L’activisme climatique couronné de succès chez Exxon : Les prémisses du monde financier d’après ?

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Le 26 mai 2021, le hedge fund activiste Engine n°1, tout juste créé à la fin 2020 à San Francisco par une dizaine de spécialistes de la finance, a gagné la bataille qu’il conduisait pour réformer le groupe pétrolier américain Exxon.

Il a obtenu, lors de l’assemblée générale des actionnaires, la nomination de trois administrateurs avec pour objectif de pousser le géant de l’énergie à réduire son empreinte carbone. Cet événement, passé relativement inaperçu, pourrait cependant constituer le signal de changements majeurs dans le monde de la finance.

Engine n°1 a utilisé les outils traditionnels de l’activisme actionnarial pour se faire entendre. Tout d’abord, prendre une faible participation dans le capital de l’entreprise, adresser un courrier à son conseil d’administration, puis lui donner le maximum de publicité auprès de la communauté financière et des actionnaires, avec notamment un site Internet dédié « Reenergize Exxon ».

Une victoire relativement rapide

Dans la lettre adressée le 7 décembre 2020 au conseil d’administration d’Exxon, le hedge fund propose la nomination de quatre nouveaux administrateurs à même de faire face aux besoins d’Exxon, dont son positionnement pour une création de valeur à long terme et durable. Ils récapitulent également les mauvaises performances actuelles de la société qu’illustre ci-dessous la comparaison des cours boursiers avec ceux des principaux concurrents d’Exxon.

Engine n°1, Reenergize ExxonMobil — Investor presentation, Mai 2021.

D’autres courriers similaires suivront pour réitérer ces propositions auprès des actionnaires et souligner la faiblesse des évolutions proposées par Exxon en prévision de l’assemblée générale. Le 16 mars 2021, la direction et le conseil d’administration d’Exxon, pas le biais d’une lettre aux actionnaires, réagissent vivement :

« Engine n°1, un petit hedge fund âgé de trois mois avec une participation de 0,02 % dans ExxonMobil veut introduire des changements importants dans notre société. Ils ont fait de fausses déclarations au sujet de nos plans et de notre stratégie ».

Mais les choses évoluent quand des soutiens externes se manifestent. Tout d’abord, des fonds de pension américains comme CalPERS, CalSTRS ou New York State Common, puis le cabinet de conseil aux investisseurs ISS et enfin des poids lourds comme BlackRock, Vanguard ou State Street. Finalement, ce sont ces soutiens qui permettent à Engine n°1 de gagner la bataille.

Une influence jusqu’alors indirecte

Depuis de nombreuses années, des activistes sociaux proposent des résolutions aux votes lors des assemblées générales des actionnaires sur des sujets très variés (droits de l’homme, protection des animaux, lutte contre les inégalités femme-homme, etc.), mais ils n’obtiennent le plus souvent qu’un pourcentage marginal de votes favorables.

Il existe également des cabinets de conseil aux investisseurs (principalement les grands fonds internationaux) comme ISS et Glass Lewis, ou encore Proxinvest en France, mais leurs avis se concentrent essentiellement sur des aspects de gouvernance, comme la rémunération des dirigeants.

Novethic.fr

De même, l’investissement socialement responsable collecte une part de plus en plus importante de l’épargne. Novethic recense ainsi en France à la fin du premier trimestre 2021, 962 fonds durables représentant un en cours de 522 milliards d’euros. Cependant, ces fonds se « contentent », de façon schématique, de sélectionner les entreprises qui sont les plus vertueuses en fonction des objectifs des fonds, que cela soit en termes environnementaux, sociaux ou de gouvernance (ESG).

Autrement dit, l’influence sur l’engagement réel des entreprises reste indirecte, au travers d’un message qui devrait théoriquement pousser les entreprises à se réformer et que l’on peut résumer ainsi : si nous n’investissons pas chez vous en raison de vos performances ESG insuffisantes, votre cours boursier en subira les conséquences, et vous aurez du mal à vous financer…

Un « renversement paradigmatique » ?

La façon dont Engine n°1 se présente sur leur site web est assez instructive :

« Engine n°1 est un groupe d’investissement à impact dont l’objectif est de créer de la valeur à long terme en favorisant un impact positif grâce à un actionnariat actif ».

Il ne s’agit donc pas d’activistes qui poursuivent uniquement des objectifs sociétaux, mais bien de financiers qui cherchent à retirer un profit de leurs investissements. Ceci est très nouveau, il s’agit d’un « renversement paradigmatique ». Jusqu’ici, la finance durable s’inscrivait en effet principalement dans une stratégie d’influence visant à inciter les entreprises à adopter des comportements plus vertueux. Mais cette stratégie ne remettait pas réellement en question leurs modèles économiques qui pouvaient s’apparenter parfois à du greenwashing.

Au mieux, l’inscription dans le développement durable est supposée bénéfique car elle permet de diminuer les risques, de générer de nouvelles opportunités, de favoriser l’innovation et d’améliorer l’image de marque auprès des parties prenantes. Ici, la démarche est inversée, la rentabilité elle-même des investissements est fondée sur l’inscription dans le temps long (dans le cas d’Exxon, sur la décarbonation de ces activités).

Si la démarche était restée cantonnée à un « petit » hedge fund et quelques fonds d’investissement éthique, cela serait resté une initiative sympathique, mais sans réel impact.

La deuxième composante de cette « révolution » réside dans le soutien apporté par les grands investisseurs institutionnels tels que BlackRock ou State Street qui a permis le succès de l’opération. Ce soutien permet d’imaginer que la lutte contre le réchauffement climatique pourrait trouver un réel élan au sein des entreprises dès lors qu’elle serait désormais au cœur des modèles économiques des entreprises.

Par analogie, c’est un peu comme de passer d’une démarche où l’on cherche à améliorer l’isolation thermique des bâtiments à la conception de bâtiments zéro émission. L’avenir nous dira si cet épisode pilote sera suivi d’autres, et si nous assistons effectivement à l’émergence d’une véritable finance durable.

Jérôme Caby, Professeur des Universités, IAE Paris – Sorbonne Business School et Jacques Igalens, Professeur Sciences de Gestion, IAE Toulouse et CRM-CNRS, Université Toulouse 1 Capitole

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Crédit image : Ken Wolter / Shutterstock.com

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