Lanceurs d’alerte : Quelle protection prévue par la loi ?

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« Don’t shoot the messenger ! » Cette expression, inspirée de la tragédie Antoine & Cléopâtre de Shakespeare, prend ses racines dans l’Antiquité grecque. Elle résume à elle seule le caractère tragique du lanceur d’alerte tant ‘le porteur de mauvaises nouvelles’ (Sophocle) les transmet souvent à ses dépens.

Cependant, œuvrer à réduire le développement, ou l’influence, du lanceur d’alerte est inutile et presque impossible. Parce que nous sommes entrés dans une ère de la révélation, où les secrets ont vocation à être publiés, le lanceur d’alerte est devenu le révélateur de toutes les déviances, individuelles, organisationnelles ou étatiques. La question de sa protection est par conséquent cruciale à l’heure de l’examen d’une proposition de loi qui vise à compléter l’arsenal législatif actuel.

Jusqu’à récemment, les lanceurs d’alerte n’avaient pas véritablement de statut légal en France. Pourtant, les révélations à répétition de scandales (comme celui de l’amiante) mais aussi la recherche académique encouragent depuis longtemps à les considérer à leur juste valeur.

La loi Sapin II

Il a fallu attendre octobre 2016 pour que la loi dite Sapin II propose un cadre général à ces « vigies de l’éthique ». Nous ne reviendrons pas ici sur les détails de la loi abordés dans une précédente étude. Nous rappellerons seulement le type de protection dont les lanceurs d’alerte peuvent bénéficier ainsi que les limites de la loi actuelle.

L’article 6 définit officiellement le lanceur d’alerte comme une « personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit ; une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France ; d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement ; ou une menace ou un préjudice grave pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance ».

Dans les détails, le lanceur d’alerte est déclaré irresponsable « dès lors que la divulgation est nécessaire et proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause » (article 7). Il faut cependant indiquer que la loi précise les mesures prises à l’encontre de ceux qui abusent de ces signalements, comme de ceux qui font pression sur les lanceurs d’alerte afin d’étouffer leurs actions.

L’article 10 protège le lanceur d’alerte contre toute discrimination et stipule en même temps que la mauvaise foi ou l’intention de nuire contre lui est sanctionnée des peines prévues par le code pénal.

L’article 11 permet la réintégration de « toute personne ayant fait l’objet d’un licenciement, d’un non-renouvellement de son contrat ou d’une révocation » du fait d’un lancement d’alerte. De même, l’article 12 permet le recours aux prud’hommes.

L’article 13 indique, lui, en même temps que : toute « personne qui fait obstacle, de quelque façon que ce soit, à la transmission d’un signalement […] est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende » et qu’un lanceur d’alerte attaqué pour diffamation est susceptible d’une amende de 30 000 €.

Si la loi laisse ainsi ouverte la question de la responsabilité civile et le fait qu’un lanceur d’alerte puisse être poursuivi pour diffamation, toute organisation connait dorénavant les limites de son action juridique contre le lanceur d’alerte.

Des procédures internes pour recueillir les signalements

Pour autant, quelle autre protection, en interne et surtout en amont, de l’alerte la loi apporte-t-elle ? Jusqu’à présent, l’article 8 indique que toute organisation publique ou privée « d’au moins 50 salariés » doit mettre en place des « procédures appropriées de recueil des signalements » afin de canaliser l’alerte potentielle. Il est à noter que les syndicats n’apparaissent pas dans la loi et n’ont donc aucun pouvoir… hors celui d’influence.

Concernant le circuit de la divulgation, le même article stipule que l’alerte doit être transmise obligatoirement au supérieur hiérarchique, direct ou indirect, qui doit « dans un délai raisonnable » vérifier la recevabilité du signalement et y répondre.

En cas de non-traitement ou d’un délai supérieur à trois mois, le lanceur d’alerte peut informer l’autorité judiciaire, l’autorité administrative ou tout ordre professionnel et en informer le public, d’autant plus lorsqu’il s’agit « de danger grave et imminent ou en présence d’un risque de dommages irréversibles » (article 8).

Confidentialité sacrée

Enfin, en matière de protection du lanceur d’alerte, la confidentialité est de rigueur sous peine d’emprisonnement et d’une amende de 30 000 euros, qu’il s’agisse du lanceur d’alerte, des personnes visées par l’alerte ou des informations recueillies. L’autorité judiciaire elle-même ne peut lever cette confidentialité qu’avec le consentement du lanceur d’alerte (article 9).

Le détail des dispositifs comme les mesures qui permettent d’assurer la confidentialité de l’alerte en interne ne sont pas précisés dans la loi, ce qui continue à représenter un problème. Il appartient aux entreprises de les créer, en même temps que de les tester pour éviter tout problème de conformité avec la loi. Ceci passe évidemment par la formation des équipes des services de ressources humaines en particulier et de l’ensemble des cadres et salariés en général.

Comme on le voit, la protection qu’offre la loi française est réelle, mais laisse volontairement imprécis certains éléments.

Un rapport pointe les manques

À l’été 2021, les députés Raphaël Gauvain (LRM) et Olivier Marleix (LR) ont remis un rapport à la commission des lois sur l’évaluation de l’impact de la loi Sapin II. Concernant les limites, le critère du désintéressement comme celui de la bonne foi sont épinglés comme trop vagues.

En outre, il est proposé d’assouplir « la hiérarchie des canaux d’information en permettant de saisir directement les autorités publiques sans procédure interne préalable ». Pour ce faire, la mise en place de plates-formes départementales de recueil des alertes en préfecture est proposée, de même que la reconnaissance d’un véritable statut de lanceur d’alerte au moyen d’une certification par le Défenseur des droits.

Enfin, étant donné que le problème majeur reste l’ostracisation que subissent les lanceurs d’alerte, les rapporteurs mettent en avant la nécessité de créer un fond ad hoc (à l’instar du fonds de garantie des victimes de terrorisme – FGTI – ou de la commission d’indemnisation des victimes d’infractions – CIVI) pour les soutenir financièrement tout en accentuant les sanctions vis-à-vis des « procédures » ‘bâillons’ engagées » contre les lanceurs d’alerte.

La liste est en effet longue des lanceurs d’alerte qui ont subi de multiples représailles pendant et après l’alerte sans recevoir aucune aide et très peu de soutien : Henri Pézerat (amiante), Irène Frachon (Médiator), Stéphanie Gibaud (UBS), Antoine Deltour (LuxLeaks), etc.

Actuellement débattue au Parlement, la nouvelle proposition de loi cherche à compléter la directive européenne de 2019 sur les whistleblowers en assurant une meilleure protection de celles et ceux qui sont des rouages essentiels de nos démocraties mais aussi du capitalisme.

Après un vote à l’unanimité à l’Assemblée nationale pour le projet de loi porté par Sylvain Waserman, député du MoDem, les sénateurs sont revenus sur certains points et ont voté un texte avec d’importants « verrouillages », selon les associations, qui pourraient limiter les alertes.

Et dans les autres pays ?

À l’étranger, de rares pays ont apporté une solution au défi de la protection des lanceurs d’alerte.

Aux États-Unis, la procédure du qui-tam permet aux lanceurs d’alerte de percevoir une partie de l’argent, comme récompense (ou bounty en anglais) de leur signalement, obtenu par l’État fédéral après sanction (amende ou redressement fiscal) des organisations, publiques ou privées, reconnues coupables.

Cette procédure a inspiré le législateur français au travers des conventions judiciaires d’intérêt public (CJIP). Si la douzaine de CJIP signées jusqu’ici constitue un indéniable bon début, les montants collectés devront progresser pour être véritablement dissuasifs.

De l’autre côté de l’Atlantique, les qui tam cases ont en effet rapporté 1,6 milliard de dollars en 2021 à l’État fédéral. Au-delà du cas particulier d’Erin Brockovich popularisé au cinéma, certains lanceurs d’alerte perçoivent des bounties comme en témoignent les communiqués de presse réguliers de la SEC (le gendarme de la bourse américaine) qui conservent l’anonymat des bénéficiaires. Clairement, l’État américain et ses organisations para-publiques y trouvent leur intérêt depuis longtemps. Toutefois, dans le cas contraire (lorsque l’État fédéral est lui-même mis en cause, par exemple par Wikileaks), la question de la protection des lanceurs d’alerte demeure, là-bas comme ailleurs, entière.

Patrice Cailleba, Professeur de Management, PSB Paris School of Business – UGEI

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Crédit image : Shutterstock.com / Jo Bouroch


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