Indonésie : le gouverneur de Jakarta, chrétien, menacé pour blasphème

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Ahok, le gouverneur de Jakarta, fait face à d’amples manifestations exigeant sa démission et même sa condamnation à mort. Le très populaire dirigeant indonésien a irrité les islamistes en citant le Coran. Un blasphème selon les détracteurs de ce chrétien qui dirige la capitale du plus peuplé des pays musulmans du monde. La police a lancé une enquête sur les propos d’Ahok.

C
ritiqué par les islamistes qui dénoncent depuis 2012 l’accession d’un chrétien au pouvoir, Basuki Tjahaja Purnama, affectueusement surnommé « Ahok », a réagi en citant le verset 51 de la sourate al-Maidah (La table servie) :

« Ô les croyants! Ne prenez pas pour alliés les Juifs et les Chrétiens; ils sont alliés les uns des autres. Et celui d’entre vous qui les prend pour alliés, devient un des leurs. Allah ne guide certes pas les gens injustes. »

Le gouverneur de Jakarta assure que son intention n’était pas de se moquer du Coran, mais d’ironiser sur les islamistes qui l’utilisent comme seul argument pour refuser que des musulmans soient dirigés par un chrétien. Depuis cette intervention du 27 septembre, Ahok est plus que jamais contesté. Des milliers d’islamistes défilent revêtus de leurs kami, ces tuniques traditionnelles, et de leurs calots dans les rues de la capitale pour le menacer. Ils espèrent tenir là l’occasion rêvée de faire tomber le gouverneur qui est candidat pour se succéder à lui-même lors de l’élection en février prochain. « Jakarta est maintenant gouverné par un infidèle, alors que l’Indonésie compte le plus grand nombre de musulmans », dénonce devant la foule électrisée l’islamiste Emed Muhamad. Et de réclamer sa mise à mort, confortant ainsi les propos ironiques d’Ahok sur la seule raison des fondamentalistes de le refuser comme dirigeant.

La politique d’Ahok n’a pourtant jamais négativement discriminé les musulmans

Une pétition a été lancée il y a deux semaines sur Change.org pour exiger des excuses, et dans l’après-midi du 7 octobre, elle avait rassemblé près de 60 000 signatures. Depuis, Ahok a fait acte de contrition le 11 octobre, en redisant qu’il n’avait jamais entendu blesser les musulmans et que sa politique démontrait sa volonté de ne pas les discriminer. Le gouverneur s’est dit désolé que sa déclaration ait pu être interprétée comme portant atteinte à l’harmonie du pays, et il a rappelé que son administration avait aidé de nombreuses écoles islamiques, autorisé la création de madrasas (des écoles coraniques) et construit des mosquées. Au total, le manifeste stagnait autour de 76 000 paraphes à midi le 20 octobre, ce qui laisse sur le constat que les Indonésiens disposant d’un accès à Internet sont loin de partager l’ire des manifestants.

Les actuelles manifestations sont aux antipodes de celles qui avaient accompagné dans la liesse la prestation de serment Joko Widodo de Basuki Tjahaja Purnama en le 15 octobre 2012. A l’époque, « Jokowi », devenu depuis chef de l’État, et son adjoint Ahok avaient été respectivement désignés gouverneur et vice-gouverneur de la capitale par les citoyens qui voulaient en finir avec l’incurie et la corruption et désengorger l’embouteillée et polluée Jakarta. Le ticket avait remporté 54% des voix exprimées au grand dam des islamistes et nationalistes qui reprochent à Basuki non seulement sa religion chrétienne, mais aussi ses origines chinoises. Lorsque Widodo accéda à la présidence, Ahok devint automatiquement gouverneur de la capitale, une promotion qui causa la colère des islamistes manifestant déjà depuis plusieurs semaines contre lui. En attendant la prestation de serment présidentielle, le vice-gouverneur avait critiqué les opposants qui s’occupaient davantage de religion ou d’ethnicité que de politique en ce qui avait trait à sa personne.

Un gouverneur critiqué par les islamistes quant à son identité, nonobstant sa politique

La gestion de la capitale par Ahok est rigoureuse. A la suite de Joko Widodo, Ahok travaille à fluidifier le trafic en développant les autoponts et voies ferrées surélevées ainsi que le projet de transport souterrain à la circulation la plus dense du monde. Par ailleurs, il mène un combat manifeste contre la corruption et la concussion. Ainsi, le gouverneur a refusé le budget de fonctionnement pour l’année 2015, d’un montant de 6,8 milliards de dollars, voté par le parlement de la capitale, et a proposé le sien de 5,9 milliards. Il s’agissait selon lui de dénoncer la pratique du « dana siluman » (budget sournois) qui consiste pour les élus à gonfler le budget en y intégrant des projets fictifs ou en augmentant le coût des projets en cours. Un souci éthique qui ne lui attire pas que des amitiés.

Dans les grands médias du pays, des voix s’élèvent pour dénoncer les attaques religieuses à l’encontre du chrétien Ahok

En dépit de sa volonté d’améliorer l’état de Jakarta, ce sont la religion et les origines ethniques de Basuki qui sont ciblées par ses contempteurs. Mais, dans les grands médias du pays, des voix s’élèvent pour dénoncer les attaques à son encontre. Ainsi, dans les colonnes du Jakarta Post du 15 octobre dernier, la journaliste Lailatul Fitriyah, musulmane, dénonçait « l’arrogance des religieux musulmans d’Indonésie » qu’elle accusait de n’avoir qu’une acception littérale du verset cité par Ahok, avant d’ajouter que, « contrairement à l’idée reçue, cette perception n’est pas uniquement celle des musulmans extrémistes, mais traverse les principaux courants de la société musulmane du pays ». Un autre grand journal indonésien, The Jakarta Globe, rappelait quatre jours auparavant que les érudits musulmans ne s’accordent pas sur le sens dudit verset, certains le contextualisant dans l’histoire guerrière des premiers temps de l’islam, d’autres l’utilisant comme prétexte pour tenter d’empêcher des non-musulmans comme Ahok de diriger des musulmans. Fin 2013, les islamistes avaient protesté contre la promotion d’une chrétienne à un poste de chef de service dans l’administration de Jakarta, refusant que des musulmans fussent soumis à l’autorité d’une personne chrétienne et de sexe féminin.

Les religieux de différentes confession ont appelé au calme ; guides chrétiens, musulmans, bouddhistes et hindous ont affiché leur volonté de ne pas voir la situation empirer. Ils demandent, par ailleurs, aux candidats de ne pas offenser les sentiments religieux du peuple. La police enquête désormais sur les propos du gouverneur.

En décembre 2015, la police avait arrêté Arif Hidayatullah, un islamiste qui planifiait un attentat contre le gouverneur de Jakarta, et qui visait également un centre juif ainsi qu’une mosquée chiite. Il a été condamné le 3 octobre à 6 ans d’emprisonnement. Le terroriste était en rapport avec un djihadiste de l’État islamique, et l’organisation tente d’étendre la guerre jusqu’en Indonésie. C’est le mandat de tous les dangers pour Ahok.

Hans-Søren Dag


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