En Inde, les lois anti-conversion renforcent la persécution des chrétiens

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Le 15 janvier dernier, une foule de nationalistes hindous est entrée de force dans une maison où avait lieu un culte chrétien. Elle a battu plusieurs personnes, dont des femmes et des enfants. Dans la plus grande démocratie au monde, les attaques contre les chrétiens et d’autres minorités sont nombreuses et implicitement approuvées par le gouvernement nationaliste hindou.

Dans ce village de l’Odisha (anciennement l’Orissa), les chrétiens s’étaient retrouvés ce dimanche de la mi-janvier pour leur réunion cultuelle quand un groupe de nationalistes a interrompu la rencontre. Menés par le chef du village, des habitants de la localité et des communautés voisines ont frappé deux familles qui avaient embrassé la foi chrétienne quatre mois auparavant et refusaient de l’abjurer. Trois personnes ont subi de graves blessures internes, dont le pasteur resté inconscient près d’une heure.

Les victimes sont allées déposer plainte, mais leurs chances d’obtenir justice sont très minces. Un pasteur local a expliqué à l’ONG International Christian Concern que les autorités ne leur rendent pas justice alors que les actes de persécution augmentent. « Le mois dernier, un jeune chrétien a été battu pour avoir refusé de renier sa foi. Même si nous cognons à la porte du poste de police tout le temps, nous n’obtenons que peu, voire aucune justice », assure-t-il.

Des autorités généralement complaisantes envers les attaquants hindous

À la fin de l’été 2008, l’Orissa avait connu le plus grand massacre de chrétiens de l’histoire indienne, 101 chrétiens avaient été assassinés par des foules en colère après le meurtre d’un chef religieux hindou, Swami Saraswati, et quatre de ses disciples, le 23 août. Le premier septembre, des maoïstes avaient revendiqué les assassinats, mais la justice avait tout de même condamné des chrétiens et un communiste.

Les autorités avaient en effet faussement accusé des chrétiens du crime, selon le journaliste et militant Anto Akkara. Ce dernier affirme que des foules illettrées avaient été encouragées par les autorités à se venger sur les chrétiens. Les hindous avaient également détruit près de 6 000 maisons et 300 églises dans 400 villages du district de Kandhamal. Les fanatiques en avaient profité pour assassiner au moins un converti au christianisme, Easwar Digal. Il a été décapité.

En 2015, deux hauts fonctionnaires de police ont assuré lors d’une enquête judiciaire que les accusations contre les chrétiens avaient été fabriquées de toutes pièces. Cela avait permis de répandre dans tout le pays le bruit quant à une supposée conspiration chrétienne.

Selon Anto, c’est « une honte pour la démocratie indienne et son système judiciaire, que sept innocents soient emprisonnés afin de maintenir une fraude politique. La souffrance des chrétiens arrêtés, et celle des familles des victimes des violences, nous fait penser aux premiers chrétiens. Ce sont des histoires courageuses qui inspirent toute l’Église en Inde ».

L’Orissa a été, en 1967, le premier État indien à adopter une loi anti-conversion. Le Madhya Pradesh l’a imité l’année suivante. Il aura cependant fallu attendre 35 ans pour voir un autre État emprunter ce chemin.

Aujourd’hui, 11 États indiens ont adopté des lois anti-conversion. Ces lois, couplées à une profonde intolérance sociale envers le christianisme, conduisent la police à fermer les yeux quand des chrétiens sont agressés au motif qu’ils auraient tenté de convertir leurs compatriotes à leur foi ou auraient apostasié l’hindouisme. En 2011, la police de l’Orissa a ainsi arrêté deux chrétiens dont l’un avait été victime d’un vol commis par un hindou. Ce dernier avait accusé les chrétiens d’avoir tenté de le convertir, sans avoir à avancer la moindre preuve.

Une persécution à l’échelle nationale menée par le BJP

Les massacres de 2008 avaient été alimentés par le Rashtriya Swayamsevak Sangh, un mouvement paramilitaire hindou proche de l’actuel parti au pouvoir, le Bharatiya Janata Party (BJP). Depuis son accession aux commandes du pays, le BJP ou Parti indien du peuple, ne cesse de viser à l’épuration religieuse de l’Inde. Le gouvernement de Narendra Modi mène une politique nationaliste qui comprend la défense de l’identité hindoue du pays. Sur le modèle des lois locales protégeant l’hindouisme, le pouvoir entend obtenir une loi anti-conversion au niveau national.

Dès 2015, des ministres fédéraux ont appelé à un débat en vue d’une loi pour protéger l’hindouisme. En 2021, la Cour suprême a rejeté un recours déposé par un avocat membre du BJP demandant l’universalité d’une loi anti-conversion. Les juges ont conclu que la mesure serait contraire à la Constitution indienne qui garantit à tous les citoyens le droit de professer la religion de leur choix et de faire du prosélytisme :

« Il y a une raison pour laquelle le mot ‘propager’ est écrit dans la Constitution. »

Les chrétiens sont majoritaires dans trois États indiens, le Kerala, le Meghalaya et le Nagaland, mais ils sont globalement discriminés et persécutés dans le reste du pays, et ils subissent les plus fortes contraintes et menaces dans les États ayant adopté les lois anti-conversion. Une loi fédérale de ce genre signerait une persécution accrue et la garantie que les auteurs de crimes contre les apostats de l’hindouisme soient encore davantage assurés de ne pas être poursuivis, même dans les États majoritairement chrétiens.

Le Dr Yohan Murry, partenaire local de l’ONG Portes Ouvertes et expert en politique indienne, partage l’inquiétude des chrétiens indiens :

« Les lois anti-conversion encouragent les nationalistes hindous à harceler et à attaquer les chrétiens. »

Les violences vont de la confiscation d’ouvrages littéraires chrétiens aux attaques physiques, même lors des services funéraires.

Selon Portes Ouvertes, nombreux sont les chrétiens qui redoutent la proche adoption d’une loi contre le changement de religion. En effet, le gouvernement de Modi a répondu à la Cour suprême, à la suite de sa décision de 2021 que le droit à la liberté religieuse ne comprend pas le droit d’adopter une autre croyance, démontrant ainsi sa volonté de passer outre la Constitution.

Les contours d’une loi fédérale laissent entendre que la conversion sera passible de 10 ans d’emprisonnement. Cependant, une loi visant à protéger l’hindouisme garantirait plus ou moins implicitement le droit de se convertir à la religion majoritaire, même sous la menace et la violence.

Jean Sarpédon

Crédit image : Shutterstock.com / CRS PHOTO

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