La solitude des Juifs français face aux attentats et à l’antisémitisme

La solitude des Juifs français face aux attentats et à l’antisémitisme

La semaine dernière marquait les 10 ans des attentats de janvier 2025 au cours desquels 17 personnes ont été assassinées, dont 4 dans une épicerie cacher. Depuis 2015, l’antisémitisme n’a pas disparu. Une hausse des actes antisémites en France a même été constatée suite aux attaques du Hamas en Israël le 7 octobre 2023. Comment les juifs de France vivent-ils cette recrudescence de la haine à leur égard ?


Les 20 dernières années ont été émaillées par des attentats meurtriers, dont une part importante avaient un caractère antisémite. Si en 2012, nombre d’analyses évoquaient l’action de « loups solitaires » isolés, l’année 2015 marque un tournant. La multiplication d’attentats antisémites signale une violence structurelle et identifiée en tant que telle.

Au-delà de ces moments de violence extrême et meurtrière, les agressions subies par les personnes juives de France montrent que ces événements s’inscrivent dans un contexte plus large. Entre 2004 et les 2014 le nombre d’actes et menaces antisémites oscille entre 400 et 1000 faits délictueux ou criminels par an. En 2023, 1676 cas ont été recensés, soit une multiplication par quatre, tendance qui s’est maintenue en 2024.

Comment les Français juifs ont-ils vécu les actes antisémites et les attentats de ces dernières années ? Une série d’entretiens réalisés dans le cadre de ma thèse de doctorat permet d’éclairer la manière dont les Juifs français se positionnent vis-à-vis de l’antisémitisme contemporain en France.

Un retour de l’antisémitisme ?

Certains commentateurs évoquent un « retour de l’antisémitisme » depuis les années 2000. Pourtant, les décennies précédentes avaient été marquées par différents événements, dont certains particulièrement meurtriers, comme les attentats de la synagogue Copernic en 1980 et de la rue des Rosiers en 1982, ou encore le meurtre de Ilan Halimi en 2006.

Attentat au 24 de la rue Copernic, dans le XVIeà Paris, le 3 octobre 1980, INA.

Cette perspective invite donc à sortir d’une lecture ahistorique, pour ancrer les événements récents dans l’histoire structurelle de l’antisémitisme en France.

Antisémitisme à la française ?

Actuellement, l’antisémitisme est parfois décrit comme étant le fruit de l’importation du conflit israélo-palestinien. Ces considérations sont exacerbées depuis l’attaque meurtrière du Hamas le 7 octobre et des bombardements israéliens sur Gaza qui ont débutés peu de temps après.

Mais si la période récente a bien vu une hausse des actes antisémites, l’analyse ne doit se contenter d’une perspective conjoncturelle et au contraire interroger ce qu’il peut y avoir de structurel dans l’antisémitisme en France.

Rappelons par exemple que les débats sur l’indemnisation des spoliations des biens des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale ont suscité des vagues d’agressions antisémites dès l’année 1999.

Ces éléments de contexte qui ont un impact mesuré par des données statistiques, ne doivent pas conduire à minimiser l’histoire longue des discriminations de persécutions contre les juifs, qui reposent sur des préjugés séculaires.

L’Hyper Cacher, un attentat qui s’inscrit dans une série noire

Au-delà des considérations théoriques sur les sources de l’antisémitisme, ce que de nombreuses personnes juives ou assimilées partagent, c’est que l’attaque de l’Hyper Cacher s’inscrit dans une continuité et non dans un surgissement soudain de la violence antisémite.

Ce qui change en janvier 2015, c’est la multitude des réactions sociales aux attentats, notamment à travers la marche républicaine organisée peu après les faits. Le 11 janvier 2015, des millions de Français se rassemblent en hommage aux victimes des jours précédents, mais rapidement, un certain désenchantement apparaît au sein des communautés juives.

Celui-ci est exprimé de manière très marquante par Roger :

« On savait très bien le 11 janvier que les gens manifestaient pas pour l’Hyper Cacher. Parce qu’ils avaient pas manifesté pour Ilan Halimi, parce qu’ils avaient pas manifesté pour Toulouse. Donc seuls les Juifs, en gros, se retrouvaient à manifester d’où le sentiment de malaise, le sentiment d’exclusion qu’avaient les Juifs. »

Commémoration de la mairie de Saint-Mandé, janvier 2017, autour d’une plaque posée par la mairie dans le Jardin du Souvenir inauguré pour rendre hommage aux victimes des attentats de janvier 2015. S.Hennebert, Author provided

Au cours des années, le sentiment d’abandon perdure – y compris en 2015 où, pour de nombreuses personnes interrogées, les victimes juives disparaissent dans l’ombre de Charlie Hebdo. L’usage du slogan « Je suis Charlie » semble avoir exacerbé ce ressenti.

Les réactions politiques : hommages ou récupérations ?

Pourtant, en 2012 (à la suite des attentats de Mohamed Merah) et en janvier 2015, les réactions politiques sont nombreuses. Mais, pour les personnes rencontrées, elles ne sont pas suffisantes face au silence du reste de la population et restent considérées comme de la récupération politique.

Par exemple, Romi, qui n’est pas habituée à se rendre à des commémorations ou des manifestations, s’est dite choquée par la manière dont s’est déroulée la marche blanche en hommage à Mireille Knoll assassinée à son domicile en 2018 :

« Je me rappelle que j’étais partie là-bas, y avait plein de Juifs, et j’me rappelle qu’il y avait Marine Le Pen qui s’est faite huer […]. Y avait je crois le CRIF qui était là, et y avait aussi Jean‑Luc Mélenchon, y avait la télé, en fait à la fin ça devenait n’importe quoi, c’était juste les politiques qui se faisaient huer, et on oubliait le but principal de la marche. »

Certains, comme Camille, refusent de se rendre à l’événement en raison du paysage politique qui s’y trouve rassemblé :

« Je crois qu’il y avait toute une histoire [parce que] Marine Le Pen allait participer à la marche aussi, des choses comme ça […] et que ouais j’ai pas forcément envie de manifester avec Marine Le Pen. Mais, et en même temps je veux pas du tout minimiser l’importance des marches comme ça ou, enfin je condamne pas du tout le fait d’y aller quoi. »

Plus récemment, en 2023, lors du rassemblement organisé contre l’antisémitisme, la présence du RN a été très mal acceptée par certaines personnes juives. Mais si certains se sont opposé frontalement au RN en raison de son histoire ancrée à l’extrême droite, d’autres ont surtout critiqué les positions de Jean-Luc Mélenchon et de la France insoumise.

L’importance du processus judiciaire

L’arène politique n’est pas le seul espace de revendication et de tensions. La justice est perçue comme particulièrement importante pour les personnes interrogées qui attendent la condamnation des auteurs des crimes antisémites.

Ainsi, les cours de justice ont été particulièrement investies à la suite de meurtres antisémites, comme en atteste la présence de nombreuses associations (CRIF, France-Israël, MRAP, SOS Racisme, etc.) parmi plus de 200 parties civiles au procès des attentats de janvier 2015.

Cela n’empêche pas certains d’exprimer une certaine désillusion face à l'institution judiciaire. À ce titre, le processus judiciaire après le meurtre de Sarah Halimi en 2017, a été source de nombreuses désapprobations car le caractère antisémite ne fut pas reconnu comme l’a exprimé Michel :

« Je me dis mais attends, j’ai l’impression que c’est des rigolos les juges mais je me dis bah ils doivent pas connaître ce que c’est l’antisémitisme c’est ça le problème, c’est que finalement, c’est quoi le critère. »

Les juifs et le procès « Charlie »

Le procès « historique » de 2020 qui a jugé les complices et soutiens logistiques des attaques terroristes de 2015 semble avoir redonné une place aux différentes victimes qui se sentaient oubliées, qu’elles soient juives ou non. Ce procès a été évoqué comme « le procès des attentats 2015 » permettant d’inclure toutes les victimes des 7, 8 et 9 janvier. Cependant, dans la pratique, il était courant d’entendre parler du “procès Charlie”, ce qui a pu être vécu comme une reproduction de l’invisibilisation ressentie en 2015.

Cinq ans après ce procès, le sentiment d’abandon des juifs de France perdure. En outre, la suite des attaques du 7 octobre ont conduit à des désaccords politiques entre les organisations qui revendiquent un héritage juif. Si certains ne se retrouvent pas dans ce sentiment d’abandon, d’autres au contraire ont constitué des groupes pour lutter contre l’antisémitisme.


L’autrice réalise actuellement sa thèse Les mémoires de l’antisémitisme en France, sous la direction Nancy Venel (Université Lyon 2) et de Sarah Gensburger (Université Paris Nanterre).

Solveig Hennebert, Doctorante, Université Lumière Lyon 2

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Crédit image : Shutterstock /  godongphoto

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