Sous l’Ancien Régime en France, les accusés devaient s’asseoir sur un petit siège que surplombaient les magistrats qui les questionnaient. Aujourd’hui, la Cour pénale internationale (CPI) est également assise sur la sellette, soumise à la critique, dominée du regard par des États qui tiennent à reprendre leur souveraineté pénale. Depuis la mi-octobre, quatre pays, dont la Russie, ont annoncé leur désengagement du Statut de Rome qui fonde cette justice internationale, un automne de la Cour qui risque de faire des émules.
Le 12 octobre dernier, les deux chambres du Parlement du Burundi ont voté le retrait de leur pays du Statut de Rome qu’elles avaient ratifié. Dans la foulée, le 21 octobre, l’Afrique du Sud annonçait également son départ, qui pourrait être effectif avant même celui du Burundi. Trois jours plus tard, la Gambie déclarait ne plus être membre de l’institution dès le jour même de l’annonce ; ironie de l’histoire, le procureur de la Cour pénale internationale, la juriste Fatou Bensouda, est une Gambienne, un ancien ministre de la Justice du pays. A ces trois pays africains, s’est jointe la Russie dont le Président, Vladimir Poutine a retiré sa paraphe du Statut de Rome par décret le 16 novembre. Moscou avait signé le Statut de Rome sans toutefois le ratifier et n’acceptait donc déjà pas l’autorité de la Cour. Les Philippines se questionnent, elles ouvertement, quant à leur sortie ; mais le turbulent chef de l’État de l’archipel étant un habitué des coups d’éclat et des revirements, son propos doit encore trouver confirmation.
Un sentiment d’injustice face à la justice pénale internationale
Un sentiment directeur prévaut, celui de la partialité de la Cour
Les critiques sont diverses, mais de grandes lignes directrices les synthétisent. Le Burundi accuse la CPI d’être orientée par l’Occident, le porte-parole du Gouvernement, Philippe Nzobonariba, a déclaré : « Cette Cour dont le financement est assuré à plus de 70% par l’Union européenne est devenue un instrument de pressions politiques sur les gouvernements des pays pauvres ou un moyen de les déstabiliser. » Les autorités burundaises essaient surtout d’échapper à la justice pénale internationale qui a décidé, le 25 avril dernier, d’examiner les rapports quant aux atteintes aux droits de l’homme dans le pays où seraient commises des violences pénales extrajudiciaires et inhumaines comme la torture. L’Afrique du Sud s’est, elle, vexée des critiques suite à l’accueil sur son sol du Président nord-soudanais, Omar el-Béchir, à l’occasion du vingt-cinquième sommet de l’Union africaine, alors qu’il existe un mandat d’arrêt international à son encontre pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide au Darfour. La Gambie joue, quant à elle, la carte de la victimisation en tant que pays africain face à l’Europe, et dénonce une persécution des Africains, en particulier leurs dirigeants » en considérant que, dans le même temps, la justice internationale a oublié une trentaine de « pays occidentaux ont commis des crimes de guerre » depuis l’entrée en vigueur du Statut de Rome en 2002. Le ministre de l’information gambien, Sheriff Bojang, déclare même que la partialité de la CPI est claire dans son refus de poursuivre les pays européens pour la mort par noyade de migrants qui tentent de gagner le Vieux Continent. La Russie n’apprécie pas l’orientation de l’enquête ouverte en janvier, qu’elle estime être à charge, concernant le conflit de 2008 avec la Géorgie et des massacres qu’aurait commis son armée, dénoncées par Tbilissi, alors que des soldats russes seraient également morts dans des circonstances méritant une telle enquête ; cependant la Géorgie avait indiqué à la CPI avoir terminé son enquête, tandis que la Russie poursuit la sienne, et la Cour ne peut intervenir que si le processus national n’a pas abouti. Par ailleurs, Moscou est également visé concernant ses interventions en Crimée et à Sébastopol, en Ukraine. Une constante existe dans ces critiques, la CPI manquerait de neutralité.
Trois membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU peu favorables à la CPI
Cependant, d’autres pays tiennent à souligner la nécessité de la CPI, comme la Côte d’Ivoire d’Alassane Ouattara. Cependant, ce satisfecit peut aussi s’expliquer par le fait que son rival politique, Laurent Gbagbo, l’ancien Président, est détenu à La Haye depuis 2011 pour « crimes contre l’humanité » suite au conflit entre les troupes gouvernementales et celles d’Ouattara. Un soutien qui peut illustrer tout un aspect politiquement intéressé à une instance internationale qui, à l’instar des Nations unies qualifiées par le Général de Gaulle de « Machin », dépend aussi grandement d’éléments extérieurs à la seule justice. Ainsi, alors que l’un des trois moyens de saisine de la Cour, est, à côté de celle par un État membre et celle par son propre procureur, la saisine par le Conseil de sécurité de l’ONU, trois de ses cinq membres permanents ne reconnaissent pas l’autorité de la Cour, à savoir les États-Unis, la Russie et la Chine, et chacun des cinq peut user de son droit de veto pour empêcher que le organe exécutif des Nations unies ne saisisse la Cour. Ainsi, Pékin et Moscou ne sont pas favorables à une action de la CPI contre la Corée du Nord et opposeraient un veto à une demande de saisine par le Conseil ; idem concernant la Syrie, Moscou estimant d’ailleurs que le traitement entre les rebelles et le pouvoir par l’Occident n’est pas impartial. Les États-Unis n’accepteraient aucune ingérence concernant les prisons de Guantanamo par exemple. Le Congrès américain a même voté une loi en 2002, l’American Service-Members’ Protection Act qui autorise le Président à utiliser tous les moyens pour libérer des agents américains et alliés, civils ou militaires, qui seraient détenus à La Haye.
Une Afrique tentée par le rejet de l’autorité de la Cour
Dernièrement, seuls trois pays africains concernés voulaient rester liés à la Cour
Le retrait de plusieurs pays africains du Statut de Rome correspond à leur actualité, mais on peut également relever qu’il survient à quelques semaines du prochain Sommet de l’Union africaine, en janvier à Addis-Abeba, en Éthiopie qui, elle-même, avait déjà accusé la Cour d’être un « instrument politique », en octobre 2013, alors qu’elle accueillait le conseil des ministres de l’Union dont les travaux étaient consacrés à l’éventuel rejet de la Cour pénale internationale. Le président de l’organisation panafricaine, Hailemariam Desalegn, avait alors accusé la CPI de « chasse raciale » envers les Africains, les seuls personnes poursuivies à l’époque étaient du Continent noir. La rencontre avait eu lieu alors que la Cour poursuivait le Président Kényan, Uhuru Kenyatta, pour les meurtrières violences post-électorales de 2007-2008, lequel avait saisi l’occasion de la réunion pour se poser en défenseur de « l’anticolonialisme », et avait bénéficié du soutien de l’Afrique du Sud. L’année suivante la CPI abandonnait ses poursuites, faute de preuves, et a prononcé en avril de cette année un non-lieu concernant son vice-président, William Ruto. Depuis, Kenyatta a presque rejoint le bon élève qu’est le Botswana dans le soutien à la Cour qui critique désormais ces retraits, ainsi que la Côte d’Ivoire, il ne parle plus de retrait et fait mine d’ignorer que le Parlement s’est prononcé pour. Aujourd’hui, sur les dix affaires traitées, neuf concernent l’Afrique et une la Géorgie.
Lors du dernier sommet de l’Union africaine en juillet, sur les trente-quatre signataires et membres du Statut de Rome, seuls trois États s’étaient opposés à un retrait collectif, le Nigeria, la Côte d’Ivoire et le Sénégal. Lors de la signature du Statut de Rome en 1998, les chancelleries saluaient l’événement, tout comme en 2002 l’entrée en vigueur du traité. La majorité des 193 pays membres des Nations unies l’ont ratifié, 124, et 32 l’ont seulement signé sans avoir encore ratifié ; les États-Unis ont retiré leur signature en 2002. Un chemin que de plus en en plus de pays sont tentés de suivre.
Hans-Søren Dag