La mort de Darya Douguina - Accusations et hypothèses [OPINION]

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Depuis quelques jours, les discussions en Russie tournent autour du meurtre de Darya Douguina, fille du philosophe ultranationaliste Alexandre Douguine. Même si beaucoup de commentateurs estiment que ce dernier n’a aucune influence politique réelle, il est parfois considéré comme le « cerveau » de Vladimir Poutine pour ses théories ésotériques au sujet du destin historique de la Russie au sein d’une « Eurasie » engagée dans une lutte existentielle avec l’atlantisme des Occidentaux. Agée de 29 ans, Darya Douguina, elle-même connue en tant qu’activiste pour ses propos violemment anti-ukrainiens, a été tuée lors de l’explosion à 40km de Moscou de la Toyota Land Cruiser de son père (cible probable de l’opération), qui avait l’intention de prendre la voiture mais s’est désisté au dernier moment. Par la suite, Douguina a reçu l’Ordre du Courage posthume de Poutine lors d’une cérémonie commémorative devant de nombreux hommes politiques.

Pour l’instant, l’attentat reste l’objet d’accusations réciproques de Moscou –  parlant d’un acte commandé depuis l’Ukraine – et de Kyiv, qui nie toute responsabilité, y voyant la main des services secrets russes et craignant l’instrumentalisation du crime pour légitimer de nouvelles actions anti-ukrainiennes. Une autre hypothèse a été avancée par l’ex-député russe Ilya Ponomarev (désormais en Ukraine), qui dit être en contact avec l’Armée Nationale Républicaine, un groupe russe anti-gouvernemental inconnu, qui a revendiqué l’attaque en promettant d’autres actions contre le régime de Poutine. Ces hypothèses diverses soulèvent pourtant de nombreuses questions.

Selon le récit officiel russe, diffusé moins de 48 heures après la mort de Darya Douguina, elle aurait été tuée par l’ukrainienne Natalya Vovk, entrée en Russie le 23 juillet avec sa fille de 12 ans, après s’être rendue en France et en Pologne. Elle aurait vécu dans le même immeuble que Douguina avant de commettre l’attentat à la voiture piégée et de s’enfuir en Estonie dans une Mini Cooper, dont les plaques d’immatriculation aurait été changées deux fois. Pour appuyer cette hypothèse, de prétendues images de la photo d’identité de Vovk (nom de jeune fille Shaban) ont été publiées, alléguant son appartenance au bataillon Azov, ainsi que des vidéos des caméras de sécurité montrant ses déplacements. Ce scénario apparemment détaillé des autorités russes présente néanmoins plusieurs zones d’ombre. Comment a-t-on pu identifier avec certitude l’auteur(e) du crime dans un temps record ? Où sont les preuves d’un lien concret entre Vovk et l’explosion de la voiture conduite par Douguina ? En outre, comme l’a noté Christo Grozev du groupe d’investigation Bellingcat, la photo de la carte d’identité militaire de Natalya Shaban n’est pas une découverte, ayant déjà été mise en ligne par des hackers russes en avril 2022. Elle devait donc être connue des autorités bien avant sa supposée entrée sur le territoire russe le 23 juillet. Ceci étant le cas, il est difficile de croire qu’on aurait laissé une soldate ukrainienne opérer librement en Russie pendant un mois puis de la laisser fuir en Estonie. Quant à sa motivation, si on ne peut pas totalement exclure l’idée d’un assassinat par des nationalistes ukrainiens, on peut difficilement comprendre l’intérêt pour Kyiv d’une attaque (non-revendiquée) contre Alexandre et/ou Darya Douguina, des personnages certes en vue mais pas de premier plan.

Des incertitudes planent également sur l’hypothèse radicalement opposée d’Ilya Ponomarev, diffuseur de la revendication de l’attentat par l’Armée Nationale Républicaine (ANR). Dans un entretien avec Meduza, cet ancien créateur de la formation politique « Aile Gauche », le seul membre de la Douma russe à avoir voté contre l’annexion de la Crimée en 2014, a affirmé que l’ANR avait déjà été à l’œuvre au cours des derniers mois et l’avait informé avant l’attentat qu’ils allaient agir. Figure controversée même au sein de l’opposition russe (qualifié d’escroc par Alexei Navalny), Ponomarev estime, de manière provocatrice, qu’Alexandre et Darya Douguina étaient des cibles légitimes en temps de guerre. L’ANR reste mystérieuse, Ponomarev étant l’unique source d’informations à son égard. L’existence même du groupe et son lien éventuel avec la mort de Douguina sont pour l’instant invérifiables, certains pensant que l’ANR pourrait bien être la création des services secrets russes.

Quelle que soit la véritable identité du tueur de Darya Douguina, l’intérêt pour le Kremlin et ses alliés de la récupération d’un « crime barbare » (Serguei Lavrov) est manifeste. Notamment pour menacer l’Estonie : le sénateur Vladimir Dzhabarov a préconisé des mesures musclées contre Tallinn en cas de refus d’extradition de Natalya Vovk, tandis que Margarita Simonyan, directrice de la chaîne Russia Today, y enverrait bien des « professionnels » curieux de voir les flèches des églises de la capitale estonienne – une allusion cynique à l’alibi avancé par les agents russes ayant empoisonné Serguei et Ioulia Skripal en 2018 à Salisbury en Angleterre, ville connue pour la flèche de sa cathédrale.

Peter Bannister

Source : LCI

Cet article est publié à partir de La Sélection du Jour.

Image : Wikimedia Commons

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