Entretien avec Pascal Portoukalian : "l’Eglise arménienne c'est un peu la grande sœur de tous les chrétiens"

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Nous avons échangé avec Pascal Portoukalian, chrétien français d’origine arménienne, installé à Yerevan (Arménie) depuis un an. Chroniqueur bien connu des lecteurs d’InfoChrétienne pendant plusieurs années, il a également écrit des tribunes sur la situation au Haut Karabagh ces derniers mois. Dans cet entretien, il nous offre des clefs de compréhension sur le conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan et revient sur l'histoire et l'héritage du "premier peuple chrétien du monde". 

Pour rappel, le 19 septembre dernier, l’armée azerbaïdjanaise a attaqué les populations arméniennes du Haut Karabagh. En 48 heures, la quasi-totalité des positions militaires arméniennes avaient été prises. Et en quelques jours, l'enclave montagneuse s’était vidée d'une immense partie de sa population qui a tout laissé pour fuir vers l'Arménie. 

InfoChrétienne : Après avoir de nombreuses fois affirmé que l’Arménie est “le premier peuple chrétien du monde”, pouvez-vous nous décrire plus en détail l’histoire étroite entre ce pays et le christianisme ?

Pascal Portoukalian : L’Arménie est l’une des premières terres qui a été évangélisée. Lorsque Jésus est monté au ciel, il a donné le commandement à ses disciples d’aller évangéliser deux par deux. Parmi eux, Barthélemy et Jude, ont été envoyés en Arménie.

À la fin du 3e siècle, alors que le roi d’Arménie est malade, un moine, Grégoire l’illuminateur, va prier pour lui et le guérir. Il décide alors de se convertir au christianisme et de faire du Royaume d’Arménie, un état chrétien. Elle devient ainsi la première nation chrétienne du monde et ouvre la porte à d’autres, tels que l’Ethiopie et l’Empire romain.

Je le rappelle régulièrement car tout le monde ne le sait pas mais l’Eglise arménienne c'est un peu la grande sœur de tous les chrétiens. Ce sont les premiers des Gentils (des non-Juifs) à avoir décidé d’adopter la foi chrétienne en tant que religion et croyance de l’ensemble du peuple.

IC : Pouvez-vous nous rappeler ce qu’il s’est passé au Haut-Karabagh dernièrement ?

PP : Le Haut-Karabagh est un territoire qui depuis 2500-3000 ans a toujours été peuplé très majoritairement d’Arméniens. C’est ici qu’en 405, le moine Mesrop Machtots, invente l’alphabet arménien et crée une école de diffusion de cette langue. Ce territoire est donc un lieu fondamental pour l’identité culturelle arménienne.

En novembre 2022, après la prise de la ville de Chouchi, la deuxième ville du Haut Karabagh et la capitale culturelle, la Russie est intervenue. Elle a affirmé que chacun devait garder ses positions actuelles, l'Azerbaïdjan garde les territoires qu'elle a remportés et le Haut Karabagh reste tel quel. Seulement en décembre 2022, l’Azerbaïdjan a imposé un blocus sur le dernier quart du territoire qu’elle n’avait pas encore pris et à affamer la population tout en les empêchant de se réarmer. Le blocus a duré 9 mois, jusqu’au 19 septembre de cette année.

L’Azerbaïdjan a ensuite attaqué toutes les positions arméniennes du Haut Karabagh et en 24h c’était plié. Le 20 septembre, la république du Haut Karabgh signe sa reddition. 100% de la population arménienne s’est enfuie et a convergé vers le corridor de Latchine, il y avait des heures et des heures de queue.

Depuis le 1er janvier 2024, il n’y a plus d’existence légale de ce territoire. Aliev, le dictateur azéri a marché sur la capitale, a posé en photo devant le parlement, a hissé son drapeau. Il commence à bâtir des projets de développement et de réinvestissement de la population azérie sur le territoire, appuyé par une propagande auprès de sa population qui croit que cette terre est azérie et non arménienne, ce qui est une aberration. Les centaines de monuments arméniens dont des églises et des monastères sont en danger. Certains vont être détruits pour effacer les traces de la présence arménienne.

IC : Comment est vécue la situation sur place ?

PP : Médiatiquement, il n’y a pas d’image choc à présenter car il n’y a pas de grands camps de réfugiés. Ces derniers sont souvent relogés dans leurs familles, ou dans des locaux mis à disposition par l’Etat. Il y a eu 110 000 réfugiés du Haut Karabagh, ce qui a accentué la crise immobilière déjà présente.

J’avais fait une levée de fonds il y a quelques mois relayé par InfoChrétienne. Merci d’avoir participé car elle a permis de soutenir les populations réfugiées qui sont des gens comme vous et moi, à qui d’un coup on a dit “tu laisses les clefs de ta maison et tu t’en vas”. Ces réfugiés réalisent que leur vie d’avant est définitivement perdue et se confrontent à l’hiver arménien. Ils ont besoin de trouver un travail, de nourrir leur famille …

Si on va dans certains lieux ruraux et surtout au niveau des frontières, il faut faire attention. L’Azerbaïdjan a très clairement exprimé son désir de récupérer à minima le sud de l’Arménie mais en réalité toute l’Arménie. Son avenir est très compromis si le sud du pays est pris. En effet, sa protection dépend de l’Iran, un protecteur majeur, avec lequel elle a une frontière au sud.

IC : Pensez-vous que les récents efforts de normalisation des relations entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan vont permettre d’apporter la paix ?

PP : Je suis très dérangé par la tournure qui est prise, dans laquelle on essaie de croire qu'Azerbaïdjan et Arménie seraient sur le même plan et qu’ils devraient signer des traités de paix dans lesquels ils s’engagent à ne pas faire ceci ou cela. Lire les événements de cette manière revient à analyser la situation avec des lunettes européennes.

Le problème c’est que lorsque l’on s’adresse à l'Azerbaïdjan, on s’adresse à un modèle autocratique et dictatorial. Parler de processus de normalisation, ça n’a aucun sens. Nous sommes dans une situation où nous avons un agresseur et un agressé. Un état qui par la force et la violence a pris le territoire d’un autre tout en claironnant “les Arméniens peuvent rester chez nous” alors que devant leurs yeux, ils ont massacré leurs enfants.

Il faut punir l’agresseur et l’empêcher d’agir, c’est la seule solution. Nous n’avons pas pris de sanctions internationales contre l'Azerbaïdjan, nous continuons d’acheter le gaz azéri, nous lui confions la vice-présidence de la conférence de l’Unesco, on continue donc de le considérer comme un partenaire.

Oui, l'Arménie est le premier pays chrétien et il faut le protéger pour notre héritage de la foi chrétienne. Mais protéger l'Arménie, c'est également empêcher la formation d'un nouvel empire turcophone s'étendant de l'Europe à la Chine, susceptible de peser lourdement sur les enjeux géostratégiques mondiaux. L’enjeu arménien va au-delà de son propre territoire !

Mélanie Boukorras

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