James Webb Space Telescope : Que va-t-il se passer après le décollage ?

shutterstock_2077686631.jpg

Quand le James Webb Space Telescope sera lancé à la fin de l’année, ce sera le télescope spatial le plus grand, le plus important et le plus complexe jamais construit. Avec plus de 20 ans de recherche et développement pour une mission aussi attendue, quand aurons-nous les premières données et les premières images ?

Contrairement à ce qu’on pourrait penser de prime abord, ce ne sera pas tout de suite après le lancement.

Le télescope va décoller bien replié dans la coiffe d’Ariane 5. Il mettra 20 jours à se déplier et 30 jours à atteindre sa destination à 1,5 million de kilomètres de la Terre (pour comparaison, Hubble est à seulement 550 kilomètres de la Terre), d’où il pourra réaliser des observations scientifiques dans un domaine de longueur d’onde plus difficile d’accès autrement : l’infrarouge.

Le lancement du JWST, ou « Webb » pour faire court, marque le début d’une phase cruciale pour les observations scientifiques, dite de « commissioning » ou « recette en vol ». Pendant six mois, tous les sous-systèmes qui composent le télescope seront démarrés et testés ; notamment bien sûr les quatre instruments scientifiques, dont « MIRI » (pour Mid-Infrared Instrument) auquel la France a contribué.

Déploiement et phases de tests : un ballet spatial millimétré

La première phase démarre 31 minutes après le lancement. C’est le « déploiement » : d’abord celui de l’antenne de communication ; puis 3 jours après le lancement, alors que le télescope croise la Lune, le reste du déploiement commence. Pendant 12 jours, l’observatoire va lentement passer de sa configuration repliée pour rentrer dans la coiffe d’Ariane 5 à sa forme dépliée.

Le déploiement du James Webb Space Telescope (JWST).

Les panneaux solaires et le bouclier thermique ouvrent le bal – pour le bouclier, la procédure se fera en plusieurs étapes en parallèle d’autres déploiements. Puis, l’observatoire va glisser le long de la tour qui le relie au bouclier thermique et au reste du télescope. Le stabilisateur et les radiateurs instrumentaux, placés derrière le bouclier thermique, seront à leur tour mis en place. Ces derniers servent à évacuer la chaleur émise par les instruments.

Refroidir le télescope pour lui permettre d’observer dans l’infrarouge

Les quatre instruments du JWST observent dans l’infrarouge. Sur Terre, il est difficile d’observer à ces longueurs d’onde car tout objet émet du rayonnement en fonction de sa température : aux températures terrestres, le maximum d’émission est dans l’infrarouge. Le télescope et le miroir primaire doivent donc être refroidis pour augmenter leur sensibilité et éviter les signaux parasites de l’ensemble de l’observatoire, qui comprend le télescope, les instruments et sous-systèmes.

Dans le cas du télescope spatial, les instruments partent des 300K terrestres (25 ℃) pour arriver à une température de 50K (-225 ℃) dans l’ombre du bouclier thermique. Dans le vide spatial, le seul moyen de refroidir « passivement » est par « dissipation radiative » : on perd de l’énergie en émettant des photons mais on ne peut pas compter sur la convection par l’air… puisqu’il n’y a pas d’air.

Paradoxalement, bien que l’espace soit très froid, le vide implique qu’il est difficile de se refroidir tout seul. Cette étape prend donc du temps : presque quatre mois pour se stabiliser complètement.

Pour les trois instruments observant le proche infrarouge (entre 0,6 et 5 micromètres), le refroidissement passif à 50K suffit à atténuer les émissions du télescope pour permettre les observations.

Pour l’instrument MIRI par contre, seul instrument à observer l’infrarouge moyen (entre 5 et 25 micromètres), il faut atteindre une température encore plus basse de 7K (-266 ℃) : le rayonnement thermique à 50K est trop important dans l’infrarouge moyen et perturbe les mesures. Nous avons donc dû ajouter un refroidissement actif avec un « cryocooler ».

Le commissioning : cruciale phase de test

Les tests auront lieu dans l’espace, depuis les premiers instants après le lancement jusqu’à son arrivée à son orbite stable, au point de Lagrange L2. À cet endroit, l’attraction gravitationnelle de la Terre et celle du Soleil sont telles que le télescope reste constamment dos au Soleil et à la Terre, ce qui permet de refroidir plus facilement le télescope et ses instruments.

Les tests sont commandés à distance depuis le centre de contrôle au Space Telescope Science Institute à Baltimore aux États-Unis. Là-bas, nuit et jour pendant six mois, des équipes vont se relayer, deux personnes par sous-systèmes pour une cinquantaine de sous-systèmes, par exemple le suivi de l’orbite ou la communication avec la Terre.

Le centre de contrôle de la Station Spatiale Internationale. Dans le cas du James Webb Space Telescope, il y a plusieurs salles à cause du nombre d’opérateurs et des restrictions liées au Covid-19. Le nom des sous-systèmes figure au dessus des ordinateurs.
CCicalese (WMF), Wikipedia, CC BY-SA

Bien sûr, de nombreux tests ont déjà été réalisés sur Terre, dans la plus grande chambre de test au monde qui reproduit les conditions du vide spatial, à Houston aux États-Unis. Cependant, ces tests ont concerné seulement les miroirs et instruments mais pas les éléments les plus gros : même la plus grande chambre de test au monde est incapable d’accueillir le JWST déplié… le bouclier thermique à lui seul faisant environ la taille d’un court de tennis.

De plus, les tests au sols étaient optimisés pour tester l’optique, mais pas suffisants pour préparer des observations scientifiques. Des tests spécifiques supplémentaires doivent être réalisés dans l’espace pour calibrer les instruments en observant des sources déjà connues (observées avec d’autres instruments avant).

Le James Webb Space Telescope entre dans la chambre A au Johnson Space Center à Houston, le 21 juin 2017.
NASA/Chris Gunn

La phase de recette en vol est donc l’aboutissement de trois ans de préparation, de planification et d’entraînement afin de sélectionner les meilleures observations, de préparer les logiciels d’analyse qui serviront pour détecter et caractériser les éventuels problèmes.

Le temps est aussi un facteur important, car une préparation de six mois avant d’acquérir des données, pour une mission dont la durée nominale est cinq ans, est une fraction non négligeable. Tout a donc été fait pour que ce temps soit le plus court possible.

Chronologie

Dans les détails : 15 jours après le lancement, et pour une durée de 25 jours, les différents systèmes vont être démarrés et testés pour s’assurer que tout fonctionne normalement. Dans le même temps, l’observatoire atteindra son orbite finale autour du point de Lagrange L2 30 jours après le lancement.

Déroulement chronologique des 6 premiers mois dans la vie du JWST.
Dan Dicken et Christophe Cossou, Fourni par l’auteur

40 jours après le lancement et pour 80 jours, le miroir sera testé et aligné. En parallèle, la première partie de la calibration des instruments, appelée calibration interne (c’est-à-dire à l’aide de lampes internes et non en regardant le ciel) sera effectuée. Ces tests ont déjà étés effectués au sol mais doivent être refaits dans l’espace, notamment pour voir si l’environnement spatial et le profil thermique du télescope est comme attendu.

120 jours après le lancement et pour 60 jours jusqu’à la fin du commissioning (six mois après le lancement) ont lieu les calibrations externes des instruments. Ce seront les premières images du ciel prises avec les instruments scientifiques. Tous les instruments dans leurs différents modes d’observations seront testés, afin de s’assurer que ces derniers sont prêts pour la science.

Les premières observations

À partir de 155 jours après le lancement jusqu’à la fin du commissioning, quelques observations seront faites (Early Release Observations) : une fois traitées, ce seront les toutes premières images à la disposition des chercheurs et du grand public qui illustreront les possibilités du James Webb Space Telescope. Pour l’instant, les équipes instruments ne sont pas encore au courant de ce qui sera observé.

Puis, autour de juin 2022, quand les tests seront finis et qu’il sera temps de passer à la phase d’exploitation, toutes les données accumulées pendant les phases de tests seront rendues publiques et accessibles : les chercheurs du monde entier pourront les examiner de près, et se préparer à l’exploitation de leurs futures données scientifiques.

Christophe Cossou, Ingénieur CEA, développeur pour l’instrument JWST/MIRI au Laboratoire Astrophysique, instrumentation, modélisation du CEA/CNRS, Université de Paris; Dan Dicken, Project Scientist , Université Paris-Saclay et Pierre-Olivier Lagage, Chercheur CEA au Laboratoire Astrophysique, instrumentation, modélisation du CEA, CNRS, Université de Paris

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


Articles récents >

Au Parlement britannique, un vote à suspense sur l'autorisation de l'aide à mourir

outlined-grey clock icon

Les nouvelles récentes >