Environnement, sécurité, santé : Les questions que pose la 5G

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Cet article est publié en collaboration avec Binaire.


Quand on met dans un seul sac les opposants de la 5G, on risque de tout mélanger : risques sanitaires, destruction de la planète, atteintes à la sûreté des réseaux et au-delà à la souveraineté de l’État, surveillance de masse. Ces amalgames incluant des accusations facilement et factuellement déconstruites mêlées à de vrais problèmes suffisent-ils à disqualifier la critique ?

Non, pas plus que les anti-vacs, anti-ondes, anti-sciences, anti-techno, etc. qui se sont agrégés au mouvement anti-5G allant jusqu’à des incendies ou dégradations de stations radio. Répondre aux questionnements par la simple affirmation du déterminisme technologique n’est pas non plus suffisant. Les questionnements, les préoccupations sont légitimes pour une technologie qui va changer nos vies, selon ce qui est annoncé.

L’environnement

Le numérique, de manière générale, questionne les défenseurs de l’environnement. Par plein de côtés, il a des effets positifs sur l’environnement. Par exemple, il permet des études fines du climat, la gestion intelligente de l’énergie dans des smart grids, celle des moteurs de tous types, de l’automobile à l’aviation, des économies de transports avec le travail à distance. Par contre, il participe à la course en avant vers toujours plus de productivité et de consommation. Cet aspect très général du débat sera ignoré ici, où nous nous focaliserons sur la 5G.

Du côté positif, la 5G a été conçue dès le départ pour être énergétiquement sobre. Sachant que les chiffres ne sont pas stabilisés, elle devrait diviser fortement la consommation d’électricité pour le transport d’un Gigaoctet de données ; on parle de division par 10 et à terme par 20 par rapport à la 4G. Même si ces prévisions sont peut-être trop optimistes, il faut noter qu’elles vont dans le sens de l’histoire, qui a effectivement vu de pareilles améliorations de la 2G à la 3G à la 4G. Et on pourrait citer aussi les économies du passage du fil de cuivre à la fibre, ou des “vieux” data centers aux plus modernes. Le numérique sait aussi aller vers plus de sobriété, ce qui lui a permis d’absorber une grande partie de l’explosion des données transférées sur le réseau depuis vingt ans.

Une partie de cette explosion, oui, mais une partie seulement, car il faut tenir compte de l’effet rebond. D’une manière très générale, l’effet rebond, encore appelé paradoxe de Jevons, observe que des économies (monétaire ou autres) prévues du fait d’une amélioration de la technologie peuvent être perdues à la suite d’une adaptation du comportement de la société. Avec les améliorations des techniques qui ont permis le transport de plus en plus de données, on a vu cette quantité de données transportées augmenter violemment, en gros, doubler tous les dix-huit mois. Si les récents confinements dus à la pandémie n’ont pas mis à genoux la 4G, c’est grâce à l’année d’avance que sont obligés de prendre les opérateurs pour absorber cette croissance, entièrement due aux utilisateurs d’ailleurs.

L’introduction de la 5G va permettre que cet accroissement se poursuive, ce qui résulterait selon certains en une augmentation de l’impact négatif des réseaux sur l’environnement.

Bien sûr, on doit s’interroger pour savoir si cela aurait été mieux en refusant la 5G. Sans 5G, les réseaux télécoms de centre-ville auraient vite été saturés ce qui aurait conduit à densifier le réseaux de stations 4G. On aurait sans doute assisté à un même impact négatif pour un réseau qui aurait alors fini massivement par dysfonctionner, car la 4G supporte mal la saturation pour des raisons intrinsèques à sa technologie. Ne pas déployer la 5G n’aurait réglé aucun problème, le vrai sujet est celui de la sobriété.

Dans le cadre du déploiement en cours, une vraie question est celle des coûts environnementaux de fabrication des éléments de réseaux comme les stations radio, et surtout des téléphones. Il faut savoir que la fabrication d’un téléphone portable émet beaucoup plus de gaz à effet de serre (GES) que son utilisation. Si tous les Français se précipitent et changent leur téléphone pour avoir accès à la 5G, on arrive à un coût énorme en émission de GES. Il faudrait les convaincre que ça ne sert à rien et qu’on peut se contenter du renouvellement “normal” des téléphones. Il est important d’insister ici sur “normal” : les Français changent de téléphone tous les 18 mois, ce qui n’est pas normal du tout. Même si ça a été effectivement nécessaire quand les téléphones étaient loin de leur puissance de calcul actuelle, ça ne l’est plus maintenant. Et produire tous ces téléphones engendre une gabegie de ressources, d’énergie et d’émission de GES. Au-delà du sujet de la 5G, que faisons-nous pour ralentir ces remplacements ? Que faisons-nous pour qu’ils ne s’accélèrent pas à l’appel des sirènes de l’industrie des smartphones ?

Il faudrait aussi questionner les usages. Le visionnage d’une vidéo sur un smartphone consomme plusieurs fois l’électricité nécessaire au visionnage de la même vidéo après téléchargement par la fibre. Mais la situation est tout sauf simple. Comment comparer le visionnage d’un cours en 4G par un élève ne disposant pas d’autre connexion Internet au visionnage d’une vidéo (qu’on aurait pu télécharger à l’avance) dans le métro parisien ? Il ne s’agit pas ici de décider pour le citoyen ce qu’il peut visionner suivant le contexte, mais juste de le sensibiliser à la question du coût environnemental de ses choix numériques et de lui donner les moyens, s’il le souhaite, d’avoir des comportements plus sobres.

Sécurité et surveillance massive

Dans ces dimensions, les effets sont contrastés.

Pour la cybersécurité, la 5G procure des moyens d’être plus exigeants, par exemple, en chiffrant les échanges de bout en bout. Par contre, en augmentant la surface des points névralgiques, on accroît les risques en matière de sécurité. En particulier, la virtualisation des réseaux qu’elle introduit ouvre la porte à des attaques logicielles. L’internet des objets, potentiellement boosté par la 5G, questionne également quand on voit la faiblesse de la sécurité des objets connectés, des plus simples comme les capteurs à basse énergie jusqu’aux plus critiques comme les pacemakers. Le risque lié à la cybersécurité venant de l’internet des objets est accru par la fragmentation de ce marché qui rend difficile de converger sur un cadre et des exigences communes.

Pour ce qui est de la surveillance, les effets sont également contrastés. Les pouvoirs publics s’inquiètent de ne pouvoir que plus difficilement intercepter les communications des escrocs, des terroristes, etc. Des citoyens s’inquiètent de la mise en place de surveillance vidéo massive. La 4G permet déjà une telle surveillance, mais la 5G, en augmentant les débits disponibles la facilite. On peut réaliser les rêves des dictateurs en couvrant le pays de caméra dont les flux sont analysés par des logiciels d’intelligence artificielle. Le cauchemar. Mais la 5G ne peut être tenue seule pour responsable ; si cela arrive, cela tiendra aussi du manque de vigilance des citoyens et de leurs élus.

Est-ce que la 5G et/ou l’accumulation d’ondes électromagnétiques nuit à la santé ?

C’est un vieux sujet. Comme ces ondes sont très utilisées (télécoms, wifi, four à micro-ondes, radars, etc.) et qu’elles sont invisibles, elles inquiètent depuis longtemps. Leurs effets sur la santé ont été intensément étudiés sans véritablement permettre de conclure à une quelconque nocivité dans un usage raisonné. Une grande majorité des spécialistes pensent qu’il n’y a pas de risque sanitaire à condition de bien suivre les seuils de recommandation de l’OMS, qui ajoute déjà des marges importantes au-delà des seuils où on pense qu’il existe un risque. On notera que certains pays comme la France vont encore au-delà des recommandations de l’OMS.

Pourtant, d’autres spécialistes pensent que des risques sanitaires existent. Et on s’accorde généralement pour poursuivre les études pour toujours mieux comprendre les effets biologiques des ondes, en fonction des fréquences utilisées, de la puissance et de la durée d’exposition. Avec le temps, on soulève de nouvelles questions comme l’accumulation des effets de différentes ondes, et après avoir focalisé sur les énergies absorbées et les effets thermiques, on s’attaque aux effets non thermiques.

La controverse se cristallise autour de « l’hypersensibilité aux ondes électromagnétiques ». C’est une pathologie reconnue dans de nombreux pays, qui se manifeste par des maux de tête, des douleurs musculaires, des troubles du sommeil, etc. Malgré son nom, les recherches médicales n’ont montré aucun lien avec l’exposition aux ondes. Ses causes restent mystérieuses.

Venons-en à la question plus spécifique de la 5G. La 5G mobilise différentes nouvelles gammes de fréquences, autour de 3,5 GHz et autour de 26 GHz. Avec la 3.5 GHz, on est très proche de fréquences déjà utilisées, par exemple par le wifi, et de fréquences dont les effets ont été très étudiés. Pour la 26 GHz, si l’utilisation dans un cadre grand public de telles ondes est nouvelle, on dispose déjà d’études sur de telles fréquences élevées. Pourtant, l’utilisation nouvelle de ces fréquences spécifiques légitime le fait que de nouvelles études soient entreprises pour elles, ce qui est déjà le cas.

Un aspect de la 5G conduit naturellement aussi à de nouvelles études : les antennes MIMO dont nous avons parlé. Elles permettent de focaliser l’émission sur l’utilisateur. Cela évite de balancer des ondes dans tout l’espace. Par contre, l’utilisateur sera potentiellement exposé à moins d’ondes au total, mais à des puissances plus importantes. Le contexte de l’exposition changeant aussi radicalement conduit à redéfinir la notion d’exposition aux ondes, et peut-être à de nouvelles normes d’exposition. Cela conduit donc à repenser même les notions de mesure.

Nous concluons cette section en mentionnant un autre effet sur la santé qui va bien au-delà de la 5G pour interpeller tout le numérique : la vitesse de développement de ces technologies. Le numérique met au service des personnes des moyens pour améliorer leurs vies. C’est souvent le cas et, en tant qu’informaticiens, nous aimons souligner cette dimension. Mais, le numérique impose aussi son rythme et son instantanéité à des individus, quelquefois (souvent ?) à leur détriment. C’est particulièrement vrai dans un contexte professionnel. Dans le même temps où il nous décharge de tâches pénibles, il peut imposer des cadences inhumaines. Voici évidemment des usages qu’il faut repousser. Il faut notamment être vigilant pour éviter que la 5G ne participe à une déshumanisation du travail.

Économie et souveraineté

On peut difficilement évaluer les retombées économiques de la 5G, mais les analystes avancent qu’elle va bouleverser de nombreux secteurs, par exemple, la fabrication en usine et les entrepôts. On s’attend à ce qu’elle conduise aussi à de nouvelles gammes de services grand public et à la transformation des services de l’État. On entend donc : Le monde de demain sera différent avec la 5G, et ceux qui n’auront pas pris le tournant 5G seront dépassés. C’est une des réponses avancées aux détracteurs de la 5G, la raison économique. On rejouerait un peu ce qui s’est passé avec les plates-formes d’internet : on est parti trop tard et du coup on rame à rattraper ce retard. Sans la 5G, l’économie nationale perdrait en compétitivité et nous basculerions dans le tiers monde.

Il est difficile de valider ou réfuter une telle affirmation. N’abandonnerions-nous la 5G que pour un temps ou indéfiniment ? Est-ce que ce serait pour adopter une autre technologie ? Nous pouvons poser par contre la question de notre place dans cette technique particulière, celle de la France et celle de l’Europe.

Pour ce qui est du développement de la technologie, contrairement à d’autres domaines, l’Europe est bien placée avec deux entreprises européennes sur les trois qui dominent le marché, Nokia et Ericsson. On peut même dire que Nokia est “un peu” française puisqu’elle inclut Alcatel. La dernière entreprise dominante est chinoise, Huawei, que les États-Unis et d’autres essaient de tenir à l’écart parce qu’elle est plus ou moins sous le contrôle du parti communiste chinois. La France essaie d’éviter que des communications d’acteurs sensibles ne puissent passer par les matériels Huawei ce qui revient de fait à l’exclure en grande partie du réseau français.

Pour ce qui est des usages, les industriels français semblent s’y intéresser enfin. Les milieux scientifiques européens et les entreprises technologiques européennes ne sont pas (trop) à la traîne même si on peut s’inquiéter des dominations américaines et chinoises dans des secteurs comme les composants électroniques ou les logiciels, et des investissements véritablement massif des États-Unis et de la Chine dans les technologies numériques bien plus grands qu’en Europe. On peut donc s’inquiéter de voir l’économie et l’industrie européenne prendre du retard. Il est vrai que la 5G ne sera pleinement présente que dans deux ou trois ans. On peut espérer que ce délai sera utilisé pour mieux nous lancer peut-être quand on aura mieux compris les enjeux, en espérant que ce ne sera pas trop tard, qu’en arrivant avec un temps de retard, on n’aura pas laissé les premiers arrivants rafler la mise (“winner-take-all”).

Comme nous l’avons vu, certains questionnements sur la 5G méritent qu’on s’y arrête, qu’on poursuive des recherches, qu’on infléchisse nos usages des technologies cellulaires. La 5G est au tout début de son déploiement. Les sujets traversés interpellent le citoyen. Nous voulons mettre cette technologie à notre service, par exemple, éviter qu’elle ne conduise à de la surveillance de masse ou imposer des rythmes de travail inhumains. Nous avons l’obligation de la mettre au service de l’écologie par exemple en évitant des changements de smartphones trop fréquents ou des téléchargements intempestifs de vidéos en mobilité. C’est bien pourquoi les citoyens doivent se familiariser avec ces sujets pour choisir ce qu’ils veulent que la 5G soit. Décider sans comprendre est rarement la bonne solution.

Serge Abiteboul, Directeur de recherche à Inria, membre de l’Académie des Sciences, Inria et Gérard Berry, Professeur émérite en informatique, Collège de France

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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