Quelle est la place du fait religieux en France ? Faut-il s’inquiéter des formes qu’il prend avec d’un côté beaucoup de sécularisation mais aussi des minorités crispées sur des visions très conservatrices au nom de leur foi ? Si les idéologues et les médias se plaisent à polémiquer, les enquêtes quantitatives, notamment la European Values Study (EVS) et le module religion de l’International Social Survey programme (ISSP) permettent d’analyser quelques tendances depuis plus de trente ans.
Ici, nous prendrons en compte d’abord l’image des religions dans l’opinion publique, l’identité subjective (se sentir religieux et/ou spirituel) et l’évolution des croyances.
Les religions, sources de conflit
Alors que les religions se présentent très souvent comme des acteurs de paix, leur image est très différente dans l’opinion : elles sont largement considérées comme « apportant plus de conflit que de paix » selon 64 % des enquêtés, aussi bien en 2018 qu’en 1998. Et les personnes qui ont de fortes convictions religieuses sont considérées avec méfiance : 61 % jugent qu’elles « sont souvent trop intolérantes envers les autres ».
C’est donc l’image belliqueuse et intolérante des religions qui domine l’opinion publique, sans grand changement depuis vingt ans, probablement parce que, déjà à l’époque, des événements dramatiques avaient renforcé les craintes à l’égard des religions radicalisées, qui sont les seules que certains connaissent à travers les messages médiatiques.
Évidemment les religions n’ont pas toute la même image : 56 % des personnes enquêtées ont « une attitude personnelle tout à fait ou plutôt positive » envers les chrétiens, 40 % envers les bouddhistes, 36 % envers les hindous, 34 % envers les juifs et 24 % envers les musulmans.
Le reste des réponses est massivement composé de personnes indécises (qui se disent « ni d’accord, ni pas d’accord »), qui n’ont probablement pas d’image claire des religions considérées. Les réponses négatives sont en fait rares : même pour les musulmans, groupe religieux le moins bien jugé, il y a seulement 26 % de réponses négatives, contre 4 % pour les chrétiens et 8 % pour les juifs. Il n’y a donc pas de rejet par principe des religions, la plupart des gens adhérant aux principes de la laïcité, reconnaissant à chacun la liberté de croire ou de ne pas croire.
Religion ou spiritualité ? Les jeunes dans l’attente d’un au-delà
Peut-on distinguer des personnes « fidèles à une religion » et des individus simplement « spirituels, intéressés par le sacré et le surnaturel » ? En fait la moitié de la population française adopte des positions simples : ils sont « religieux et spirituels » ou « ni religieux ni spirituels ».
L’autre moitié de la population choisit des types plus complexes :
- « adepte d’une religion sans se sentir spirituel », groupe assez âgé et à faible diplôme, pas très religieux mais plutôt conformistes, vivant probablement souvent la religion comme quelque chose allant de soi.
- « pas religieux mais spirituel », groupe qui représente le religieux hors institution. Il est en petite progression de 15 à 18 % en dix ans, soit un tiers des personnes qui se disent sans appartenance religieuse. Et il est particulièrement présent chez les moins de 35 ans et les diplômés qui sont donc à la fois très souvent fortement sécularisés mais un peu plus ouverts au sacré et au surnaturel.
Les jeunes sont peu religieux, ils ne croient que rarement aux grands récits des religions institutionnelles mais ils peuvent être ouverts à des croyances que je qualifie de psycho-religieuses : forts de leur dynamisme vital, ils ont plus de mal que les plus âgés à imaginer que tout s’arrêtera avec la mort. Alors que le vieillissement rendrait les individus plus « réalistes » : les personnes âgées croient moins souvent à un futur sans fin que les jeunes. Il y aurait comme un effet d’âge qui expliquerait la propension des jeunes pour des croyances à un futur indéfinissable.
Les rapports aux croyances religieuses et les pratiques qu’elles occasionnent sont très variés et de plus en plus dérégulés par rapport aux grands dogmes des principales religions. Mais des minorités vivent souvent sur un mode radical et assez intransigeant les débats sur les religions, qu’elles défendent des modèles traditionnels soient ou des religiosités alternatives largement recomposées.
Pierre Bréchon, Professeur émérite de science politique, Sciences Po Grenoble, Auteurs historiques The Conversation France
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.