Face aux accusations, Jonathan Peterschmitt publie un manifeste « De la responsabilité en contexte pandémique »
« Certes, il est commode d’attirer l’attention sur des responsables fantasmés, mais ne serait il pas plus courageux de répondre aux questions ? »
Jonathan Peterschmitt, médecin vient de publier un manifeste intitulé De la responsabilité en contexte pandémique, afin de répondre aux accusations nombreuses et récurrentes prononcées à l’encontre de l’église mulhousienne et du rassemblement qui s’y est tenu du 17 au 21 février dernier.
Nous vous proposons de lire ci-dessous, dans son intégralité, le manifeste de celui qui se présente comme médecin généraliste exerçant à Ammertzwiller,
médecine de premier recours, citoyen Français, habitant en Alsace, et membre de l’église la Porte Ouverte Chrétienne.
Historique succinct :
Le détail de l’historique du déroulé des événements et des décisions prises est disponible.
Le dimanche premier mars 2020, j’apprends au cours d’une conversation informelle qu’un cas de Coronavirose a été mis en évidence le 29 février (la veille) chez une patiente membre de notre assemblée, malade depuis le 14 février 2020 et n’ayant pas fréquenté le rassemblement organisé par notre église du 17 au 21 février 2020.
Cette nouvelle m’a beaucoup interpellé puisque je constatais depuis plusieurs jours des cas de syndromes grippaux plus ou moins marqués et nombreux.
Deux de mes filles ont, par exemple, présenté ces symptômes la semaine du 10 février 2020.
C’est en ayant la confirmation le soir même de ce premier cas ainsi que la positivité des deux enfants de cette personne que j’ai spontanément décidé de
déclarer un doute auprès de l’agence régionale de santé (ARS).
Aucune recommandation n’était alors en vigueur quand à une possible chaine de transmission du coronavirus dans notre secteur.
De cette déclaration a découlé mon dépistage avéré positif le 2 mars puis un dépistage élargit des cas contact révélant que la contagion était déjà très large.
Nous avions plusieurs semaines de retard, nous étions le 3 mars 2020.
Réactions officielles et persistance rétinienne :
Pour avoir collaboré avec l’ARS ainsi que mes confrères infectiologues du CHU de Strasbourg, dont je salue le travail, je peux dire que dès l’alerte donnée nous avons pu avancer au mieux de nos moyens pour relayer cette information et prévenir de la réalité des événements.
Malheureusement le discours de plusieurs personnalités en responsabilité a régulièrement glissé vers une mise en avant d’un groupe de personne (la
communauté protestante évangélique), d’une ville (Mulhouse), voire d’une région (le Grand Est).
Les termes de « bombe atomique », « point de bascule », « non prise en compte des mesures de base » et d’autres, pourrait n’être que de possibles maladresses
dialectiques, mais leur répétitivité étonne.
À l’évidence le territoire Alsacien a été parmi les premier à subir les premières affres de cette pandémie, sa situation géographique faisant des trois frontières une des portes d’entrées principales de l’Europe continentale.
Mais doit on parler de point de bascule ou de seuil d’alerte ?
Et pourquoi s’acharner à ramener un événement visiblement d’ampleur mondiale à une rencontre, une ville, une région ?...
Un article paru le 13 avril 2020 accentue la pression titrant : « Épidémie: le rassemblement évangélique de Mulhouse a tout fait basculer ».
On y trouve la référence d’une « modélisation statistique et sanitaire » mettant en évidence que « sans le rassemblement évangélique [...] la France serait au même niveau que l’Allemagne en terme de contamination » (j’y reviendrais).
Cette accusation (appelons un chat un chat), est reprise par le Pr Jean-Francois Delfraissy président du conseil scientifique conseillant le président Emmanuel Macron lors de son audition au sénat le 15 avril 2020.
En cherchant à avoir accès à ladite modélisation me rendant, de fait, pour partie responsable du malheur de mes contemporains, je n’ai trouvé ni référence dans l’article sus-cité ni même le nom de l’auteur de cet écrit lapidaire.
Je me suis renseigné auprès du journal en question mais la seule source retrouvée est le bureau parisien du journal sur une information émanant du secrétariat présidentiel.
Difficile en tant que cible explicite de se contenter de grandiloquentes déclarations impossibles à vérifier.
Mais je pose la question, cette modélisation est elle de la même nature que celles sur lesquelles se sont appuyés les décideurs pour anticiper la pandémie en cours, pour préparer les population et les soignants à la crise à venir?
Si tel est le cas, j’ose remettre en doute sa pertinence au vu de la « surprise » qu’a représenté le début de l’épidémie en France.
Les résultats, recherchés ou non sont les suivants :
- Mise à l’index d’une communauté en cherchant à lui faire porter un chapeau trop grand pour elle. Comme si les marins du Charles-de-Gaulle étaient tenus responsables de la dissémination du virus sur leur parcours... cela n’aurait aucun sens et serait injuste : ils en sont victimes !
- Mise à l’index d’une ville. Mulhouse est dynamique, étoffe sa culture, s’embellit fait des efforts ... mais aujourd’hui est désignée comme « un cluster ».
- Mise à l’index d’une région, d’une entité culturelle (Alsacien synonyme d’infection?).
Peut être une autre démarche ?
- Attirer l’attention sur un point pour la détourner d’un autre ? Donner une réponse pré-mâchée, la rabâcher, pour en faire une évidence, une certitude et
éviter d’autres interrogations ? En gardant longtemps la lumière crue sur un point, l’observateur sera suffisamment ébloui et ne verra rien d’autre tout en fixant l’image sur sa rétine.
Des questions :
Aujourd’hui, la solidarité nécessaire à la gestion de la crise actuelle ne nous impose pas un silence béat face à des déclarations injustes.
Ces déclarations ont un impact concret sur les citoyens visés, qui n’appartiennent pas à un sous groupe dénué de droit.
Droit à défendre leur réputation, droit de réponse, droit de ne pas être désignés en place publique par ceux-la même supposés les défendre.
• En tant que participant à la rencontre du 17 au 21 février dernier organisée par mon église, je demande pourquoi suis-je doublement atteint ? Atteint physiquement et dans mon entourage, par la maladie et la mort sans avoir une chance de me préparer.
Atteint dans mon intégrité morale étant comme beaucoup d’autres désigné « responsable involontaire » qui fait lourdement écho à l’accusation d’ « homicide involontaire ».
Quid des autres rassemblements ayant eu lieu à cette époque si le virus circulait déjà ?
• En tant que citoyen Alsacien, je demande pourquoi n’ai-je pas été prévenu, rendu attentif à la menace qui pesait sur moi et mes proches ? Quel maillon du système d’alerte n’a pas fonctionné face à ce virus déjà décrit à l’étranger ?
• En tant que médecin de premier recours, je demande pourquoi n’ai je pas eu les moyens de détecter la maladie avant son arrivée?
Alors que entre la mi-janvier et la mi février des cas de virose et pneumopathies
atypique qui ne donnerait aujourd’hui aucun doute clinique, circulaient dans la
région.
Alors qu’une épidémie « grippale » inhabituelle circulait dans les milieux scolaires du secteur augmentant l’absentéisme de manière très nette.
Pourquoi n’ai-je pas été préparé, alerté et équipé pour protéger mes patients comme l’exige ma profession?
Pourquoi ensuite un tel manque de moyen pour gérer une crise de très grande ampleur rendue évidente par le témoignage de quelques-uns ?
À la comparaison avec notre voisine immédiate, l’Allemagne, suggérant que sans le foyer Mulhousien nous serions au même niveau de contamination je demande naïvement :
N’est ce pas en réalité l’état déplorable de notre système de soins qui explique la différence ?
Différence que je souhaite préciser puisqu’alors que j’écris ces lignes le nombre de cas déclarés en Allemagne est de 143 724 cas et en France de 152 978 cas, mais le nombre de décès lui est de 4 538 pour l’Allemagne et de 19 349 pour la France (Source: John Hopkins University & Medicine, Coronavirus Ressource Center ).
Nous avons sensiblement le même niveau de contamination mais une mortalité 4 fois plus élevée.
La différence se trouve peut être, au moins en partie, dans la différence de prise en charge des malades.
La médecine de terrain est sinistrée, j’exerce dans un désert médical selon les critères de l’ARS et pourtant je ne suis qu’à 15 minutes de Mulhouse (agglomération comptant 277 584 habitants).
L’hôpital de Mulhouse, ses urgences en particulier sont à genoux depuis plusieurs mois et c’est sur ce terrain particulier que survient la première vague épidémique.
Les hôpitaux périphériques (Thann, Altkirch) sont fortement affaiblis et leur capacité de prise en charge très diminuées.
Nous sommes en train de payer, en vie humaines, la virulence de ce coronavirus, mais aussi et surtout la facture de 30 années de démantèlement sanitaire local et national bien ancré dans la philosophie politique et administrative.
Certes, il est commode d’attirer l’attention sur des responsables fantasmés, mais ne serait il pas plus courageux de répondre aux questions sus citées ? Plus juste ?
Depuis combien d’années les soignants souvent en grève sont vus d’un air narquois, ces derniers n’étant pas en mesure de cesser leur activité ?
Mon objectif n’est pas de mettre la responsabilité de cette maladie sur les décideurs. On ne peut leur demander d’avoir compris avant les autres un virus
inconnu de tous.
Mais nous pouvons exiger que notre intégrité en tant qu’individus, en tant que communauté et en tant que citoyens soit respectée par tous et d’abord par ceux qui nous gouvernent.
Le temps du bilan viendra, le dysfonctionnement du système sanitaire devra être pris au sérieux comme jamais auparavant, les promesses ne devront pas
être oubliées.
Espoir pour demain:
- Que la réalité de l’épidémie avant pendant et après le rassemblement de la Porte Ouverte Chrétienne de Mulhouse soit mise en lumière.
- Que nous, Mulhousiens, Alsaciens, ne soyons pas assimilés à la maladie ; Notre territoire a déjà assez souffert de discrimination nationale dans son histoire.
- Que nous, soignants, ayons demain les moyens de faire sereinement et efficacement le travail pour lequel nous sommes applaudis actuellement.
Merci d’avoir lu mon point de vue,
Je vous le partage pour que le monopole de la parole ne soit pas laissé à ceux qui de loin condamnent sans avoir été présents lors de ces événements.
Dr. Jonathan Peterschmitt
La Rédaction