Face aux dérives sectaires, les évangéliques entre responsabilité et appel à la nuance

Face aux dérives sectaires, les évangéliques entre responsabilité et appel à la nuance

Le rapport 2022–2024 de la Miviludes, publié hier, révèle une hausse inédite des signalements liés aux dérives sectaires et mentionne plusieurs Églises évangéliques. Face à ce constat, le Conseil national des évangéliques de France affirme sa détermination à lutter contre toute forme d’emprise ou d’abus, tout en appelant à distinguer clairement les dérives répréhensibles des pratiques religieuses légitimes, protégées par la liberté de conscience.

La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) a publié, ce 8 avril, son rapport d’activité couvrant la période 2022-2024. Celui-ci signale une nette augmentation des saisines, avec 4 571 signalements en 2024, soit le double de ceux enregistrés en 2015. Parmi ces signalements, 35 % concernent des pratiques liées aux cultes et spiritualités, ce qui place les phénomènes religieux à un niveau d’attention inédit depuis plusieurs années.

Les Églises évangéliques notamment apparaissent comme un champ d’alerte croissant, particulièrement en région parisienne et dans les territoires d’outre-mer. Le rapport indique toutefois que 81 % des signalements visant des églises évangéliques concernent des communautés non affiliées à la Fédération protestante de France (FPF) ou au Conseil national des évangéliques de France (CNEF). Seuls 17 % concernent des églises affiliées au CNEF et 2 % à la FPF. Cette majorité de cas dans des églises non fédérées alerte sur l’absence de cadre structurant dans certains réseaux religieux en marge des institutions représentatives.

"Contraires aux libertés fondamentales"

Face à cette médiatisation et à la sensibilité du sujet, le CNEF a réagi dès la publication du rapport. Dans un communiqué, l’organisation, qui regroupe une large part du protestantisme évangélique français, affirme sa pleine implication dans la lutte contre les abus de faiblesse et les formes d’emprise contraires aux libertés fondamentales. Elle rappelle son engagement en lien avec la Miviludes, notamment à travers son service "Stop abus", consacré à la prévention des violences sexuelles dans les Églises.

"Engagés dans la lutte contre les dérives sectaires, nous nous situons au côté de la Miviludes pour dénoncer toute situation où des personnes pourraient être victimes d’abus de faiblesse ou de sujétion psychologique ou physique. Ensemble, nous voulons lutter contre tous comportements contraires aux libertés fondamentales et au respect de la dignité humaine. Ils sont, pour nous, contraires à l’Évangile du Christ."

Risque de stigmatisation

Le CNEF alerte également sur le risque de glissement vers une perception stigmatisante des évangéliques dans leur ensemble. Il souligne que certaines pratiques mentionnées comme suspectes dans le débat public – telles que la prière, l’appel à l’engagement personnel ou la liberté de donner – relèvent, lorsqu’elles sont librement consenties, de l’exercice légitime de la foi chrétienne.

"Nous attirons l’attention sur le risque de stigmatisation que pourraient engendrer certains discours tenus vis-à-vis des évangéliques. Des pratiques telles que la prière, l’appel à l’engagement personnel, ou encore la liberté de donner, lorsqu’elles sont vécues librement par le croyant, relèvent de l’exercice normal de la foi chrétienne et sont pleinement protégées par la liberté de pensée, de conscience et de religion. Nous considérons d’ailleurs qu’ils constituent des apports positifs à la société."

Loin de minimiser les risques, le CNEF insiste sur la nécessité d’un dialogue avec les Églises plus isolées ou peu structurées, afin de les encourager à adopter de bonnes pratiques et à se fédérer. Il réaffirme son soutien aux efforts de l’État pour identifier et sanctionner les abus, tout en plaidant pour une approche équilibrée, respectueuse de la liberté de conscience.

Choc culturel ?

Le rapport de la Miviludes mentionne de nombreuses saisines ciblant deux Églises évangéliques en particulier, toutes deux de culture africaine. Ces communautés ne sont pas membres du CNEF mais elles appartiennent à des unions d’Églises affiliées à la FPF. Dans les colonnes du journal La Croix, Christian Krieger, président de la Fédération protestante de France, apporte un éclairage interculturel à ces situations.

"Ces deux megachurchs touchent au choc culturel entre la culture africaine et la culture française. Ceux qui connaissent la culture chrétienne africaine savent que les pasteurs peuvent avoir une posture plus directive, et cela peut parfois mener, dans certains cas, à une forme d’emprise ou de pression, y compris morale. Le travail sur l’intégration et l’adaptation aux lois de la République est un gros enjeu pour nous."

Ces propos du président de la FPF invitent à prendre en compte les dimensions culturelles qui traversent aujourd’hui certaines Églises évangéliques en France. Ils appellent aussi à une vigilance contextualisée, afin d’éviter que la diversité des formes religieuses ne devienne suspecte en soi.

Le rapport de la Miviludes, tout en mettant en garde contre des pratiques pouvant relever du pénal – notamment lorsqu’elles touchent à la sujétion psychologique, à l’abandon de soins ou à la manipulation financière – insiste sur la distinction entre croyances et abus. Dans son éditorial, François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre de l’Intérieur, le rappelle explicitement :

"En France, notre droit protège et place la liberté de pensée et la liberté de culte au plus haut niveau de la hiérarchie des normes. Ce faisant, il prévient et réprime non pas les sectes, ni les croyances elles-mêmes, mais les dérives qu’elles peuvent engendrer pour l’individu et pour la société."

À l’heure où la société française s’interroge sur la place du religieux et sur les limites de l’intervention publique dans la sphère spirituelle, l’équilibre entre protection des personnes vulnérables et respect des libertés fondamentales apparaît plus crucial que jamais. C’est à ce point d’équilibre que s’adresse aujourd’hui l’appel à la nuance formulé par les représentants évangéliques et protestants.

Camille Wetsphal Perrier

Crédit image : Shutterstock / Malcolm McLoughlin

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