La justice égyptienne annule la condamnation à mort de Mohamed Morsi

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La Cour de cassation égyptienne a annulé, le 15 novembre dernier, le jugement condamnant l’ancien Président Mohammed Morsi à la peine capitale pour intelligence avec le Hamas et le Hezbollah. Morsi avait été renversé par un coup d’Etat accompagnant les protestations populaires et mené par le maréchal Sissi, l’actuel Président égyptien. Il s’agit là de l’un des nombreux jugements parallèles concernant le dirigeant déchu.

Dirigeant du volet politique du mouvement islamiste des Frères musulmans, le Parti Liberté et Justice, Mohamed Morsi avait été choisi par défaut pour être le candidat de la confrérie à l’élection présidentielle du 17 juin 2012 après la chute du régime de Hosni Moubarak, en remplacement de Khairat el Shater, le guide suprême adjoint de la confrérie, partisan d’un califat, dont la candidature avait été invalidée par l’armée. Cependant, ce second choix présentait un intérêt certain, car, ingénieur en génie civil, ancien étudiant aux États-Unis, et père de deux enfants américains, l’homme exprimait une figure rassurante face aux chancelleries occidentales, différente de celle attendue d’un islamiste. Depuis plusieurs mois, les Frères musulmans tentaient de montrer un visage relativement libéral en multipliant les gestes d’attention envers la minorité copte, censée avoir une certaine proximité avec l’Occident historiquement chrétien, jusqu’à choisir un Copte évangélique, fils de pasteur anglican, comme vice-président du parti, le chercheur Rafik Habib, au grand dam des chrétiens du pays. La confrérie tenait à se démarquer ainsi des infréquentables salafistes, partisans du départ des chrétiens, mais probablement aussi à contourner l’interdiction des partis confessionnels. Toutefois, rapidement après avoir été élu, Mohamed Morsi, soutenu par son parti qui disposait de 44,6% des sièges au parlement, avait mené une politique en porte-à-faux avec le respect des droits de l’homme.

Dès fin novembre 2012, le Président s’était arrogé les pleins pouvoirs en s’attribuant l’autorité judiciaire, après avoir gracié des opposants, une clémence stratégique dans la conquête du pouvoir absolu pour faire accepter cette évolution par l’opposition, mais les partisans de la laïcité étaient descendus dans la rue, et, avec d’autres Frères musulmans, il avait violemment réprimé les opposants dans la rue en décembre ; huit personnes avaient péri. Morsi était de plus en plus contesté pour le mépris des libertés alors que les Égyptiens avaient renversé le régime de Moubarak pour obtenir plus de droits, et pour la situation économique. Début mai, de jeunes activistes connus sous le nom de Tamarod, comme en février 2011 lorsqu’il s’agit de faire chuter Moubarak, lançaient une pétition pour demander le départ du Président ; ils étaient financièrement soutenus par le milliardaire chrétien égyptien, Naguib Sawiris, ennemi juré des Frères musulmans et proche de l’ancien président, Moubarak. Fin juin, de la même année, la pétition avait recueilli plus de 22 millions de signatures, selon le quotidien Egypt Independent. Moins d’un an après son élection, le 3 juillet 2013, Mohamed Morsi était destitué par l’armée.

Un enchevêtrement de procès judiciaires et condamnations pour différents crimes

Dès avant le coup d’Etat, le ministre de la Défense, le maréchal Abdel Fattah al-Sissi, avait demandé au Président de démissionner, faute de quoi il serait poursuivi sur la base de preuves quant sa supposée haute trahison : « Je vais être franc avec toi : nous avons plein de dossiers détaillés qui t’accusent de comploter contre la sécurité du pays et la justice, et vous serez jugés pour ça. »

Ces propos enregistrés et présentés par journal égyptien al-Watan furent le prélude médiatique d’un procès judiciaire initié contre l’ancien chef de l’Etat en même temps que Sissi réprimait dans le sang les Frères musulmans. Détenu par l’armée, Mohamed Morsi fut ensuite soumis au pouvoir judiciaire qu’il avait confisqué et qui l’inculpa pour complicité avec des puissances étrangères ennemies, le Hamas et le Hezbollah libanais, qui auraient attaqué une prison deux ans auparavant, durant le Printemps arabe, pour l’en libérer, lui et une trentaine d’autres dirigeants de la confrérie, mais aussi le Qatar auquel il aurait fourni des documents touchant à la sécurité nationale par la chaîne al-Jazeera, ainsi que d’espionnage au profit de l’Iran ; des charges pesaient également sur lui quant à l’incitation au meurtre de manifestants.

Fin avril 2015, le Président destitué fut condamné à 20 ans de prison pour avoir ordonné de torturer à mort des manifestants en décembre 2012 opposés à l’extension de ses pouvoirs. Selon la chercheuse et universitaire spécialiste du monde arabe, Eva Saenz-Diez, « l’appareil judiciaire [voulait] se laisser un peu de marge pour les prochains verdicts » au lieu de le condamner de suite à mort. Le mois suivant, la peine capitale fut prononcée à son encontre pour les violences et l’évasion de prison durant les manifestations du Printemps arabe. C’est cette peine, confirmée un mois plus tard, que vient d’annuler la Cour de cassation.

Mohamed Morsi reste, en attendant une nouvelle décision, toujours condamné à vingt années de prison pour les crimes contre les manifestants, mais surtout à la réclusion à vie suite à un jugement de juin 2016 dans l’affaire de l’espionnage au profit du Qatar. Depuis fin 2013, les Frères musulmans sont interdits dans le pays, et classés « organisation terroriste ».

Hans-Søren Dag

Crédit Image : Levant TV


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