Du pétrole aux Grands Prix de Formule 1, la diversification des pays du Golfe

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C’était hier le dernier Grand Prix de Formule 1 de la saison, à Abu Dabhi, la plus grande principauté des Émirats arabes unis, qui accueille une manche du Championnat du monde depuis 2009. La tendance à la réception d’événements sportifs majeurs et internationaux se développe dans divers pays du Golfe persique en quête de diversification économique et de reconnaissance morale. Une stratégie bienvenue pour se préparer à la fin de la manne pétrolière et alors que les cours du baril sont incertains. Trois jours séparent la course à Abu Dhabi de la prochaine réunion de l’OPEP, à venir ce mercredi, où il sera question d’une baisse de la production du brut.

L’Allemand Nico Rosberg a remporté son premier titre sur le circuit de Yas Marina au volant d’une monoplace de la prestigieuse écurie Mercedes. Daimler-Benz, un symbole de qualité dans le monde entier, une marque de près d’un siècle qui a toujours su se maintenir à un haut niveau. Les Émirat arabes unis, officiellement plus jeunes de 45 ans que la firme à l’étoile, sont encore peu connu du grand public, et le sport international leur permet d’obtenir un certain prestige par exemple associé à de grandes marques comme Mercedes ou Ferrari ; de véhiculer une image d’occidentalisation, autre que celle de pétrolier et gazier que l’on accorde aux riches pays du Golfe. Voire celle négative associée à la méconnaissance des droits de l’homme.

Depuis des années, les petites monarchies arabes de la région - et leur grand voisin saoudien non considéré ici, car il ne déploie pas de stratégie sportive internationale - développent une économie tertiaire. Le Qatar fait beaucoup parler de lui, mais ce sont surtout les Émirats arabes unis qui ont initié cette stratégie de diversification économique. Ce pays qui regroupe sept principautés est une fédération indépendante depuis 1971-1972, après avoir formé les États de la Trêve dont le nombre varia entre 1892 et 1971, placés sous protectorat britannique. Le Qatar, indépendant du Royaume-Uni depuis 1979 après avoir été lié à ce dernier par traité 111 années durant, est le plus jeune de ces petits États qui ouvrent leurs frontières au sport international. Le Bahreïn, l’autre pays du sport dans cette aire a acquis son indépendance en 1971 ; il était sous protectorat britannique depuis 1914. Ces arides lopins, parfois minuscules, ne tiennent pas à être perdus de vue, au-delà de l’horizon dans le désert. Le pétrole et le gaz se tariront, les fluctuations des cours nécessitent d’autres garanties que les seuls hydrocarbures présents sous leur sable. Au rythme de production actuel, les réserves de pétrole devraient être épuisées dans 52 ans et celles de gaz taries dans 54 ans.

De la diversification économique à la reconnaissance morale par le sport

Les Émirats disposent d’environ 8 % des réserves de pétrole connues dans le monde, et autour de 3 % concernant le gaz. La fédération a entrepris depuis des années de développer une économie arborescente qui, outre ses gisements naturels, repose sur la finance, les industries lourdes quant à Abu Dhabi - aluminium, pétrochimie sur place - ou le tourisme concernant Dubaï. Les Émirats arabes unis sont l’un des cinq pays accueillant une Summer School en droit des affaires que propose le Center for International Business and Commercial Law. Le Bahreïn ramifie pareillement son économie, mais ses gisements connus sont insignifiants. Le Qatar qui possède près de 1,5 % des réserves de pétrole, mais près de 12 % de celles de gaz dont il est le troisième détenteur mondial  ; il investit dans l’immobilier de luxe et les entreprises qui sont le fleuron du sport ; Doha a créé la Qatar Investment Authority en 2005 qui dispose de 150 milliards de dollars en avoirs, et l’émirat investit massivement à l’étranger. Ces États développent des fonds souverains pour se mettre à l’abri, qui gèrent l’épargne et servent d’outils pour ces investissements. Cependant, l’image de ces monarchies pétrolières n’est pas moralement rehaussée par l’économie, l’appétit du Qatar irrite, et ces petits pays sont jalousés par d’autres États arabes moins riches.

Les Émirats arabes unis qui accueillaient hier l’ultime épreuve du Championnat du monde de Formule 1 n’ont pas la réputation de défendre les droits de l’homme. La peine de mort concerne même des crimes qui ne sont pas en rapport avec le meurtre ; et la qualification de crime est large, l’homosexualité en est un dans ce pays, de même que l’apostasie : un musulman qui abandonnerait l’islam serait condamné à mort. Et le rôle trouble de Doha dans le terrorisme islamique est évoqué, l’Égypte accuse même le Qatar d’être un État terroriste. Le sport international est alors vu comme une solution ludique de modifier la perception que renvoient vaguement ces pays.

Depuis la fin des années 1980, les émirats se sont tournés vers le sport, et le directeur de la communication du Qatar, Hamad Abdulla al-Mulla, résume l’intention, sans ambages : « Le sport est le moyen le plus rapide de délivrer un message et d’assurer la promotion d’un pays. Quand on vous dit Proche-Orient, vous pensez tout de suite terroristes, pas vrai ? Eh bien, nos dirigeants veulent que le Qatar ait bonne réputation. » A partir de 1989, le Dubaï desert classic fait partie des tournois annuel de golfe, et l’émirat s’est même offert la présence de stars d’autres disciplines pour davantage médiatiser l’épreuve : ainsi, étaient invités la légende de la Formule 1, Michael Schumacher, et celle du tennis, Roger Federer, en 2007 ; deux célébrités planétaires, et surtout occidentales, à chacune desquelles l’émir de Dubaï, le cheikh Mohammed ben Rachid al-Maktoum, avait offert une île.

Le Qatar et Dubaï ciblent le tennis mondial et accueillent les tournois ATP en 1993. Des manches du championnat de golf, des épreuves de rallye y sont désormais organisés. Le pinacle du sport automobile y fait escale depuis 2004 avec le premier Grand Prix de Formule 1 organisé au Bahreïn. Le Qatar a obtenu l’organisation des Championnats d’Asie d’athlétisme en salle cette année, celle des Mondiaux d’athlétisme en 2019, ou la Coupe du monde de Football pour 2022, et est candidat à l’accueil des Jeux Olympiques de 2024. Et s’il n’a pas d’épreuve de Formule 1, le Qatar accueille les courses de moto depuis 2004, recevant ainsi une compétition mondiale, deux ans avant d’ouvrir ses portes aux Jeux asiatiques, une compétition continentale. Ces pays, ne disposant pas encore d’athlètes locaux manifestent une stratégie agressive de naturalisation de grands sportifs, et c’est ainsi que le Qatar a pu accéder à la finale du Championnat du monde de handball l’an dernier, face à la France, avec une équipe de mercenaires. Ils entretiennent ainsi une illusion quant à leur relation aux sports qui ne font pas partie de leurs traditions. A Doha, le mot d’ordre est : « Le Qatar ne doit pas être connu uniquement pour abriter le siège d’Al-Jazeera. Le sport se doit d’être notre vitrine. »

Les limites des tentatives de légitimation morale par le sport

Si l’accueil de grands moments du sport du haut niveau permet à ces pays de délivrer un message sur leur capacité à organiser, avec toute la technologie et la logistique nécessaires, des événements festifs de grande ampleur, la finalité visée, celle de présenter un visage sympathique et moral qui cacherait le mépris pour les droits de l’homme, n’est pas exactement atteinte. Nombreux sont les reproches faits à ces pays concernant le détournement du système de la kafala, une forme d’adoption, qui maintient des travailleurs immigrés venus d’Inde ou des Philippines dans un état d’esclavage. Une fois sous contrat, les étrangers ont besoin de l’autorisation de leur employeur pour changer de travail ou quitter le pays, et les histoires dramatiques sont de plus en plus connues. Amnesty International a même initié une pétition ,le 31 mars de cette année, pour demander à la Fédération international de football et aux sponsors de la Coupe du monde 2022 d’agir pour que cesse l’esclavage. Et la gourmandise de Doha le dessert, des soupçons de corruption pèsent sur le Qatar qui aurait acheté la compétition reine du football.

Sur des circuits de Formule 1 sponsorisés par Emirates, la compagnie aérienne émiratie, les hôtesses, doivent retenir leurs cheveux sous un léger voile avec un élégant chapeau, pour qu’ils ne tombent pas sur leurs épaules et ne soient pas trop visibles, même en Occident, par exemple lors de l’épreuve en Angleterre. Une exigence qui vaut aussi au club de football du Paris Saint-Germain, entre les mains de Qatar Sports Investments et sponsorisé par Emirates, la même que pour les hôtesses de la flotte aérienne. Paradoxalement, le club « qatari » salarie plusieurs joueurs qui revendiquent ostensiblement leur foi chrétienne, ce qui n’est cependant pas très étonnant, l’émirat réputé rigoriste cherche à gagner une certaine approbation occidentale en autorisant même la construction d’églises sur son sol, ce qui lui permet, par ailleurs, de justifier son financement de mosquées en Europe.

Directement par les investissements publics ou indirectement par ceux des privés, les petites monarchies du Golfe trouvent ainsi un compromis entre un islam rigoriste et la nécessité de se présenter, par le sport, comme capables d’assimiler des valeurs occidentales véhiculées par le sport - comme celles transmises par la culture, avec le Louvre Abu Dhabi - en faisant des compromis, loin de la réalité des droits de l’homme chez elles.

Hans-Søren Dag


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