Esclavagisme : La mauvaise part des chrétiens

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Le 10 mai en France marque la commémoration du souvenir de l’esclavage et de son abolition.  Une occasion de revenir sur les interprétations fallacieuses de la Bible qui ont servi à  justifier des pratiques inhumaines, avec notamment l’ouvrage de Malik Daho : « Dieu a-t-il maudit les Noirs ? ».

Le 10 mai est devenu en France la journée commémorative du souvenir de l’esclavage et de son abolition depuis que le président Chirac a fixé cette date, au regard de l’adoption en dernière lecture par le Sénat de la loi (Taubira) du 10 mai 2001 reconnaissant la traite et l’esclavage comme crime contre l’humanité. Mais c’est seulement en 2006 qu’elle a été célébrée pour la première fois. Cette année on en est donc à la douzième commémoration. Elle correspond aussi au 223ème anniversaire  de la première abolition de l’esclavage par la France par la Convention Nationale le 16 pluviôse de l’an II (4 février 1794), ainsi qu’au 169ème anniversaire de la seconde abolition par le gouvernement provisoire de la seconde République le 27 avril 1848.

Dans la triste histoire de la traite et de l’esclavage, les chrétiens ont joué un rôle. Et pas toujours le meilleur, voire même le pire en cautionnant et encourageant cette pratique inhumaine.

Malik Daho a eu à cœur d’écrire un petit livre sur la question, au titre provocateur : « Dieu a-t-il maudit les Noirs ? » (Editions Oasis 2012). L’ouvrage de ce chrétien d’origine africaine, est sous-titré : « La vérité sur la malédiction de Cham », ce qui permet de faire une plongée au cœur de l’interprétation que certains ont fait d’un simple passage biblique pour justifier l’esclavagisme.

La Bible en caution. On le trouve dans le chapitre 9 de la Genèse, dans les versets 20 à 27

Noé commença à cultiver la terre, et planta de la vigne. Il but du vin, s’enivra, et se découvrit au milieu de sa tente. Cham, père de Canaan, vit la nudité de son père, et il le rapporta dehors à ses deux frères. Alors Sem et Japhet prirent le manteau, le mirent sur leurs épaules, marchèrent à reculons, et couvrirent la nudité de leur père; comme leur visage était détourné, ils ne virent point la nudité de leur père. Lorsque Noé se réveilla de son vin, il apprit ce que lui avait fait son fils cadet. Et il dit: Maudit soit Canaan! qu’il soit l’esclave des esclaves de ses frères ! Il dit encore: Béni soit l’Éternel, Dieu de Sem, et que Canaan soit leur esclave! Que Dieu étende les possessions de Japhet, qu’il habite dans les tentes de Sem, et que Canaan soit leur esclave!

Il faut préciser que les descendants de Cham furent Koush, Mitsraïm, Puth et Canaan. Cham est le fils cadet, c’est-à-dire le coupable aux yeux de Noé. Mais c’est à Canaan le fils de Cham, donc petit-fils de Noé, que s’adresse la malédiction. Selon la Bible, les peuples africains sont des descendants de Cham, mais par son fils Koush et non par Canaan.

Entre autres questions épineuses qui se posent là, Malik Daho s’interroge  « Pourquoi avoir maudit Canaan et non pas Cham ? », tout en relevant que Dieu, lui, n’a maudit personne dans cette affaire.

Ce qui n’empêche qu’à certains moments de l’histoire et dans certaines contrées, ce passage a été considéré comme une malédiction divine à l’égard des Noirs et donc la porte ouverte à leur exploitation. Le Code Noir en France en est un exemple dramatique.

Il en existe deux versions : la première par promulgation de Louis XIV en 1685 (année où il aussi révoqué l’Edit de Nantes), la seconde par Louis XV en 1724.

Le Code Noir. Louis XIV a voulu l’aval de l’Eglise (la seule qu’il reconnaissait : la catholique) pour entériner ce Code Noir. Et il n’a pas eu de mal à l’obtenir à coups de versets bibliques nombreux, interprétés de façon fallacieuse par de hauts dignitaires religieux.

Parmi les nombreux documents cités par Malik Daho, un  extrait d’un écrit de l’évêque de Fréjus : « Les Nègres, comprenez-le bien, portent le péché de Canaan. Ils sont les descendants maudits de la lignée de Cham. Il est légitime, tout à fait légitime d’en faire des esclaves. C’est dans ce contexte que nous avons la mission de les évangéliser, de les baptiser pour blanchir leurs âmes noires, pour qu’ils jouissent des bienfaits de notre religion consolante », etc.

Les pièces de « ce  mythe, ce non-sens biblique », sont démontées par Malik Daho qui se réfère à la Bible pour les contredire, tout en faisant voyager le lecteur dans le temps et dans l’espace pour expliquer les contextes qui ont favorisé l’esclavage dans le monde.

Malheureusement la soi-disant « Malédiction de Cham » a la vie dure.

« Les Africains descendent d’ancêtres maudits par Noé. C’est un fait » a déclaré sur Twitter en 2011 le très controversé pasteur-député brésilien Marco Féliciano, avant de faire amende honorable (et de se voir ensuite faire l’objet d’une  surprenante nomination à la tête de la commission des Droits de l’Homme et des Minorités de la Chambre des députés brésilienne…).

La part des protestants. Les protestants n’ont pas attendu ce pasteur pour utiliser la Bible comme caution à l’esclavage.

Selon Sébastien Doane, bibliste spécialisé à Montréal, c’est du côté de la Hollande au XVIIe siècle qu’apparait la théorie de la malédiction de Cham dans les milieux protestants:

« Georg Horn, professeur d’histoire à l’Université de Leyde, serait le premier, en 1666, à avoir proposé une classification des races selon le modèle de la descendance de Noé de la Genèse. Quelques années plus tard, Jean Louis Hannemann, s’appuyant sur un commentaire de la Genèse de Martin Luther, évoque dans un exposé fondamentaliste  le fait que les Éthiopiens sont devenus noirs et esclaves à cause de la malédiction de Cham. C’est donc dans le contexte du retour à une interprétation très littérale de la Bible, dans la mouvance de la Réforme protestante, que commence à se développer l’utilisation de la malédiction de Cham comme instrument de justification de l’esclavage chez les chrétiens d’Occident ».

Il ajoute que cette interprétation prendra de l’ampleur et trouvera un écho aux États-Unis, aux XVIIIe et XIXe siècles, au fur et à mesure que le phénomène de la traite des Noirs s’amplifiera, et que ces versets bibliques ont aussi servi à justifier l’apartheid, en Afrique du Sud.

Heureusement il n’existe plus aujourd’hui d’exégète sérieux pour valider cette interprétation de la Bible, sans oublier que les chrétiens ont été des fers de lance dans l’abolition de l’esclavage.

Olivier Beylon


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