Il assure qu’en tant que prêtre, s’il n’a jamais pu célébrer la divine liturgie, il a pu soutenir les autres prisonniers.
"Il ne nous était pas interdit de prier, alors nous avons prié dans la cellule. Nous parlions de sujets religieux, de Dieu, et nous priions constamment".
Il poursuit :
"Les autres prisonniers posaient parfois des questions difficiles : Pourquoi tout cela est-il arrivé ? Où est Dieu dans tout cela ? Il était très difficile d'y répondre. En fait, je n'ai même pas essayé de convaincre qui que ce soit. Il est très difficile de raisonner avec quelqu'un qui a perdu un être cher ou qui a subi une tragédie et des malheurs. Parfois, il vaut mieux rester assis en silence avec eux. Mais malgré tout, je crois que le Seigneur a travaillé à travers nous".
Avec l’appui des diplomates du Saint-Siège, les deux prêtres ont pu être libérés avec huit autres personnes, après plus d’un an et demi de détention. Après un vol sur le plancher d’un avion militaire et trois jours dans une prison du FSB, ils ont retrouvé leur liberté et ont pu célébrer la messe pour la première fois depuis 18 mois, "une expérience extraordinaire".
"Le Christ était vraiment avec nous" conclut le père Geleta, convaincu que sa foi lui a permis de survivre à cette épreuve.
Jean-Benoît Harel