La loi dépénalisant l’euthanasie en Belgique a été votée en mai 2002. Cette loi avait vocation de créer un cadre permettant à un patient de formuler une demande d’euthanasie et à un médecin d’y accéder sous certaines conditions, sans que le médecin ne soit en position de commettre une infraction pénale.
Depuis que la Belgique a franchi cette étape, le débat sur la légalisation de l’euthanasie s’est installé en France et ailleurs en Europe. Il est même devenu en Espagne, un thème de campagne. Pourtant, fort des 17 années de recul sur les pratiques belges, de nombreux praticiens tirent la sonnette d’alarme.
Le collectif belge Euthanasie Stop, constitué de 43 personnes dont 35 docteurs et professeurs en médecine, un avocat, un magistrat honoraire, un éthicien en soins palliatifs, un rabbin, un imam et un chanoine, a décidé d’informer et de questionner.
« Ce site web se présente comme un espace d’expression publique, ouvert à tous ceux qui souhaitent faire entendre une voix discordante. »
Parmi eux, le médecin oncologue de l’Hopital Universitaire de Louvain est en première ligne sur ce débat bioéthique. Dans son ouvrage Euthanasie et Suicide Assisté, les leçons de la Belgique, un panel international d’experts examine les implications de l’euthanasie légalisée et de l’aide au suicide. Ces experts analysent de manière approfondie les données belges et questionnent « l’une des questions éthiques les plus difficiles de notre époque, en faisant appel au droit, à la philosophie et aux disciplines médicales ».
En France, le débat est tranché entre les médecins. Si en 2013, une enquête IPSOS révélait que 60 % des médecins interrogés se déclaraient globalement favorables à l’euthanasie dite « active » (laquelle suppose le geste d’un tiers qui administre à un mourant une substance létale ou la lui fournit), de nombreux n’y sont pas favorables.
Jean Leonetti, auteur de la loi de 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, et coauteur de celle de 2016, s’exprimait très clairement sur ses craintes à l’égard d’une légalisation de l’euthanasie en France, pour Le Parisien.
« Je continue à défendre l’idée que donner la mort à une personne, même à sa demande, constitue une franche rupture de fraternité et de solidarité. Ce n’est pas parce que les gens le demandent que l’on doit obligatoirement répondre à leurs attentes. »
En 2018, les médecins d’Unité et d’Équipe mobile de soins palliatifs du département du Nord témoignaient de « l’intentionnalité de leur mission », qui « n’est jamais d’abréger la vie mais de soulager les symptômes ». Il s’exprimait alors en ces termes sur Le Figaro Santé.
« En dernier recours, si nous n’avons pas réussi à soulager le patient par des moyens habituels, nous pouvons mettre en place une sédation pour que celui-ci ne soit plus conscient de la situation qui lui cause un inconfort… Cela reste exceptionnel. L’intentionnalité de nos soins n’est jamais d’abréger la vie mais de soulager les symptômes. Ce ne sont pas les thérapeutiques initiées ou arrêtées, mais l’évolution de la maladie sous-jacente qui cause le décès ; celui-ci étant inéluctable à plus ou moins court terme. Puisque son intention est d’entraîner, de façon directe et intentionnelle la mort d’un patient, l’euthanasie va donc à l’encontre de notre culture palliative, de nos pratiques. »
« L’euthanasie va à l’encontre de notre culture palliative, de nos pratiques »Un message qui ne pourrait être plus clair signé par l’ensemble des praticiens de cette unité. Les médecins attestent qu’au vu de leur expérience quotidienne dans une unité de soins palliatifs, l’accompagnement qu’ils prodiguent au patient mais aussi à leurs familles « permet un travail de deuil, des échanges, des moments de joie et de partage, qui n’auraient pas été possibles autrement ».
« Les soins palliatifs respectent la vie et considèrent la mort comme un processus naturel. La singularité du vécu des patients dans cette situation et leurs souhaits y sont profondément respectés. »
Selon eux, le débat sur la fin de vie devrait plutôt porter sur « le droit des patients à la non-obstination déraisonnable, au soulagement des symptômes d’inconfort et à l’accès aux soins palliatifs ».
En Belgique, les débats se positionnent quant à eux déjà bien au-delà de ces considérations. La loi ayant donc été votée il y a de nombreuses années, plusieurs cas d’abus ont émergé dans les médias.
À la fin de l’année 2018, pour la première fois la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Gand a décidé d’envoyer en Cour d’Assises trois médecins accusés de ne pas avoir respecté les conditions légales d’une euthanasie.
Une première historique comme le précise la présidente de l’Association belge pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD).
« Il y a déjà eu des informations judiciaires visant des médecins mais elles ont toujours abouti à des classements sans suite. »
Euthanasiée alors qu’elle avait peu exprimé son désir de mourirDans cette affaire la plainte a été déposée par la soeur de la patiente, euthanasiée alors qu’elle avait peu exprimé son désir de mourir, et n’était plus sous traitement depuis des années pour ses souffrances psychiques. Le diagnostic d’autisme n’était par ailleurs posé que depuis deux mois. Les médecins seront jugés pour « empoisonnement ».
Selon le psychiatre, elle ne satisfaisait pas aux exigences de la loi belge sur l’euthanasie Un autre cas sera prochainement examiné par la Cour Européenne des droits de l’Homme. Tom Mortier a en effet décidé de faire connaître l’histoire de sa maman dépressive depuis 20 ans. Hospitalisée en 2012 dans le cadre de sa dépression, les médecins ont procédé à une injection mortelle, parce qu’elle souffrait d’une « dépression incurable ». Le coup de téléphone informant Tom de la nouvelle avait été dévastateur. Selon le psychiatre traitant la mère de Tom depuis plus de 20 ans, elle était en bonne santé physique et ne satisfaisait pas aux exigences de la loi belge sur l’euthanasie.
En juillet 2018, ce sont les histoires de 3 enfants vivants sous la protection de leurs parents et atteints d’un cancer, euthanasiés à l’hôpital, qui avaient profondément choqué l’opinion. Lord Carlile, co-président de Living and Dying Well, un groupe parlementaire opposé à l’euthanasie, s’était dit « profondément choqué » à la fois par la mort des enfants et par le nombre croissant d’affaires d’euthanasie.
« L’euthanasie de ces enfants est clairement en contradiction avec la Convention européenne des droits de l’homme. »
Il déclarait alors que le gouvernement belge était « beaucoup trop détendu » au sujet de l’euthanasie, et que cela « ne garantissait pas les contrôles appropriés et le maintien des normes ».
Dans certaines unités de soins palliatifs belges, des infirmières et travailleurs sociaux spécialisés dans le traitement des personnes en fin de vie, ont quitté ces unités « déçus de ne plus pouvoir offrir des soins palliatifs à leurs patients ». Le professeur Beuselinck estime que les unités de soins palliatifs sont en train de devenir des « maisons d’euthanasie, ce qui est le contraire de ce qu’elles étaient supposées être ».
En France, la loi protège encore les patients d’abus. On se souvient de l’emblématique cas du docteur Bonnemaison, radié définitivement de l’ordre des médecins en 2015 et condamné à deux ans de prison avec sursis, pour avoir pratiqué une injection mortelle sur une patiente. Il n’a toutefois pas été condamné pour plusieurs autres cas suspects par manque de preuves.
Une loi qui ne protège pas le plus faible peut-elle être juste ?En Belgique, de nouvelles propositions de loi qui viseraient désormais à étendre la loi aux mineurs et aux « personnes démentes » sont à l’étude au Parlement. Une tribune proposée par le groupe Grain de Sel du collège des médecins de la Sociéte Française d’Accompagnement et de soins palliatifs, questionnait à la fin de l’année 2018 dans une tribune du Figaro, « une loi qui ne protège pas le plus faible peut-elle être juste ? ».
« Nous, professionnels, sommes témoins des belles choses qui peuvent se vivre dans les derniers moments, même s’ils sont difficiles. »
H.L.