États-Unis : Une cour admet les prières quasi exclusivement chrétiennes dans un conseil de comté

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Un cour d’appel fédérale américaine en Virginie a jugé le 19 septembre dernier que les membres de la commission du comté de Rowan, en Caroline du Nord, sont autorisés à débuter leurs réunions par des prières quasi exclusivement chrétiennes tant qu’ils respectent les croyances des autres. L’Union américaine pour les libertés civiles (ACLU), dont l’un des objectifs est d’empêcher les autorités d’interférer avec les convictions religieuses des citoyens, avait porté l’affaire devant les tribunaux.

En mars 2013, l’ACLU et sa section locale, la Fondation juridique de Caroline du Nord (NCLF), avaient saisi les tribunaux contre la pratique de la commission du comté de Rowan au motif qu’en cinq ans et demi, 97% des plus de 140 prières introduisant les réunions ne mentionnaient aucune autre religion que le christianisme. Les cinq membres de la commission invitaient les personnes assistant aux audiences à prendre part à ces temps spirituels.

L’ACLU reprochait aux prières d’affirmer que « la seule voie du salut est Jésus-Christ », ou de remercier le Seigneur pour la « naissance virginale » ainsi que « la croix sur le Mont du Calvaire » et « la résurrection ». L’un des trois plaignants, Nan Lund, un résident de Salisbury déclarait vouloir « que les autorités locales soient ouvertes et accueillent les gens de toutes croyances » et qu’il se sentait « exclu et non le bienvenu ».

En juillet de la même année, le juge fédéral James A. Beaty Jr ordonna aux défendeurs, via une injonction préliminaire, de cesser leurs prières, alors que l’affaire était en cours d’examen. Montag Siegel, résidente du comté et plaignante, déclara au Salisbury Post être ravie que la justice signifiât ainsi que la loi s’appliquait à tous : « C’était ce que nous demandions, que tous se sentent égaux et que nul ne se sente laissé de côté quand il assiste à ces réunions. » Deux ans plus tard, le juge Beaty déclara que les prières étaient inconstitutionnelles dès lors qu’elles étaient principalement chrétiennes.

« Il s’agit d’une pratique qui ne parvient pas à être non discriminatoire, qui enchevêtre les autorités publiques et la religion, et qui au fil du temps établit un type de prière tendant à faire avancer la foi chrétienne des commissaires au détriment des appartenances religieuses minoritaires », écrivit le magistrat. Un panel de trois juges d’une Cour d’appel fédérale vient donc d’infirmer sa décision, mais sans se prononcer à l’unanimité, l’un des magistrats présentant une opinion dissidente. Une division qui rappelle combien la question du rapport entre autorités publiques et religion est débattue aux États-Unis, pays dont le Premier amendement interdit au Congrès de se mêler des croyances spirituelles.

Une décision contestée au sein d’un débat juridique inachevé

En statuant définitivement en 2015, le juge Beaty se référa à un arrêt de la Cour suprême fédérale, l’arrêt Town of Greece v. Galloway de mai 2014 décidant que les prières étaient autorisées s’il n’y avait aucune préférence pour une religion. En l’espèce, la ville de Greece, dans l’État de New York, ouvrait ses réunions de prière à toutes les confessions. L’interprétation du juge Beaty était correcte, mais le juge Agee, l’un des trois membres de la Cour d’appel fédérale, mentionne également cet arrêt, cependant pour en tirer une permission des réunions de prière organisées par les autorités.

Son acception de Greece v. Galloway est quelque peu abusive puisque, posant cette condition, la Cour suprême restreignait un droit plus qu’elle n’en créait un. Pour le juge Agee, la jurisprudence Greece v. Galloway est le point d’ancrage par la Cour suprême de l’histoire et la tradition-mêmes qui souligne une longue pratique non seulement de manière générale des prières par lesquelles débutent les réunions des autorités, mais également et spécifiquement des prières dirigées par les élus. C’est donc en partie au nom de la tradition que la Cour a jugé ces prières légales.

La Cour estime également que le public présent aux réunions de la commission étant constitué d’adultes, les prières ne présentent aucun risque pour les croyances de chacun. Les juges présument que les adultes ne sont pas susceptibles de se faire endoctriner ou d’être comme soumis à des pressions par les seuls discours qu’ils préféreraient pas entendre. Il n’y a pour elle aucun risque que des auditeurs désenchantés quant au christianisme soient affectés au seul contact des commissaires dirigeant les moments de prière.

Dans son opinion dissidente, le juge J. Harvie Wilkinson III, conteste l’interprétation de ses deux collègues majoritaires face à lui. Cette jurisprudence, dit-il, met en évidence la raison pour laquelle les Pères fondateurs de la République américaine instaurèrent par la Constitution la séparation de l’Église et de l’État. Et de mettre en garde :

« Lorsque les représentants de l’État évoquent avec autant d’emphase une religion en particulier à l’occasion de presque toutes les prières sur une telle période, cette foi finit par être perçue comme la vraie foi, et non simplement celle des personnes qui prient mais comme celle de la puissance publique elle-même. Quand le siège des autorités se met à ressembler à une maison de prière, les valeurs des pratiques religieuses sont menacées, et le danger d’une division fondée sur la croyance augmente en conséquence. »

Une autorisation que pourrait contredire la Cour suprême

Si le raisonnement du juge Wilkinson est sérieusement fondé d’un point de vue éthique, il a tort de prêter aux Pères fondateurs et au premier législateur une volonté qui n’était textuellement pas la leur. D’une part, dès le jour suivant le vote de l’amendement, le Congrès demanda à George Washington de proclamer « une journée de reconnaissance publique et de prière à observer en reconnaissance, avec des cœurs pleins de gratitude pour les faveurs de Dieu tout puissant », comme le rappela, dans son opinion dissidente sur l’arrêt McCreary v. ACLU, le juge de la Cour suprême Antonin Scalia, décédé en février dernier.

D’autre part, la lettre du Premier amendement est nette : « Le Congrès ne fera aucune loi relative à l’établissement d’une religion, ou à l’interdiction de son libre exercice ; ou pour limiter la liberté d’expression, de la presse ou le droit des citoyens de se réunir pacifiquement ou d’adresser au Gouvernement des pétitions pour obtenir réparations des torts subis. » Le texte ne concerne que le Congrès, soit le Sénat et la Chambre des représentants. C’est par une interprétation extensive que la Cour suprême des États-Unis a appliqué ce texte dans les affaires concernant les États fédérés.

En revanche, le dieu auquel se réfère la puissance publique américaine est un dieu civil, celui de tous les Américains, quelles que soient les croyances. Et c’est dans cette veine que le « Discours sur les quatre libertés » tenu par le Président Franklin D. Roosevelt, athée, insista sur « la liberté de chacun d’honorer Dieu comme il l’entend – partout dans le monde » ; et c’est dans cette logique que sont autorisées les réunions de prière en amont des réunions organisées par les autorités publiques, aucune religion particulière ne prévalant sur une autre lors des réunions de prière, l’exclusivité n’étant légale que si tous les participants partagent la même foi.

De fait et de droit, la Cour suprême se montre subtile quant à l’expression du message religieux ; dans l’affaire McCreary en 2005, elle déclara inconstitutionnel l’affichage du Décalogue dans des cours de justice, au motif que l’intention n’était pas éducative mais religieuse ; dans l’affaire Van Orden v. Perry, toujours la même année, les mêmes juges reconnurent la constitutionnalité de la présence, dans le parc du Capitole à Austin, d’une plaque supportant les Dix Commandements, le but de l’installation étant pédagogique, savoir la lutte contre la délinquance juvénile. Tout est affaire de cas, et les tribunaux doivent examiner les affaires à l’aune de trois critères posés par la Cour suprême et conjugués dans l’arrêt Lemon v. Kurtzman de 1971 - non utilisés cependant dans la jurisprudence Van Orden : la pratique doit viser un but séculier, elle ne doit pas promouvoir ou restreindre une religion, et elle ne doit pas favoriser un enchevêtrement excessif de la religion et de l’État. Les considérants de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale semblent oublier les critères posés par la Cour suprême.

L’ACLU a déjà fait savoir qu’elle demanderait le renvoi de l’affaire devant une chambre composée de 15 juges. D’ici le rendu de la décision, la Cour suprême fédérale aura peut-être déjà un remplaçant au juge Scalia qui était un partisan des accommodements raisonnables, comme l’a été la Cour d’appel dans cette affaire.

Hans-Søren Dag


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