Entretien avec Kevin Boucaud-Victoire : pour un antiracisme social et fraternel, enraciné dans l’Évangile

Dans Mon antiracisme (Éditions Desclée de Brouwer), Kevin Boucaud-Victoire livre un essai riche, nourri par son parcours personnel et son engagement politique. Face aux deux grands courants antiracistes actuels – l’un libéral, l’autre identitaire – il propose une troisième voie : un antiracisme enraciné dans la justice sociale, l’universalisme, et finalement l’Évangile. Car si l’auteur n’évoque pas directement ce sujet dans son livre, le chrétien évangélique puise aussi sa réflexion dans sa foi chrétienne.
Dès les premières pages de son nouvel ouvrage Mon antiracisme, publié aux Éditions Desclée de Brouwer, Kevin Boucaud-Victoire annonce la couleur : "Le discours antiraciste dominant est enfermé dans deux impasses." D’un côté, un antiracisme moral hérité des années 1980, incarné notamment par SOS Racisme, qui vise à mieux intégrer les minorités sans remettre en cause l’ordre économique. De l’autre, un antiracisme identitaire ou décolonial, qui assignerait chacun à une identité figée, au risque de fracturer davantage la société.
"Cet antiracisme, celui de SOS Racisme, visait surtout à intégrer les minorités au capitalisme. […] À l’opposé, l’antiracisme identitaire divise, essentialise les cultures et empêche de rassembler."
Pour Kevin, ces deux approches font fausse route, car elles négligent la dimension sociale du racisme. Il l'affirme : "Le racisme ne disparaît pas dans les classes supérieures, mais il s’exprime différemment selon la condition sociale."
"Un Noir ou un Arabe patron ou propriétaire peut échapper à la discrimination. Un Blanc pauvre vivant en cité partage des réalités proches de celles des non-Blancs précaires."
Le racisme ne peut donc, selon lui, être traité comme un phénomène isolé. Il s’entrelace avec les inégalités économiques, éducatives, territoriales, et, pour être combattu, doit s'accompagner d'une remise en cause globale des structures sociales.
Plutôt que d’opposer les communautés entre elles, Kevin Boucaud-Victoire appelle à un front commun des classes populaires, fondé sur l’expérience partagée de la précarité, du déclassement, de l’injustice. Il refuse de choisir entre la lutte contre la pauvreté et celle contre le racisme : "Le racisme forge des expériences communes, mais il n'est pas le seul facteur d'oppression. Il faut penser ensemble les rapports de race et de classe", nous explique-t-il.
Un combat enraciné dans l’Évangile
Ce qui donne à son discours une tonalité unique, c’est l’ancrage évangélique de son engagement. Bien qu'il ne l'évoque pas directement dans son livre, Kevin ne sépare pas foi et politique. Il nous a confié que sa vision de la justice sociale découle directement de sa lecture de la Bible et de l'exemple des premiers chrétiens.
"Les évangiles nous encouragent à la justice, à l’exemple des premiers chrétiens qui mettaient tout en commun pour que chacun reçoive selon ses besoins. C’est pour moi la définition de la justice sociale."
Au cours de notre entretien, il cite les Actes des Apôtres, l’épître de Jacques, mais aussi Galates 3:28 : "Il n’y a plus ni Juif ni Grec, ni esclave ni homme libre, car tous vous êtes un en Jésus-Christ." Pour lui, c’est justement cet universalisme chrétien qui est un antidote aux replis communautaires :
"Le Christ nous rappelle non seulement notre communion humaine, mais aussi une commune spiritualité."
"Ce que propose le christianisme, c’est une vision profondément universaliste de l’humanité. C’est un appel à dépasser les frontières identitaires", souligne le journaliste.
Vers une espérance chrétienne, et une société décente
Loin d’un discours pessimiste, Kevin clôt son ouvrage sur une note d’espérance. Il y esquisse le rêve d’une société nouvelle : plus égalitaire, plus fraternelle, plus démocratique. Une société qui ne serait pas un paradis terrestre pour autant, mais un monde transformé, où la justice serait enfin au cœur de l’organisation collective :
"Ce n’est pas un Jardin d’Éden. Il y aura toujours des conflits, des criminels, des sanctions. Mais ce serait une société plus juste, plus démocratique, où chacun aurait voix au chapitre."
Et si la politique ne suffit pas, la foi peut, elle, être un moteur d’espérance. Lorsqu'on lui demande s’il est optimiste pour la suite, Kevin admet ne pas avoir beaucoup d’espoir politique, mais bel et bien une "espérance chrétienne".
Il conclut sur un appel aux croyants : à prendre au sérieux les appels bibliques à la justice, à relire la Bible avec un regard neuf sur la pauvreté, l’injustice, le racisme, et les structures du péché.
Un livre pour aujourd’hui, un appel pour l’Église
Ainsi, avec Mon antiracisme, Kevin Boucaud-Victoire nous interpelle. Cet essai ouvre une voie nouvelle dans le débat sur les discriminations raciales, en conjuguant critique sociale et horizon universaliste. Lors de cet entretien, il nous a également rappelé que l’Évangile est une force de transformation, pour les cœurs comme pour les sociétés. Et qu’un antiracisme chrétien est une nécessité spirituelle et politique :
"L’Évangile n’est pas neutre : il est Bonne Nouvelle pour les pauvres, parole de libération pour les opprimés, appel à la justice pour tous."
Camille Westphal Perrier