« Les jeunes qui suivent mes cours savent à peine dire qui sont Adam et Ève », reconnaît Dawid Gospodarek, journaliste pour l’Agence de presse catholique, qui assure des leçons d’éthique et de culture religieuse dans un lycée varsovien.
Le constat semble paradoxal pour l’un des pays les plus catholiques d’Europe: 84% des Polonais se déclarent catholiques, 42% pratiquants, selon les dernières estimations de l’institut de sondages CBOS.
Ces chiffres couvrent toutefois un mouvement de sécularisation rampant, particulièrement net chez les jeunes.
Entre 1992 et 2021, la proportion de pratiquants chez les 18-24 ans est passée de 69 à 23%, selon le CBOS.
« L’Église polonaise a joué un rôle crucial dans l’émancipation vis-à-vis du régime communiste dans les années 1980. Elle en garde une posture de supériorité, et une structure gelée qui refuse la modernisation », indique Stanislaw Obirek, ancien jésuite, théologien et anthropologue à l’université de Varsovie.
« Les Polonais qui ont grandi dans une société ouverte ne s’y reconnaissent plus », estime-t-il.
Les jeunes tournent massivement le dos à une institution dite « en crise », entachée par la révélation de scandales sexuels en cascade, et par des interdépendances avec le pouvoir politique que d’aucuns qualifient de toxiques.
Symptôme de cette tendance: l’ancien pape Jean-Paul II, autorité tutélaire du catholicisme polonais dont les monuments fourmillent dans l’espace public, est l’objet d’innombrables memes corrosifs.
Le nombre 2137, qui renvoie à l’heure du décès du pontife en 2005, est devenu, sur les réseaux sociaux, le code d’une ironie latente sur le matraquage mémoriel relatif à sa figure.
Moqueries et memes
Pour les jeunes pratiquants, afficher sa foi n’est plus la norme.
« Il m’est impossible de parler religion avec mes amis, car ils se moquent de moi, trouvent cela « ringard », soupire Weronika Grabowska.
Cette étudiante en économie de 25 ans n’a trouvé son épanouissement spirituel qu’à l’âge adulte, dans la communauté œcuménique du Taizé et parmi les Dominicains de Varsovie, réputés plus ouverts.
Elle se souvient, du reste, des messes « spirituellement vides » de son adolescence, et des discours déphasés, verticalement assénés par les clercs.
« Si un prêtre me reprochait de vivre avec mon partenaire sans être mariée, je serais attristée. Puis j’irais voir ailleurs », explique Mme Grabowska.
La sexualité et les droits reproductifs sous-tendent pour grande partie les tensions entre Église et société.
Connexes à celles-ci, les problématiques LGBTQI+ constituent un sujet émergeant.
« Dans les années 1990, l’homosexualité était prise pour une pure invention de l’Occident décadent », raconte Robert Samborski, ancien séminariste, dirigé à 18 ans vers la prêtrise « par défaut, comme on dirigeait les jeunes hommes qui ne s’intéressent pas aux femmes ».
« Les personnes LGBTQI+ sont plus visibles depuis quelques années, ce qui a rendu les discours homophobes de l’Église inaudibles » avance celui qui a depuis perdu la foi, et « rencontré l’Amour non avec Jésus, mais dans les bras d’un homme ».
R. Samborski à l’instar de nombreux commentateurs, prédit l’écroulement de l’institution.
Lutte et pessismisme
Certains groupements de croyants entendent néanmoins œuvrer à l’évolution du catholicisme polonais.
Parmi ceux-ci, le Congrès des catholiques prône une approche libérale de la religion, et conteste l’hégémonie cléricale en Pologne.
Les réflexions de ses membres s’alignent plus volontiers sur les postures d’ouvertures amorcées sous le pontificat du pape François.
Certains regardent vers les catholiques allemands progressistes, dernièrement remarqués pour leurs coups d’éclats rebelles: prêches de femmes ou bénédictions de couples homosexuels.
« J’aimerais que l’Église catholique allemande m’adopte », plaisante Uschi Pawlik, catholique bisexuelle, active au sein de la fondation La foi et l’Arc-en-ciel.
Comme beaucoup, elle se déclare « peu optimiste » quant à l’avenir du catholicisme polonais et sa capacité à se réformer.
Force du message clair
Tous les jeunes croyants ne s’assimilent pas forcément au progressisme. Certains s’attachent au contraire à une vision du monde invéterée, et voient en la Pologne l’ultime bastion du catholicisme.
Piotr Ulrich, organiste de 22 ans, est adepte de la liturgie tridentine, pratiquée dans quelques rares paroisses varsoviennes : la messe y est dispensée en latin, prêtre dos à l’assemblée.
La condamnation des relations hors-mariage, de l’homosexualité, de l’avortement et de la fécondation in vitro n’y font aucun débat.
Le jeune organiste doute du « rôle messianique de la Pologne pour la chrétienté », mais déclare fermement que « la force de l’Église doit résider dans la diffusion d’un message clair, pas dans la dilution de son identité ».
Nell Saignes (avec AFP)