Aujourd’hui lorsque l’on évoque la notion d’obscurantisme, le monde qui se qualifie pompeusement de libre, les gouvernants tout comme les gouvernés ne se sentent a priori nullement concernés ! Nous sommes sereins, l’obscurantisme ce sont les autres… et nous passons à autre chose.
Tout le monde le sait : l’obscurantisme ce sont ceux et celles qui frappent aveuglément des innocent·e·s au nom d’un Dieu… Lorsque l’on évoque ce mot, nous pensons immédiatement à des pratiques d’un autre temps qui se situent dans quelques pays lointains. Des pays dans lesquels des individus – qui sont pourtant des hommes – se sont fixés pour but d’éteindre la lumière sur le monde en utilisant la pédagogie de la terreur, le langage de l’horreur !
L’obscurantisme serait ainsi une sorte d’idéologie prônée par des barbares. Un terme qui ne pourrait s’appliquer qu’aux monstres déshumanisés voulant soumettre d’autres hommes en leur infligeant l’ignorance pour s’épanouir (sic) dans un monde anté-moyenâgeux !
C’est certainement rassurant que de le penser. C’est encore plus rassurant de s’en convaincre… Et de vous demander à mon sujet, mais quelle mouche l’a piqué pour ne pas adhérer de tout son cerveau à cette approche si clairvoyante, à cette évidence. Tout simplement parce que l’obscurantisme contemporain ne peut être défini de façon aussi restrictive.
L’obscurantisme technologique : le complice du biopouvoir
L’obscurantisme visant l’aliénation et l’asservissement peut prendre d’autres formes, quand bien même ces formes sont moins immondes et mortifères à ce jour. L’obscurantisme technologique progresse sur notre planète informatisée. Cela le met à la merci des velléités de totalitarismes les plus monstrueux.
Comment ? La technologie, petit pas à petits pas, a pris une place considérable dans la gestion de nos nations par nos gouvernants et dans notre vie. Elle s’est immiscée dans le rapport entre les gouvernants et les gouvernés. Les gouvernants étant bien décidés à tenir le gouvernail de nos destins au côté de quelques Entreprises-Nation, plus ou moins contrôlées par ces derniers et de moins en moins contrôlables.
Alors dans nos régimes démocratiques – si soucieux de liberté d’expression, si épris de démocratie et du respect de la vie privée des citoyens – on brandit encore le mot liberté en se comparant… Alors soit. Comparons-nous.
Oui, nous pouvons nous comparer en 2018 (quelle gloire) à la junte militaire au pouvoir en Thaïlande qui en 2016 durcissait encore ses lois contrôlant les échanges sur Internet, au travers d’un projet d’amendement visant – comme le souligne fort à propos Arnaud Dubus (2016) – « à punir lourdement la simple possession d’images ou de textes considérés comme diffamatoires. Une autre loi, déjà approuvée, permet à la police d’intercepter les communications sur Internet. » Projet de loi fake news si tu m’entends.
Si l’herbe du voisin est moins verte, cela n’en fait pas une mesure démocratique étalon !
Sommes-nous si différents ? Si à l’abri de tels excès ? L’herbe est parfois moins verte chez le voisin et, à bien chercher, soyons assurés – mais non pas rassurés – on trouvera encore quelques temps toujours pire. Tout en abaissant le niveau de nos exigences légitimes… À ceci près que la junte militaire a le mérite d’être limpide dans sa volonté de censure et de violence ! Mais, à bien y réfléchir, la censure qui ne dit pas son nom, celle qui enfante l’autocensure, n’est-elle pas plus perverse ? Une autocensure qui se nourrit d’une défiance croissante, entretenue par un pouvoir faussement démocratique n’est-elle pas pire que la censure d’un pouvoir totalitaire pleinement assumé ? La liberté d’inexpression est-elle préférable à l’interdiction de la liberté d’expression ?
Le défi du siècle des datas : la lutte contre l’obscurantisme technologique
La technologie a une incidence sur notre destinée commune. Les décisions relatives à leur contrôle et à leurs usages ne peuvent se faire dans le mensonge, dans une absence de transparence et d’explication qui s’accélère et dans l’entretien de l’ignorance. Est-ce intentionnel ?
Aujourd’hui en France une grande partie de la population n’est pas en mesure de comprendre les conséquences et dérives potentielles de nombreuses lois et de nombreuses décisions impliquant la technologie, et nous concernant tous.
Les gouvernances sont dans leurs rôles. Elles sont soucieuses de protéger leur biopouvoir. Elles vendent et vantent aux peuples la partie émergée des icebergs à des populations qui ne mesurent pas les enjeux des décisions prises sur nos lendemains. Voilà venu le siècle des populations exclues, maintenues dans l’incapacité de pouvoir se positionner dans des débats qui se devraient d’être publics. Débats auxquels elles sont conviées bien que ne pouvant y participer.
De plus, dans notre pays qui compte six millions de pauvres, où des millions de personnes sont par ailleurs aux prises avec des difficultés quotidiennes, le pouvoir peut agir de façon très décomplexée. La vie quotidienne difficile au jour le jour tient une majorité de citoyens de plus en plus éloignée de ces préoccupations péjorativement qualifiées de « préoccupations d’intellectuels ». Vous avez dit démocratie participative ? »
Critiquer la technologie ? Seriez-vous devenus fous ?
Quant à critiquer la technologie, n’y songez même pas ! c’est tout simplement hors de propos. Apprécier la technologie est une chose, la technocritique est une posture jugée dinosaurienne nulle et non avenue pour quiconque peut en tirer profit sans souci de son prochain… À moins que vous ne souhaitiez être ostracisé.
La notion de critique (prise au premier degré) ne peut pas être comprise par les ignorants de la théorie critique : attachés au mot ils peuvent difficilement intégrer sa notion positive et constructive. Elle qui ne fait pourtant que regrouper l’examen et la critique de la société et de la littérature à partir des connaissances développées par les sciences humaines et sociales.
La critique est ainsi réduite à une posture – bien vite qualifiée par les fervents adeptes d’un obscurantisme technologique qui les sert – de théoriciens du complot.
La vulgarisation : une arme contre l’obscurantisme technologique
La vulgarisation de ce qui est parfois complexe est au service de la démocratie. Il s’agit dans de nombreux domaines, par-delà la technologie, de rendre explicite ce qui doit l’être par le plus grand nombre.
« Le mépris des hommes est souvent la marque d’un cœur vulgaire. »
(Albert Camus)
À suivre
Yannick Chatelain, Enseignant Chercheur. Head of Development. Digital I IT, Grenoble École de Management (GEM)
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.