"Il y a de la place pour apprendre ensemble en s'amusant", chantent les bambins dans l'une des rares écoles maternelles à accueillir enfants protestants et catholiques en Irlande du Nord, avec le projet de créer un pont entre les deux communautés.
Il y a 25 ans, l'accord du Vendredi Saint mettait fin à trois décennies de violences communautaires ayant fait 3.500 morts en Irlande du Nord. Il mettait l'accent sur l'importance d'une "culture de la tolérance à tous les niveaux de la société", qui devait passer par la mixité dans l'enseignement.
Mais beaucoup de protestants et catholiques continuent de vivre séparément, dès leur plus jeune âge.
Pendant l'année scolaire 2022/23, seulement 27.000 élèves sur un total d'environ 356.000, soit moins de 8%, étudient dans des écoles "intégrées" ou mixtes, mélangeant les deux communautés.
La maternelle Bangor Integrated Nursery School est l'un de ces rares établissements.
En 2019, "nous avons organisé un vote parmi les parents" et "97% ont dit qu'ils soutiendraient" la transformation, raconte à l'AFP la directrice de cette maternelle, Pamela Algie. L'école, qui était majoritairement protestante, a obtenu son nouveau statut après un long examen par le ministère de l'Education.
Désormais, chaque classe doit compter 40% d'enfants catholiques, 40% de protestants et 20% d'enfants d'autres origines, explique Pamela Algie.
Aborder les "sujets difficiles"
La première école mixte a ouvert en 1981, en pleine période des "Troubles". Il a fallu attendre 2022 pour que le parlement d'Irlande du Nord adopte une législation encourageant davantage d'écoles publiques - dont les élèves sont majoritairement protestants - et d'écoles sous contrats - principalement catholiques - à s'engager sur la voie de la mixité.
Les deux acceptent les élèves d'autres communautés, mais en réalité, rares sont ceux qui franchissent le pas. De plus, les programmes dans ces écoles ne se penchent pas réellement sur la question de la différence.
Alors qu'à l'école Bangor Integrated, "nous parlons de diversité, d'égalité, de respect et d'inclusion", explique Pamela Algie.
"Et nous n'hésitons pas à aborder des sujets difficiles, comme les questions raciales et la religion", ajoute-t-elle, même si ses élèves ont seulement entre trois et quatre ans.
Du côté des parents, Trina Zellie, 39 ans, a inscrit ses deux filles à Bangor Integrated: "Nous voulons qu'elles acquièrent non seulement des connaissances en anglais, en littérature, en mathématiques, mais aussi qu'elles développent des compétences interpersonnelles".
Parmi les familles des élèves, issues de la classe moyenne, certaines sont catholiques et protestantes pratiquantes, mais beaucoup sont non-croyantes ou des familles étrangères qui n'ont pas vécu "les Troubles".
Familles réticentes
Dans les écoles qui ne sont pas mixtes, "tout tourne autour des études, des bonnes notes, mais rien n'est fait pour préparer les élèves au monde extérieur, pour leur enseigner l'histoire de l'Irlande du Nord", déplore Lorraine Clayton, qui a travaillé dans ce système avant d'enseigner au Priory Integrated College à Holywood.
Ses élèves ont des amis de toutes origines et espèrent bien changer la société nord-irlandaise.
"Si nous ne commençons pas à avancer et à être plus progressistes, nous resterons enfermés dans les questions de religion, religion, religion, religion, alors qu'il y a d'autres choses plus profondes qui doivent être abordées", assure Anna McKittrick, une élève de 18 ans qui étudiait auparavant dans une école protestante.
Mais plus de 90% des établissements scolaires ne sont pas mixtes.
"Nous devons d'abord changer le système éducatif", estime Derek Tsang, qui a également 18 ans.
Pour permettre à un plus grand nombre d'élèves d'interagir, l'"éducation partagée" a été créée en 2007. Dans ce système, deux ou trois écoles s'associent et permettent de passer de l'une à l'autre, par exemple si l'une propose une langue ou un sport que l'autre n'a pas.
En 2018, cela concernait environ 60.000 élèves, mais le gouvernement veut atteindre 80% des écoles dans les prochaines années, ajoute Danielle Blaylock de la Queen's University à Belfast.
À la différence du système mixte, "l'éducation partagée permet aux écoles et aux élèves de garder leur identité quand ils interagissent", souligne l'experte. Selon elle, privilégier cette voie permettrait de toucher plus de familles, en particulier celles réticentes à la mixité.
La Rédaction (avec AFP)