Gérer le fait religieux au travail : Les paroles et les actes

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L’Observatoire du fait religieux en entreprise (OFRE), qui publie annuellement un baromètre de l’expression religieuse au travail, montre que, si le phénomène est en stabilisation ces dernières années, et ce depuis 2013, la tendance globale reste orientée à la hausse. Plus de deux répondants sur trois (66,5 %) y sont confrontés de manière régulière ou occasionnelle. Également, les réalités constatées ne sont pas les mêmes selon les entreprises.

L’expression religieuse au travail regroupe les actes, comportements et attitudes liés à l’appartenance religieuse des salariés. Elle se traduit par exemple par des demandes d’absence pour observer des fêtes religieuses, le port d’un signe religieux, ou une demande d’aménagement des horaires. Il peut également s’agir d’un refus de travailler avec ou sous la direction de personnes d’un sexe différent du sien.


Fréquence du fait religieux dans les situations de travail.

Baromètre du fait religieux en entreprise 2020-2021

Juridiquement, les organisations privées peuvent restreindre l’expression religieuse au travail par la voie du règlement intérieur, et à condition que ces restrictions soient d’une part légitimées par la nature de la tâche et proportionnées au but recherché, et d’autre part, liées au bon fonctionnement de l’entreprise ou à l’intérêt commercial et l’image de l’entreprise.

Se positionner au sein de ces critères et définir les possibles en la matière, revient pour les organisations à se doter d’une « posture » face au fait religieux.

Les managers en première ligne

L’enjeu est ensuite d’en garantir le déploiement et l’application dans l’ensemble des services, unités, sites de l’organisation, ce qui n’est pas toujours simple dans le secteur privé. Pour les organisations publiques, la règle est par exemple plus claire : c’est la neutralité des agents publics et de ceux qui portent une mission de service public.

Dans un article récent publié dans la revue Employee Relations, nous avons ainsi démontré que le positionnement entre ce que disent et souhaitent faire les organisations que nous avons étudiées en matière d’expression religieuse au travail est parfois différent de ce qui est mis en pratique par les managers, et vécu par les équipes de travail.

Les situations sont en effet complexes, car elles invitent l’identité au travail et qu’elles sont parfois mal interprétées par l’ensemble des acteurs en présence (manager, collègue, salarié). Le sujet du fait religieux peut donc rapidement devenir sensible, en particulier dans le contexte sociétal actuel, et vu le retentissement de certaines affaires judiciaires passées.

Des travaux sur ce sujet montrent que, dans ce contexte, le rôle du manager est majeur dans le cadre de la mise en application des règles, et que ces managers adoptent des stratégies différenciées, très sensibles à la fois au contexte de l’entreprise et au manager lui-même. En outre, les entreprises sont minoritaires à se positionner clairement le sujet du fait religieux, par exemple en utilisant les outils prévus par le droit (moins de 30 % à en parler dans leur règlement intérieur par exemple, selon l’OFRE).

Appels à l’aide

Dans nos recherches récentes, nous avons étudié quatre organisations différentes, par le biais d’entretiens et de périodes d’observation. Parmi ces organisations : une collectivité territoriale (dans laquelle la loi impose aux agents la neutralité), une grande entreprise de service B2B, et deux PME, l’une qui fonctionne principalement au rythme d’une confession (entreprise affinitaire), et une autre, qui met en débat l’expression religieuse au travail.

Nous montrons ainsi qu’il existe deux types de postures.

Les premières sont les postures alignées, c’est-à-dire celles pour lesquelles les souhaits énoncés par le top management en matière de régulation de l’expression religieuse au travail sont effectivement constatés à l’opérationnel par les équipes, et à l’appui des managers. C’est le cas pour les deux PME. La vision portée par le dirigeant, souvent charismatique, est claire et acceptée des salariés. Elle est également connue et appliquée.

Les secondes sont les postures non alignées, c’est-à-dire celle où ce que la direction proclame n’est pas toujours concrètement mis en place sur les différents sites de l’entreprise. Elles concernent deux des quatre organisations, qui doivent notamment gérer spécifiquement la prière et le port de signes religieux. Dans ces entreprises, des différences de traitements sont constatées entre les sites, ou entre les services. C’est le cas par exemple pour une salariée dans la collectivité publique qui peut dans un service porter un foulard discret, et n’y est pas autorisée dans un autre.

D’abord, l’on remarque que certaines demandes sont plutôt bien appréhendées par les managers, et ne sont pas perçues comme transgressives. Il est par exemple généralement admis par les organisations et les managers que les salariés peuvent demander des aménagements horaires d’ordre religieux, comme en témoigne un répondant d’une des PME étudiées :

« Nous ne travaillons pas avec des chronomètres, nous ne travaillons pas avec des plannings : nous travaillons avec des objectifs, et ce qui compte, c’est qu’ils soient atteints. Tant que c’est planifié avec tout le monde, c’est tout à fait possible. »

D’autres pratiques sont quant à elles complètement bannies des organisations, et les managers et leurs équipes perçoivent également ces interdictions. C’est par exemple le cas, dans l’entreprise affinitaire étudiée, pour le refus de travailler avec des personnes de sexe opposé :

« Si demain on doit travailler en binôme et que l’un d’entre eux dit non, je ne travaille pas avec une femme, je lui dirai ‘eh bien, rentre chez toi si tu ne travailles pas avec une femme, monte ta boîte avec des gars’. »

Cela dit, plusieurs facteurs ont été identifiés dans ce manque d’alignement entre la posture organisationnelle et la posture managériale. Il semble que la prière ritualisée et le port de signes visibles (et particulièrement le voile) fassent l’objet d’un traitement spécifique des managers, et qu’ils soient moins souvent considérés par eux comme des pratiques religieuses « comme les autres ». Ils les conduisent plus largement à hésiter, et sur ces deux comportements, les managers attendent des éléments d’aide à la décision.


Le refus de travailler avec une femme est un comportement banni de toutes les organisations étudiées.

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En effet, sans règles officielles, claires, ou en l’absence de communication large de ces règles, les managers peuvent se trouver isolés, et construire leur propre positionnement, qui expose l’entreprise juridiquement et ne garantit pas le respect des droits des personnels. En effet, de nombreux managers indiquent ne pas savoir vraiment ce qui est souhaité par l’entreprise, voire percevoir des injonctions contradictoires. Par ailleurs, ils indiquent être en difficulté pour construire leur argumentaire face à ces comportements, ne sachant pas vraiment quels critères mobiliser, ni parfois quelle décision prendre.

Des leviers d’alignement envisageables

Des entreprises souffrent d’un écart entre ce qu’elles disent faire en matière de régulation de l’expression religieuse, et ce qui est parfois constaté. Cela s’explique notamment par l’isolement du manager opérationnel dans ce cadre. Une plus grande formalisation de la posture, par exemple en utilisant plus fréquemment des outils tels que le règlement intérieur ou encore des démarches de sensibilisation, apparaît nécessaire.

Par ailleurs, si le recours à la sensibilisation et la formation tend à augmenter, il reste souvent réalisé sur un nombre de collaborateurs trop restreint, et ne touche pas toutes les populations et s’attardant notamment sur les cadres.

De même, cette recherche montre que les personnels qui travaillent au siège semblent mieux informés que ceux répartis sur les différents sites, dans la grande entreprise de service. Il faudra donc être attentif à d’éventuelles inégalités de répartition des crédits communication et formation, pour ne pas renforcer ces inégalités.

La sensibilisation évoquée pourra concerner la déconstruction des stéréotypes liés à certaines pratiques religieuses ou certaines religions, et devra aussi concerner la mise en mouvement et en pratique de la posture organisationnelle telle que définie par la direction de l’entreprise. Aussi, si la formation est une condition nécessaire, le positionnement de l’entreprise sur la base des critères prévus par la loi s’avère quant à lui être un préalable.

Hugo Gaillard, Maître de conférences en Sciences de gestion, Le Mans Université

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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