Est-il juste d’interdire la fessée ?

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Le Parlement français entérinait fin 2016 l’interdiction de la fessée. L’article 22 du projet de loi « égalité et citoyenneté », adopté le 22 décembre 2016, entrevoit « l’exclusion de tout traitement cruel, dégradant ou humiliant, y compris tout recours aux violences corporelles ». Cette disposition avait été introduite à la faveur d’un amendement adopté le 6 juillet 2016 en première lecture. Loin de plaider ou de faire l’apologie de la gifle, de la claque ou de la fessée pour éduquer l’enfant, il nous apparaissait intéressant de nous interroger sur le sens même de l’autorité, sur l’arbitraire potentiel d’une loi apparemment juste qui entend interdire le recours à tout « châtiment corporel ».

Faut-il le rappeler, un des principes de l’amour de Dieu pour ses enfants s’exprime aussi à travers la correction ? Quel père aimant ne châtie pas ses enfants ? Aujourd’hui tout se passe comme si les bons penseurs semblaient ignorer l’essence même de l’amour de Dieu : la correction comme le pardon, en font partie, et tout confondre : correction et violence, réprimande et abus, ne fait que priver le débat d’une partie des éclaircissements.

Et l’on a vite fait de commettre des amalgames douteux, où, la foi chrétienne sera mise à mal, la Bible parlant en effet de « la verge de la correction », et l’on crie au sacrilège, là où en fait, on ne fait que mentionner un principe biblique fort de la relation entre Dieu et l’homme. Dans ce principe notamment, il y a un rapport d’autorité consentie, de soumission voulue et acceptée : l’homme se soumettant à Dieu accepte son autorité, son amour, sa correction. Par là même, un ordre est institué, dans lequel, l’homme dans sa relation avec Dieu, ou dans sa relation avec sa famille, va suivre cet ordre. Parler de « soumission » ou d’obéissance, ne mentionner que le mot de « correction » dans un siècle ultra permissif, semble relever d’un autre temps. Et pourtant… ne prête-t-on pas à Platon (347 av. J-C) lui -même, ces paroles :

« Lorsque les pères s’habituent à laisser faire leurs enfants, lorsque les fils ne tiennent plus compte des paroles des pères, lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves, et préfèrent les flatter, lorsque finalement les jeunes méprisent les lois parce qu’ils ne reconnaissent plus, au-dessus d’eux, l’autorité de rien ni de personne, alors c’est là, en toute beauté et en toute jeunesse, le début de la tyrannie. »

Mais l’homme de ce XXIe siècle semble honnir tout ce qui touche à ladite « correction »Mais l’homme de ce XXIe siècle semble honnir tout ce qui touche à ladite « correction », c’est un changement de paradigme total : tout doit-il être permis pour faire une société plus juste ? Les droits de l’homme progresseront ils si tout est autorisé, toléré et non puni ? D’ailleurs quel enfant ne sait pas quand il a désobéi ou qu’il n’a pas voulu accepter de soumettre sa volonté à celle de ses parents ? Quel enfant se roulant par terre dans un supermarché en plein caprice ne sait pas que ce qu’il est en train de faire n’est pas correct ? Et plus grave, s’il n’est pas repris, comment verra-t-il cette autorité qui le laisse tout faire ?

Il faut savoir discerner en tant que parents, ce qui mérite une mise au point, un rappel, une éventuelle correction, et ce qui relève de la pure étourderie. Il faut avoir une certaine sagesse pour ne pas reprendre dans la colère et surtout, ne pas se laisser aller à la violence qui frappe. La violence qui frappe fait mal, et laisse des traces dans l’adulte en devenir, dans la réponse à l’autorité du futur adolescent. La correction juste rassure l’enfant, qui est sécurisé par le cadre que posent ses parents.

Il peut y avoir une dérive de la part de l’État à vouloir s’immiscer dans la vie familiale, en s’ingérant au sein de l’exercice de l’autorité parentale.

L’État se fait éducateur pour que l’ordre – son ordre – règneIl y a dans l’esprit de cette loi dont la parure semble s’inscrire dans une dimension juste, une forme finalement de perversité, de perfidie en dépossédant les parents de l’exercice de leur autorité. Ainsi la « responsabilité » des parents se ferait sous le contrôle de l’État. Lequel État pourrait s’arroger en plus le droit de les éduquer à sa guise en arrachant les enfants des stéréotypes transmis par leurs parents. Comme l’écrivait François Guizot historien homme politique français, « l’État se fait éducateur pour que l’ordre – son ordre – règne. Il doit donc, se faisant, se subordonner le local, le « remettre à sa place ». En définitive l’État dénonce au fil des lois, le principe de subsidiarité, ce qui signifie qu’il s’ingère ainsi dans les affaires de famille. L’État pourrait ainsi user de son droit de manière parfaitement abusive si la morale des familles ne lui convenait pas. L’État pourrait dès lors avoir recours aux services de l’enfance pour imposer ses concepts autour de ce mot un peu savant que l’on appelle la parentalité.

Si l’État intervient, il pourrait s’avérer qu’il ne devienne que parfaitement incompétent, incapable d’embrasser les situations complexes et les problèmes d’humeur qui se règlent avec le secours de l’entourage familial, des aidants, des amis et pourquoi pas des associations familiales qui pourraient être un recours utile et bienveillant… Ce sont les gestes de solidarité autour de la famille qu’il faut encourager plutôt que de punir la famille fatiguée en la sanctionnant. Or inversement tout est fait pour que coûte que coûte il faille faire disparaître l’autorité parentale, la transmission des valeurs et la dimension du sacré qui touche aux liens qui se tissent entre enfants et parents.

Évitons de dénaturer le sens des mots…

À force de dénaturer le sens des mots, on finit par engendrer de nouveaux maux qui paralysent et culpabilisent

À cause de l’inceste faudrait-il interdire à tous parents de serrer son enfant dans les bras, de le laisser « escalader » quelques minutes dans le lit au moment du coucher ou du lever ? À cause des coups, de la volée de bois vert, fallait-il interdire la fessée ? À force de dénaturer le sens des mots, on finit par engendrer de nouveaux maux qui paralysent et culpabilisent au point où « être parent » se cantonnerait à mettre au monde en se conformant uniquement aux différents « décrets de loi » qui dicterait leur conduite au risque sinon d’être disqualifié.

Si le principe de la loi est de condamner la maltraitance, la violence exercée sur l’enfant, nous ne pouvons qu’en apprécier la légitimité. Nous souscrivons de fait et bien entendu à l’interdiction faite à toute personne de battre violemment un enfant, de le martyriser et de lui faire sciemment mal. L’apôtre Paul indique même aux Pères de ne pas mortifier les enfants, de les blesser, « Pères, n’exaspérez pas vos enfants, de peur qu’ils ne se découragent. »

Aussi si l’aspect de la loi concernant la vraie maltraitance et non la punition aimante qui corrige et redresse, il n’en demeure pas moins d’user de circonspection sur le caractère d’une loi qui amalgame par son interdit toutes les formes de corrections qui ne sont pas nécessairement injustes ou qui peuvent avoir été dispensées par des parents démunis ou bien démissionnent soit sur-fonctionnent en matière de discipline. Dans ce cas, il vaut mieux prévenir que punir les parents, il vaut mieux les accompagner que les sanctionner, ce serait juste le monde à l’envers que de sanctionner les parents. Dans ce contexte, il n’est pas certain alors de protéger les enfants qui pourraient là perdre leurs vrais repères.

On peut tout interdire, on peut sanctionner, on peut culpabiliser, nous vous l’assurons rien n’y feraQuand les parents sont débordés, quand ils sont excédés, quand les arguments n’ont pas de prise, alors on peut tout interdire, on peut sanctionner, on peut culpabiliser, nous vous l’assurons rien n’y fera. Si ce n’est pas le langage des coups qui s’exprimera ce sera celui de la violence des mots ou de l’humiliation. De tout temps l’amour et la bienveillance ont toujours produit un langage adapté et mesuré tant pour dire « je t’aime que pour dire ça suffit ». Les abus d’une autorité déplacée ou outrancière sont souvent le fruit d’une souffrance et de dysfonctionnements qui ne peuvent être soignés et traités que par un accompagnement de cet adulte blessé en tenant compte de sa propre histoire et de ceux qui génèrent tant de débordements.

Mais fallait-Il interdire la fessée ? Faut-il cesser finalement de corriger l’enfant en ayant recours à l’usage d’une correction physique qui doit rester mesurée et légère ? N’assistons-nous pas, finalement à une dérive fatale de la société qui punit celui qui sanctionne et laisserait ainsi la méchanceté gangrener la vie sociale ? Il semble bien que cela soit le mal de ce siècle où l’on voit augmenter les exemples de situations dans lesquelles les professeurs se trouvent en position de faiblesse lorsqu’ils aspirent à obtenir de leurs élèves l’attention et l’écoute qui rendent possible l’exercice de leur enseignement. De même que l’on rencontre chez les parents leur incapacité à produire, chez leur enfant, le respect des règles de vie familiale.

L’interdiction de corriger son enfant, ne traduit-elle pas d’une manière générale l’affaissement et le délitement de l’autorité parentale et a fortiori celui de l’école qui est confrontée à davantage d’incivilités et d’indiscipline chez les élèves.

Nous notons d’ailleurs une réelle corrélation entre l’abandon de l’autorité exercée au sein de la famille et celle de l’école qui n’a plus aucune capacité à faire exercer la discipline au sein des établissements scolaires.

L’affaiblissement de l’autorité parentale n’est-elle pas de nature à conduire demain à une brutalisation des rapports sociauxL’affaiblissement de l’autorité parentale n’est-elle pas de nature à conduire demain à une brutalisation des rapports sociaux, à l’augmentation des incivilités, à une dégradation de l’autorité avec cette volonté de s’affranchir des lois et des règles. Notre propos est ici de distinguer la correction sans brutalité (usage de la baguette) qui amène l’enfant à conscientiser l’interdit face la correction brutale qui blesse l’enfant et a contrario l’humilie sans réellement l’amener à comprendre le sens donné à un geste corporel malveillant s’il est brutal.

Dans la relation, parent/enfant, le recours à la fessée est parfois cathartique pour le père ou la mère qui a recours à ce geste, « la fessée » permet alors aux parents de diminuer ou de libérer la pression émotionnelle. Bien entendu nous ne justifions pas le geste agressif, mais si le recours à la baguette est posé et réfléchi et vise à enseigner l’enfant, pourquoi le geste n’aurait-il pas alors toute sa valeur spirituelle et symbolique comme le rappelle le texte aux hébreux.

D’ailleurs, puisque nos pères selon la chair nous ont châtiés, et que nous les avons respectés, ne devons-nous pas à bien plus forte raison nous soumettre au Père des esprits, pour avoir la vie.
Hébreux 12.9

L’intervention du père ou de la mère qui ont recours à l’usage d’une petite tape exceptionnelle et sans brutalité peut désigner un « Non » à l’enfant et lui indiquer dès lors les limites à ne pas franchir, à ne pas enjamber l’interdit. La correction peut être ainsi l’ultime recours si l’enfant n’accepte pas les règles qui lui ont été imposées par ses parents. En dernier recours, la petite tape devient alors symbolique et lui exprime un NON catégorique et ferme. Le geste symbolique sera d’autant plus fort, qu’il doit cependant demeurer absolument exceptionnel et jamais s’inscrire comme une modalité permanente. Souvent le simple avertissement peut néanmoins suffire et conduire l’enfant à réaliser la bêtise de son acte, ou sa désobéissance.

Dans les souvenirs de ma jeunesse la famille ou l’école, apparaissaient comme les milieux naturels où s’exerçaient l’autorité, ou la discipline et le respect de l’autre étaient enseignés, enfant je ne me suis jamais plaint de l’autorité exercée par mon père ou l’enseignant quand je transgressais l’interdit, il me semble même plus tard, admettre qu’ils avaient l’un et l’autre raison. De même ne nous donnerions pas raison à un parent qui reprend un enfant en lui donnant une légère tape quand ce dernier va sur la chaussée, alors qu’il fut sommé de demeurer à ses côtés, ne mérite-t-il pas qu’il soit repris pour lui éviter ainsi le risque de perdre la vie ? Les parents qui lisent ce texte pourraient donner de multiples exemples et de situations où il a fallu user de prévention pour éviter la dégradation du comportement de l’enfant qui n’a pas toujours conscience des limites, et quand il s’en affranchit, pourrait mettre sa vie en péril. Une mère me témoignait ainsi qu’elle avait surpris son enfant en train d’allumer le gaz et la tape sur les mains l’a conduit à ne plus jamais récidiver. Devrait-on alors sanctionner la maman qui a fait ce choix plutôt que de se lancer dans une explication qui pourrait ne pas être comprise par l’enfant, alors que la légère tape montre une efficacité immédiate.

La Bible serait-elle alors injuste et moins humaine que nos lois interdisant la correction ?Lorsque nous lisons la Bible, nous notons qu’à aucun moment elle ne condamne le « châtiment » corporel. La Bible serait-elle alors injuste et moins humaine que nos lois interdisant la correction ? Je ne le crois pas. Les proverbes contiennent une multitude d’enseignements sur l’exercice de l’autorité auprès de ses enfants et j’aime particulièrement ce texte « Celui qui ménage sa baguette hait son fils, Mais celui qui l’aime cherche à le corriger… ». Ainsi ce texte loin de culpabiliser les parents, valorise la dimension éducative et pédagogique du recours au symbole de la baguette qui démontre que le parent peut faire preuve d’amour en montrant à ses enfants les limites de ses actes quand ses derniers le mettent en danger ou mettent en danger la vie d’autrui.

La Bible nous enseigne que les repères et les limites sont nécessaires à la plénitude d’une personnalité, l’épanouissement de l’enfant ne s’obtient pas dans le laisser-faire et le laisser-aller.

Dans la Bible, le livre des Proverbes rassemble de nombreux passages sur l’éducation des enfants, ce livre renferme de nombreuses paroles pédagogiques et de sagesse concernant la manière d’instruire l’enfant. Notons ce verset : « Le bâton et le reproche procurent la sagesse, tandis que l’enfant livré à lui-même fait honte à sa mère. » Ce verset de Proverbes 29.15 ne signale-t-il pas les conséquences de l’absence de discipline d’un enfant, d’un enfant totalement livré à lui-même.

Nous pressentons la possible dérive d’utiliser comme autre recours, la parole blessante pour avertir l’enfant

Au-delà de l’interdit de donner la fessée, nous pressentons la possible dérive d’utiliser comme autre recours, la parole blessante pour avertir l’enfant. Cette parole peut devenir colère à l’instar d’une fessée qui ne pourrait plus être infligée, cette parole agressive peut aussi être psychologiquement offensante. Les parents peuvent verbaliser et faire usage de mots qui peuvent avoir des conséquences humiliantes et douloureuses sur l’enfant et bien plus traumatisante que l’administration d’une fessée mesurée dont la symbolique est de fixer les limites.

Faudra-t-il alors légiférer pour interdire les paroles blessantes après avoir interdit « la fessée », faudra-t-il museler les parents, paralyser leurs gestes et leurs verbes, et conduire à l’emprise d’une société de roitelets qui gouvernent le monde des adultes, et seront demain les futurs barbares ou des hommes et des femmes en mal-être, n’ayant jamais su donner de limites à leurs gestes et leurs actes. La Suède comme chacun le sait, est l’un des premiers pays à avoir interdit la fessée Un de ces chercheurs suédois sur le bonheur, Erik Fernholm, écrivait en conclusion de son enquête dans un grand quotidien :

” Nous allons plus mal aujourd’hui qu’il y a cinquante ans. Les jeunes surtout vont mal. Le mal-être psychologique des jeunes a triplé et le suicide est la plus grande cause de décès chez les personnes de moins de trente ans. Nous avons en Suède un mal-être unique qui ne se rencontre pas chez nos voisins. La société est sur une mauvaise voie. »

Nous assistons finalement à la fin de tout ce qui faisait lien et communauté, nous laissons place à une époque néolibérale qui relativise le bien et le mal et ne hiérarchise plus le sens des mots, le sens même des valeurs et dévalorise le mot correction. Or si nous voulons éviter l’émergence d’une société barbare, si nous voulons empêcher l’usage de violences verbales, si nous voulons prévenir les actes déviants, individuels ou collectifs, il convient alors de ne pas interdire les gestes symboliques qui sauvent les enfants des dérives possibles et demain des barbaries. Mais il nous semble que l’esprit de cette loi cache en réalité la marque de l’ignominie annonçant une forme de déchéance sociale en confondant ou en relativisant le mal et le bien. À force de « décréter » les comportements plutôt que d’éduquer et de transmettre, nous pourrions aboutir aux effets contraires et assister à l’émergence d’une société violente car exaspérée de ne plus posséder de repères.

La discipline a pour objet d’aider les enfants à mûrirRetenons cependant et en conclusion que la discipline a pour objet d’aider les enfants à mûrir, de les éduquer non de les exaspérer, non de les blesser. Souvenons-nous ainsi de cette recommandation de l’apôtre Paul aux Éphésiens : « Et vous, pères, n’irritez pas vos enfants, mais élevez-les en les corrigeant et en les instruisant selon le Seigneur. » Ainsi la correction aimante peut conduire à sauver l’enfant et le conduire à chercher le bien pour lui-même et pour les autres.

C’est le philosophe Jacques Camatte, qui dans son essai Violence et Domestication écrivait en 1980, que l’éducation anti autoritaire « aboutit à une démission de l’affirmation des parents qui ne fournissent plus de référentiels, ni de cadres globaux pour le développement de leurs enfants. [ La société  » permissive  » est la société de la domestication. [...] On produit des êtres mutilés. [..] D’où la production d’adultes non matures dépendant totalement d’une enfance plus ou moins lointaine non accomplie. »

Cette chronique d’Eric Lemaitre est le fruit d’une réflexion enrichie et co-partagée avec Françoise CARON Présidente des AFP, et Bérengère Sériés, elle est l’expression d’une sensibilité mesurée et réfléchie à l’aune de nos convictions chrétiennes.


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