Hervé Mariton : « Il faut être attentif à ce que la France ne s’enferme pas dans une pratique anti-religieuse »

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Dans cette interview exclusive qu’il a accordée à Info Chrétienne, Hervé Mariton, député de la Drôme, co-auteur de la pétition qui s’insurge contre le vade-mecum sur la laïcité de l’Association des Maires de France, conteste notamment la vision de la société et des élus sous-tendue par le document.

Quel impact pensez-vous que cette pétition puisse avoir ?

La pétition a été lancée mercredi 25 novembre. Elle s’adresse à tout le monde, on identifie les signataires citoyens et les signataires élus, et l’idée est de la remettre sous quinzaine à François Baroin, président de l’AMF. Au minimum il faudrait que chaque élu, chaque Français entende qu’il s’agit d’une interprétation extrêmement discutable de la laïcité, et si l’AMF pouvait corriger le tir ce serait quand même mieux. Ce qui est gagné c’est que l’AMF a déjà souligné que ça ne contraignait personne. C’est déjà ça. Mais ça a pu rendre la situation plus compliquée pour les maires qui voulaient se raccrocher à ce document.

En tant qu’élu de la République comment recevez-vous ces préconisations de l’AMF ?

Ce vade-mecum, qui est plus large que l’affaire des crèches de Noël, part de deux a priori de mon point de vue erronés : le caractère totalement étranger de la sphère publique avec le monde religieux, et l’idée de l’absence d’identité des élus. Mais les élus ne sont pas des « institutions sur pattes », ils ont un présent, un passé, une culture, chacun dit ce qu’il souhaite en dire sur ses engagements politiques, sa vie familiale, ses convictions religieuses. Je pense qu’il n’est pas judicieux de trop porter les questions religieuses en ostensoir, mais elles ne doivent pas être nécessairement cachées. Je vois cette idée, qu’un élu serait, soit le porte-parole anonyme de son parti, soit celui, désincarné d’une institution. Ce n’est ni l’un, ni l’autre : un élu c’est d’abord un homme, une femme, avec sa densité, son identité, et la religion fait partie de cette identité. Son affirmation n’est évidemment pas obligatoire quelles que soient les convictions ou absence de conviction, mais ça serait une atteinte grave à la liberté de considérer que cette affirmation serait interdite, et c’est un des problèmes de ce vade-mecum. Cela reviendrait à interdire à un élu de dire qu’il est marié, qu’il a des enfants, au motif que la vie privée ne regarde pas. L’intrusion dans la vie religieuse est malsaine, comme dans la vie familiale, mais si quelqu’un a envie de dire, au nom de quoi l’en empêcher ? Il n’y a aucune raison de l’empêcher de se signer dans une cérémonie religieuse par exemple.

N’est-ce pas la conséquence d’une lecture restrictive de la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat ?

La loi de 1905, était à cette époque un texte violent et peu tolérant. En réalité il n’a cimenté la communauté nationale qu’avec le temps. Il faut être très attentif à ne pas avoir une lecture intégriste et originelle de la loi de 1905 car pour le coup on retomberait  dans le climat de l’époque avec les portes d’églises enfoncées, l’exclusion des biens, des personnes qui envoient leurs enfants faire des études à l’étranger, etc. L’AMF semble avoir oublié que beaucoup de Français ne souhaitent pas le rétablissement de ce climat. C’est à la fois un manque de culture, si ce n’est une intention. Par ailleurs, c’est une vision assez curieuse du monde, faite d’automatisation et de mécanisation ; alors que toute la valeur de la politique c’est sa densité humaine, sinon autant mettre un logiciel qui, lui, ne se signera pas... Il y a un certain nombre de gens qui sont prêts à porter des erreurs invraisemblables.  Lors de la préparation à l’Assemblée Nationale de la loi d’interdiction des signes religieux à l’école publique, qui est une bonne loi, on est passé très près de cette interdiction pour les écoles privées sous contrat. Dans le passé il y eu des élucubrations sur l’interdiction des signes religieux dans les locaux dans lesquels les assistantes maternelles accueillent les enfants. Comme si on allait faire la police des salons des nounous… La société française est capable d’engendrer des idées aussi ahurissantes que cela…

Comment la laïcité peut-elle éviter de tomber dans l’anti-religieux ?

C’est un enjeu de liberté important. Je veux bien ente ndre les crispations et les exaspérations de la société française, qui, par peur de l’islam, soyons clairs, peut entrer dans un discours et une attitude fondamentalement anti-religieuse. Il faut pouvoir répondre aux enjeux, aux défis et aux problèmes que pose parfois l’islam sans être dans un ton anti-islam. Et ensuite, il faut être extrêmement attentif à ce que, dans une mécanique sincère ou dans un prétexte laïciste, la France ne s’enferme pas dans une pratique anti-religieuse. Au bout du bout, c’est la liberté de culte qui peut être en cause. Je pense que bien plus qu’une doctrine, ce dont on a besoin c’est davantage de respect et de politesse. Le texte est tout entier dans l’idée que la laïcité est le seul élément d’émancipation. Il y a là une charge idéologique.


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