Depuis 2006 China Aid publie un rapport annuel sur la persécution des chrétiens en Chine. Le 14 février, l’ONG a mis en ligne celui concernant l’année 2022 et qui témoigne d’un resserrement du contrôle des activités chrétiennes sous le régime de Xi Jinping, notamment via de nouvelles formes de persécution.
China Aid s’est appuyé, comme les autres années, sur un vaste réseau de chrétiens dans toute la Chine continentale pour établir son rapport sur la liberté religieuse, l’État de droit et diverses persécutions. L’augmentation de la surveillance numérique rend cependant très difficile de présenter de façon complète la situation, car les fidèles et les congrégations ont peur de témoigner en ligne. Néanmoins, son rapport permet de voir assez précisément comment le pouvoir socialiste cible les chrétiens. Pour Bob Fu, le président de l’ONG, la communauté internationale doit être alertée alors que la Chine monte en puissance.
Dans son rapport de 63 pages, China Aid mentionne le développement des diverses formes de persécution, avec une insistance particulière sur la sinisation des Églises ou encore la réglementation de l’expression religieuse sur Internet.
Malgré une certaine libéralisation économique du pays, le Parti communiste continue de contrôler étroitement la circulation des biens, des personnes et des idées. Le christianisme est toujours vu comme une menace par le pouvoir, et la persécution n’a cessé dans ses formes les plus connues. Des chrétiens sont toujours arrêtés et détenus sans contact avec l’extérieur, ils peuvent être torturés, des églises sont détruites.
Arrestations de chrétiens sous prétexte de fraude
Le 4 février 2022, alors que le monde avait les regards tournés vers Pékin où débutaient les Jeux olympiques d’hiver, la police a arrêté Xu Yonghai, un ancien de l’Église Holy Love Fellowship, et l’a placé sous résidence surveillée dans un hôtel de la capitale. D’autres chrétiens, dont un avocat, ont également été contraints de ne pas sortir. Leur particularité est de plaider en faveur de la justice. C’est le cas de tant d’autres comme Wang Debang, militant chrétien pro démocratie, arrêté le 12 mai pour être interrogé pendant des jours et des nuits par la police qui l’a torturé avant de le libérer sous caution. Il est dans l’attente de son procès.
Si le pouvoir arrête des chrétiens pour leurs activités en faveur des droits de l’homme, il les persécute également en tant que chrétiens. Il recourt notamment de plus en plus à des accusations de fraude sans fondement avéré. Ainsi, Hao Zhiwei, pasteur dans la province du Hubei, a été condamné à huit ans de prison, tandis que Hao Ming et Wu Jiannan, anciens d’une église dans le Sichuan, ont été condamnés à plus de 10 ans d’emprisonnement. À la mi-juillet, neuf responsables de l’Église Golden Lampstand dans le Shanxi arrêtés en août 2021 étaient toujours détenus, inculpés pour fraude.
Souffrant de faim, confrontés au refus de traitements médicaux, violentés, ils n’ont par ailleurs pas eut droit aux visites de leurs familles. Ces dernières ne sont pas toujours officiellement informées des raisons des arrestations, comme dans le cas de comme dans le cas de Wu Tingting, employé d’une église dans la même province qui refuse de rejoindre le Mouvement patriotique des trois autonomies, l’une des deux Églises protestantes officielles validées par l’֤État.
Les autorités peuvent insister pour que les fidèles déclarent avoir été frauduleusement dépouillés par leurs pasteurs. Dans l'église de Wu Tingting, presque tous ont refusé de signer la moindre accusation contre deux pasteurs, mais certains ont cédé face aux fortes pressions de leurs employeurs et proches. Ils ont également dû signer un engagement à ne plus fréquenter la congrégation.
Le bâtiment de la Golden Lampstand avait déjà été dynamité en 2018 après le refus de la congrégation de rejoindre l’Église officielle, et les autorités avaient précédemment envisagé de la démolir, en 2009, en vue de capitaliser sur la valeur immobilière. La femme du pasteur avait été arrêtée pour "appropriation illégale de terres agricoles" avant d’être condamnée à sept ans d’emprisonnement. Dans la foulée de sa libération, en 2016, les autorités avaient demandé à la congrégation de rejoindre le Mouvement patriotique des trois autonomies, avant de faire démolir l’édifice deux ans plus tard.
Le renforcement de la persécution sous la Covid
Dans cette lutte contre le christianisme, la Covid-19 est un prétexte de choix. Le 17 mai, l’avocate spécialisée dans les droits de l’homme Wang Shengsheng s’est rendue de Zhengzhou, alors non considérée à risque Covid, à Wuhan pour défendre un client. La police l’a gardée en quarantaine durant 21 heures, en toute illégalité selon elle. Le 28 septembre, plusieurs personnes ont commencé à surveiller la maison du pasteur Dai Zhichao avant que les autorités de prévention de la Covid n’interviennent chez lui le 15 octobre pour effectuer des tests. Elles se sont montrées grossières et lui ont interdit de quitter son logement.
La veille de Pâques, le 16 avril, les membres de la Christians of Shenzen Trinity Harvest Gospel Church se sont rendus à la plage, à deux heures de chez eux, pour baptiser six nouveaux croyants. Les autorités sanitaires ont appelé le pasteur Mao Zhibin, puis la police l’a localisé avec les fidèles dans un restaurant et a contrôlé leurs identités, leurs QR-codes Covid. Le pasteur a vu que l’un des policiers avait la vidéo des baptêmes sur son smartphone, postée par un fidèle inexpérimenté sur WeChat. Le pouvoir comprend l’importance de contrôler toute expression chrétienne en ligne.
Sinisation et augmentation du contrôle du cyberespace
À la suite du baptême à la plage, les autorités ont interdit les services religieux en ligne de l’Église du pasteur Mao. Mais le pouvoir va plus loin et en a fait une affaire de sécurité nationale, notamment en prenant des "mesures administratives pour les services d’information religieuse sur Internet" depuis mars. Il forme ses agents à la loi sur la cybersécurité et celle sur la sécurité nationale.
Avant même l’entrée en vigueur de ces mesures, le 1er mars, les échanges en ligne étaient déjà contrôlés. Le 16 janvier, une chrétienne vivant à New York a raconté qu’elle avait discuté avec sa mère sur WeChat, avant de conclure leur échange par une prière commune, et que les cadres du village de cette dernière lui ont demandé dans la foulée de ne pas prêcher sur cette application. "Désormais, nous ne sommes même plus autorisés à mentionner Jésus dans nos prières", a-t-elle déclaré à China Aid.
Beaucoup de chrétiens rapportent qu’ils doivent prendre des mesures de précaution pour communiquer sur WeChat, par exemple modifier les noms de groupes, les surnoms, ou encore ajouter des astérisques entre des mots-clés pour contourner la censure, réduire l’utilisation de termes liés à la foi chrétienne, voire supprimer du contenu religieux.
En janvier, Wang Yang, membre du Bureau politique du Parti communiste a déclaré que les communautés religieuses devaient unir leurs fidèles autour du Parti et du gouvernement pour forger une "énergie positive" afin d’atteindre le "rêve chinois". L’Administration des affaires religieuses explique qu’il faut renforcer l’idéologie et l’orientation politique en faveur du socialisme dans les communautés chrétiennes et noyer leur contenu religieux dans la culture chinoise.
Le XXe Congrès national du Parti communiste chinois, en octobre, a été l’occasion de redire que les communautés religieuses doivent se focaliser sur le "grand réveil du peuple chinois", approfondir et promouvoir la sinisation de leurs croyances, mais aussi étudier et diffuser l’esprit du Congrès dans leurs milieux ou encore donner la priorité aux tâches politiques. Nouveauté dans cette sinisation, le Congrès demande que les groupes religieux "blindent leurs esprits avec la pensée de Xi Jiping concernant le socialisme à la chinoise dans la nouvelle ère". La pensée de Xi doit même être utilisée pour éclairer le travail et la pratique religieuse.
Jean Sarpédon