La semaine dernière, une cinquantaine d’artistes françaises, dont Juliette Binoche, Isabelle Adjani et Isabelle Huppert, se sont coupé les cheveux – geste traditionnel iranien de deuil – par solidarité avec les manifestations des femmes contre le régime de Téhéran et Ali Khamenei, leader suprême depuis 1989. Ayant pour mot d’ordre « femme, vie, liberté », les protestations qui ont suivi la mort d’une jeune Kurde iranienne de 22 ans, Mahsa Amini, détenue par la « police des mœurs » pour port non-conforme du hijab, entament déjà leur 4ème semaine. Cependant, quelles sont les chances réelles d’un véritable changement en Iran 43 ans après la révolution de 1979, la prise du pouvoir par les ayatollahs et l’instauration d’une République islamique ? La contestation actuelle conduira-t-elle à la nouvelle révolution espérée par beaucoup, ou à l’extinction de toute opposition par les forces de l’ordre comme en 2009 (lors des protestations contre la réélection frauduleuse du président Ahmedinajad) et en 2019 ?
Le régime a nié toute responsabilité pour la mort de Mahsa Amini à Téhéran le 16 septembre, évoquant un problème de santé sous-jacent, mais depuis, selon Iran Human Rights, on compte 185 personnes tuées par le régime en lien avec les manifestations, dont au moins 3 autres jeunes filles, Hadis Najafi, Nika Shakarami et Sarina Esmailzadeh. Hadis Najafi a été tuée par balles à Karaj le 21 septembre ; officiellement, les autorités ont déclaré que Nika Shakarami et Sarina Esmailzadeh se sont suicidées, mais des organisations de défense des droits humains, dont Amnesty International, ont affirmé qu’elles sont décédées après avoir été battues par la police. Nika Shakarami avait disparu après avoir été filmée en train de brûler son hijab lors d’une manifestation dans la capitale le 20 septembre. Sa tante et son oncle ont d’abord dit à la BBC qu’elle avait été détenue par les Gardiens de la Révolution pendant 5 jours avant sa mort ; s’ils ont par la suite soutenu le récit officiel des faits, tout indique que ce revirement a été le fruit de menaces de mort. Un certificat de décès également obtenu par la BBC a par ailleurs affirmé que la jeune fille a succombé à « de multiples blessures causées par des coups avec un objet dur ». Même constat des associations de droits humains par rapport à Sarina Esmailzadeh, déjà connue pour ses vidéos protestataires sur YouTube, dont la famille a également subi des pressions après sa mort.
La mobilisation des femmes contre le port obligatoire du hijab n’est pas nouvelle, ayant accompagné la République Islamique dès le début : le 8 mars 1979, des dizaines de milliers d’iraniennes avaient protesté à Téhéran contre l’imposition du voile annoncée la veille par l’Ayatollah Khomeini. Bataille perdue, le hijab devenant obligatoire en avril 1983, mais des sondages effectués par le groupe GAAMAN entre 2019 et 2022 montrent que tous les secteurs de la société iranienne, hommes et femmes confondus, y sont majoritairement opposés. En plus, les commentateurs soulignent qu’un changement sociétal serait en train de se produire en Iran grâce aux « Zoomers » ou « Génération Z » nés après 2000, très présents dans les protestations actuelles. Bien connectés par internet au monde extérieur (et à la diaspora iranienne), capables de s’organiser en utilisant les réseaux sociaux et moins craintifs que leurs parents, on estime que ces 6 millions d’Iraniens pourraient changer la donne politique dans le pays, même s’ils ne représentent que 7% de la société.
Si ces facteurs suggèrent que la résistance au gouvernement pourrait se transformer à la longue en soulèvement national, son succès est pourtant loin d’être garanti dans l’immédiat. Il n’existe aucun contre-pouvoir officiel en Iran, toute opposition politique ayant été écrasée par le régime, qui ne montre pour l’instant aucun signe de faiblesse. On n’observe pas de dissension non plus au sein des forces de sécurité, dont le comportement sera déterminant dans les mois à venir. On estime que les mollahs sont déterminés à ne pas répéter ce qu’ils considèrent comme l’erreur fatale du Shah, qui avait tenté de calmer les troubles de 1978 en offrant des concessions, disant lors d’un discours télévisé le 6 novembre qu’il avait « entendu la voix de la révolution ». Depuis l’arrivée au pouvoir en 2021 du président ultra-conservateur Ebrahim Raïssi – parfois appelé le « boucher de Téhéran » pour son rôle dans la répression de la dissidence en 1988, tout assouplissement semble exclu. Pour l’instant, la voie préconisée par le régime est plutôt celle de la répression, alliant paradoxalement obscurantisme et les dernières innovations technologiques. L’Iran collabore notamment avec des sociétés chinoises tels que Huawei pour développer les moyens de surveillance (reconnaissance faciale et autres) pour faciliter l’identification des dissidents et pour contrôler l’internet. Quant au leader suprême Ali Khamenei, il est sorti de son silence suite à la mort de Mahsa Amini pour dénoncer l’ingérence des ennemis éternels de la Révolution : les États-Unis et Isräel.
Peter Bannister
Source : Madame Figaro
Cet article est publié à partir de La Sélection du Jour.