Ennio Morricone : Quand la musique est bonne

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Tous les chemins, dit-on, mènent à Rome. Et au pied du Colisée, il en est deux qui allaient se croiser pour entrer dans l’histoire du cinéma.

Leurs noms finissent par les lettres « one » et ils avaient le même âge : Sergio Leone (1929-1989) et Ennio Morricone (1928-2020), un géant de l’image, un génie de l’orchestre : tous les deux, ils étaient « number one », pourraient-on dire. Le premier nous quitta à 60 ans, le second vient de passer le barillet à gauche, à 91 ans. Ennio Morricone composa plus de 500 musiques de film. Bien qu’il sortît peu de sa maison proche du Capitole, le compositeur appartenait à la légende du grand Ouest américain, de ces espaces inconnus en Europe dont seul le sud de l’Espagne, dans le désert de Tabernas, offre une réplique brute et minérale.

Brute, justement.

Tout se joua un siècle après la guerre de Sécession, entre 1964 et 1968, avec « la trilogie du dollar » : Pour une poignée de dollars (1964), Et pour quelques dollars de plus (1965), Le Bon, la Brute et le Truand (1966) suivi par Il était une fois dans l’Ouest (1968), de style voisin mais différent. Trouvant les musiques de films italiens médiocres et mièvres, Ennio Morricone voulait les renouveler et imposer un style plus américain. À l’arrivée, c’est l’inverse qui se produisit : l’Europe vainquit l’Amérique sur le seul grand récit qu’elle exporta partout dans le monde : le Far-West. Si Clint Eastwood ou Charles Bronson figurent parmi les plus grands acteurs outre-Atlantique, le réalisme outrancier des films de Sergio Leone humilia les productions hollywoodiennes, les faisait apparaître pour ce qu’elles étaient : de la propagande où les gentils cow-boys blancs s’en sortaient toujours au dépend des méchants indiens sauvages. Enfants, n’étions-nous pas tous du côté de Geronimo contre ces Européens cyniques ? L’Amérique prit ombrage de la concurrence européenne et l’expression « western-spaghetti » visait à ironiser sur un cinéma abritant sous cette étiquette pléthore de films de série B. Ce n’est évidemment pas le cas de « la trilogie du dollar » – qui est au western ce que Monument Valley est à l’Arizona.

L’AFP parle d’Ennio Morricone comme du « Beethoven du western spaghetti ». Cette comparaison est pertinente. Le pianiste Pierre Solot, producteur à la RTBF, l’explique : « Ennio Morricone a, comme tout bon compositeur, le souci du timbre et donc du choix des instruments. Et chez lui, c’est même exacerbé. Plus que la musique, l’instrument et son timbre, l’instrument et sa couleur prennent une place essentielle dans le film. Souvenez-vous d’Il était une fois dans l’Ouest et de cet harmonica. Ce dernier est un véritable personnage, il accompagne l’acteur Charles Bronson au cours du récit. Et c’est bien simple : le personnage campé par Bronson s’appelle l’Homme à l’Harmonica… »

Considérée comme un art mineur, la musique de film acquiert avec Ennio Morricone un statut à part entière. Le rapport est même inversé. Ici, la musique supplante l’image. L’image sert la musique. Dans les scènes les plus connues (les duels de fin, par exemple), la caméra se cale sur un air lancinant qui gagne progressivement en intensité jusqu’à une forme d’accomplissement, comme si le compositeur s’inspirait des tressaillements et des palpitations de l’univers érotique. Il y a une grande sensualité latine (plus proche du Mexique que de son voisin nordique), comme dans les solos de trompette magistraux, par exemple celui de la scène finale de Pour une poignée de dollars, lorsque la silhouette de Clint Eastwood apparaît au loin dans une bourrasque dont les volutes se dissipent langoureusement.

Dès l’âge de six ans, Ennio Morricone compose. À dix ans, il s’inscrit au cours de trompette de la prestigieuse Académie nationale Sainte-Cécile à Rome, où le remarque le grand professeur Goffredo Petrassi. Il étudie également l’orchestration, l’orgue et la musique sérielle. Dans ses westerns, le moindre détail a du sens : le vent, la poussière, un bruit obsédant. Ennio Morricone met en musique l’âme du désert, sa désolation, son silence ; les hommes parlent peu, ce qui rend leurs répliques d’autant plus percutantes ; les visages et les regards expriment la totalité d’un personnage. Ce sont souvent des êtres crasseux, mal rasés, qui traînent leurs ressentiments dans un monde anomique et violent, où parfois émerge un homme de bien. L’humanité, tout simplement, mais rendue sublime par la baguette d’un maestro romain.

Louis Daufresne

Source : RTBF

Cet article est republié à partir de La Sélection du Jour.


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