L’armée indienne renvoie un officier chrétien pour avoir refusé de participer à des rituels religieux

Un tribunal de Delhi a jugé qu’un lieutenant a désobéi à ses supérieurs en refusant de prendre part à des rituels sikhs et hindous.
En 2021, Samuel Kamalesan, un officier chrétien de l’armée indienne, avait été renvoyé sans procès après avoir demandé à être exempté de certains rituels hindous et sikhs pratiqués lors des parades religieuses hebdomadaires de son régiment. Privé d’emploi et d'avantages militaires, il avait contesté cette décision devant la Haute Cour de Delhi, affirmant que son licenciement violait la liberté de religion garantie par la Constitution indienne.
En juin dernier, la cour a estimé que son renvoi était justifié, estimant que le fait de placer ses convictions religieuses au-dessus des ordres légaux de sa hiérarchie constituait un "acte d’indiscipline".
Le tribunal a également souligné que les officiers comme Kamalesan ont une responsabilité particulière : renforcer l’unité et la cohésion des troupes. Pourtant, certains juristes remettent en question cette exigence de cohésion religieuse dans un pays officiellement laïque comme l’Inde.
"Lorsqu’on renvoie quelqu’un des forces armées pour avoir refusé de participer à des rituels religieux, sous prétexte que cela nuirait à l’unité, n’affirme-t-on pas ainsi que la religion est le seul ciment possible ?" s’interroge Sri Harsha Kandukuri, chercheur en droit, dans The News Minute.
Plusieurs voix chrétiennes ont dénoncé ce jugement. L’avocat jésuite A. Santhanam a déclaré à Crux que cette décision "constitue une forme de coercition religieuse et mine le caractère laïc de l’Inde", ajoutant qu’"aucune autorité ne peut contraindre un individu à agir contre sa foi – une telle contrainte équivaut à une forme de violence".
Un militaire chrétien actuellement en service, ainsi qu’un ancien soldat, nous ont confié n’avoir jamais été confrontés à ce type de pression. Minoritaires dans l’armée, les chrétiens décident souvent individuellement comment réagir face aux rituels religieux hindous ou sikhs présents dans la vie militaire.
Sous la colonisation britannique, les soldats étaient répartis dans des régiments de classe (composés d’un seul groupe ethnique) ou dans des régiments de compagnie de classe (regroupant les différentes religions et origines au niveau inférieur des compagnies). Les Britanniques pensaient qu’en recrutant spécifiquement dans certains groupes ethniques, ils renforceraient les diverses identités communautaires, ce qui rendrait plus difficile pour les troupes de s'unir et de se révolter contre les colons.
Ils recrutaient notamment chez les sikhs, les Rajputs et les Gorkhas, considérés comme des "classes martiales", biologiquement plus aptes à l'armée et à la guerre.
Après l’indépendance, l’Inde a tenté de supprimer ce type de recrutement, mais les régiments à classe unique restent courants dans l'armée indienne. La religion demeure également un facteur de motivation important : certains régiments lancent leurs cris de guerre en invoquant des divinités hindoues ou en citant des textes sacrés sikhs. Chaque régiment dispose d’enseignants religieux chargés de diriger les célébrations hebdomadaires appelés "parades religieuses".
Malgré cet ancrage religieux fort, la Haute Cour de Delhi a maintenu que l’armée indienne est une "institution laïque", et que les officiers doivent donner la priorité à la cohésion du groupe, quitte à mettre leurs convictions personnelles de côté. L’un des principes militaires souvent cités est :
"Ma religion, c’est celle de mes soldats."
Engagé en 2017, Samuel Kamalesan servait comme lieutenant dans le 3e Régiment de Cavalerie, une unité blindée de chars qui recrute principalement des soldats hindous et sikhs. Le régiment possède un mandir (temple hindou) et un gurdwara (temple sikh), mais aucune église ni Sarv Dharm Sthal – un lieu de culte commun à toutes les religions. Un Sarv Dharm Sthal dans un régiment mêlant hindous et chrétiens offrirait aux soldats la Bible et des textes sacrés hindous, avec des enseignements alternant entre les deux traditions religieuses.
Commandant une vingtaine de soldats sikhs, Kamalesan devait assister aux parades religieuses et aux fêtes rituelles. Dans sa requête auprès de la Haute Cour de Delhi, il précise qu’il était prêt à "accompagner ses hommes dans la cour du temple", à retirer ses chaussures et sa ceinture, à porter un turban avec les mains propres lorsque cela était nécessaire, et à "voir les rituels dans le sanctuaire intérieur". Tout ce dont il demandait à être exempté, c'est de pénétrer dans le sanctuaire intérieur où sont pratiqués les rituels comme la puja (prières), l’arti (lumière offerte à une divinité), ou les havans (offrandes par le feu).
Son supérieur a refusé cette demande et l’a contraint à participer aux rituels. Peu après, une procédure disciplinaire a été engagée contre lui. Dans sa plainte, Kamalesan dénonce des humiliations : harcèlement, moqueries liées à sa foi, menaces de fin de carrière. Il affirme également avoir été soumis à des punitions militaires, notamment en lui confiant des gardes de nuit sans repos nécessaire, conduisant à des manques de sommeil.
Ses supérieurs ont bloqué ses promotions et refusé son accès aux formations nécessaires à l’évolution de carrière. Ses évaluations annuelles contenaient des remarques négatives sur ses convictions religieuses. Malgré ses examens réussis, il a vu ses collègues être promus tandis que lui stagnait.
Les officiers lui ont dit que s’il acceptait de participer aux rituels – même à demi prosterné devant les idoles – toutes les sanctions seraient levées. Il aurait été invité à suivre des séances de conseil spirituel auprès d’un pasteur local, d’officiers chrétiens et d’aumôniers militaires qui ont tenté de lui expliquer la nécessité et les raisons de ces rituels religieux.
Devant son refus, l’armée lui a adressé une mise en demeure en 2019, lui ordonnant d'expliquer "ses actes de mauvaise conduite". Ses recours ont tous été rejetés. En mars 2021, Kamalesan est officiellement exclu de l’armée, sans pension ni avantages. Le tribunal militaire lui a refusé un procès parce que ses supérieurs ont prétendu que son cas était sensible puisqu'il concernait la religion.
Bien que la Haute Cour de Delhi ait soutenu la décision de l'armée, la Constitution indienne permet à Kamalesan de faire appel devant la Cour suprême.
Un soldat chrétien de 31 ans, originaire du nord-est du pays, s’est dit surpris par cette affaire. En service depuis plus de dix ans, il affirme n’avoir jamais vu un commandant forcer des soldats à accomplir des rituels religieux. Sous couvert d’anonymat, il a confié :
"Dans notre régiment, personne ne nous oblige à nous prosterner devant des idoles, à appliquer du tika [pâte de bois de santal ou de vermillon sur le front], ou à consommer de la nourriture offerte aux idoles. On assiste seulement aux cultes hindous et chrétiens."
Dans son unité, composée de soldats de différentes religions, les parades se déroulent dans un Sarv Dharm Sthal.
Cela ne l’empêche pas, parfois, de manger le prasad – la nourriture offerte aux divinités hindoues. "On se dit entre nous : pourquoi refuser ? Même si c’est offert à leurs dieux, nous savons que notre Dieu vivant est au-dessus de tout." Mais il précise tout de même qu’il lui arrive de le refuser.
Neil John, brigadier chrétien à la retraite, a servi 33 ans dans l’armée. Il participait à toutes les parades religieuses : prosternation devant les idoles, faire l'arti, manger le prasad, car il estimait que cela faisait partie de son devoir. Il justifie cette position par les écrits de Paul dans 1 Corinthiens 8 concernant la consommation d'aliments sacrifiés aux idoles, car "une idole n'est rien dans le monde" et "il n'y a qu'un seul Dieu" (v. 4).
Selon lui, quelle que soit la religion des chefs militaires, une fois qu'ils font partie d'un régiment, ils doivent se tenir aux côtés de leurs troupes, quelles que soient les formes que prennent leurs dieux, afin de préserver le moral.
Il reconnaît toutefois que la sanction infligée à Kamalesan est excessive :
"La religion est une affaire profondément personnelle. Lorsqu’un commandant assiste à une parade dans un temple, tous ceux qui sont en dessous de lui doivent y assister. Mais demander obligatoirement à des personnes d'autres confessions de suivre des rituels et des pratiques intrinsèques à une religion particulière est plutôt sévère."
Divya Chirayath
Un article de Christianity Today. Traduit avec autorisation. Retrouvez tous les articles en français de Christianity Today.